
Acquis par correspondance chez Music Obsession aux Etats-Unis via CD and LP en février 2010
Réf : 1699-S -- Edité par A&M aux Etats-Unis en 1975 -- Promotion copy - Not for sale
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Hustler's tango -/- Last night
Deux semaines ont passé, mais je continue de savourer le plaisir d'avoir revu et réentendu
Lewis Furey interpréter ses chansons sur scène à Paris. Restons dans l'ambiance...
Hustler's tango, voilà une chanson au fort pouvoir d'attraction.
J'ai eu l'occasion de raconter comment,
à quatorze ans, il avait suffi d'une interprétation au piano en solo en direct à la télévision pour que je sois accroché à vie aux chansons et à la voix de Lewis Furey. Mais la version orchestrée de la chanson, le premier titre du premier album (
Lewis Furey, 1975), a un pouvoir encore plus fort. A l'époque, certains y ont succombé en entendant la chanson à la radio sur FIP. Pour d'autres, peut-être plus nombreux car l'émission était plus populaire, c'était à l'écoute de
Poste restante de
Jean-Bernard Hebey sur RTL.
En 1975 j'écoutais encore plutôt
Les routiers sont sympas que
Poste restante, mais je me souviens très bien en 1979, au moment du spectacle de Lewis Furey et Carole Laure à Bobino, avoir entendu Jean-Bernard Hebey repasser
Hustler's tango et expliquer qu'il avait fait des pieds et des mains pour tenter de convaincre la maison de disques française de sortir cette chanson en 45 tours. En vain. Je crois bien d 'ailleurs que l'album n'a jamais été édité en Europe, même s'il y a largement été diffusé en import américain.
Et bien, je ne l'ai su qu'il y a quelques années, mais ce 45 tours avec
Hustler's tango existait bien, mais dans une forme très limitée, celle d'un single hors commerce édité aux Etats-Unis à l'intention des radios et autres médias. Quelqu'un chez A&M espérait donc alors faire de ce tango acoustique, avec des cordes et des cuivres mais pas de guitare, un hit radio. Autant la chanson est excellente, autant ça semble un peu présomptueux : même au milieu des permissives seventies, quand il y avait des files d'attente devant les cinémas pour voir des films érotico-pornographiques, j'imagine qu'une chanson dont les premières paroles sont "
You say you want to rape, rape me bababy" avait très peu de chances de passer sur les grands réseaux, même si le verbe "violer" n'était pas répertorié comme un gros mot interdit d'antenne.
En tout cas, je m'étais posé la question avant de recevoir le disque, mais on entend bien sur ce 45 tours la version de l'album, sans que les paroles aient été modifiées ou bippées.
Hustler's tango est une chanson magique, donc, et je vais bien me garder d'essayer d'en déchiffrer la formule. J'en serai bien incapable, même s'il y a des ingrédients importants qui peuvent être identifiés : le rythme du tango, la voix de Lewis, les choeurs, les cordes (violons, violoncelles, banjo), les trombones (j'avais l'impression d'entendre un cornet, mais
dans sa présentation de la chanson pour le dossier de presse qui accompagnait le disque lors de sa sortie, Lewis mentionne des trombones), le piano, la basse, les paroles...
Ah, ces fameuses paroles. Initialement, les choses avaient l'air relativement simple. Dans ce "
Tango des putains", il est assez clairement question d'une passe à 20 dollars entre un jeune prostitué et un client plus âgé. Cette transaction est assimilée à un pacte faustien.
Tout ça, je l'avais compris tout seul, le nom de Faust étant mentionné dans les paroles, et Lewis le confirme dans
le dossier de presse. Par contre, il n'y faisait pas mention de la Bible. Hors,
lors de son récital Selected songs, Lewis Furey ajoute un prélude à Hustler's tango, pendant lequel il récite des versets de la Bible (
Genèse, chapitre 32, versets 28-32) où il est question du combat de Jacob contre un ange (dans
les paroles d'Hustler's tango, il est aussi question de lutter avec un ange).
En 1982, dans le programme du spectacle au Théâtre de la Porte Saint-Martin, on trouvait à propos d'
Hustler's tango une citation d'un poème de Jacques Prévert. Ce poème, c'est
Le combat avec l'ange.
Je ne suis pas assez versé dans l'exégèse de la Bible ni dans celle de Jacques Prévert, mais
Corinne François note bien, dans son analyse du recueil Paroles, que ce poème est "
une savoureuse interprétation, au pied de la lettre, du combat spirituel entre Jacob et l'émissaire de Dieu". Au bout du compte, les correspondances semblent plus nombreuses entre
Hustler's tango et le poème qu'avec la Bible, puisque chez Prévert et dans la chanson il est question de lutter avec un ange, donc, mais aussi de match truqué où tout est combiné d'avance et de ne plus jamais pouvoir faire l'amour.
Passer de la prostitution masculine sur les trottoirs de New-York ou Montréal à Prévert, le chantre des faubourgs parisiens, en faisant un crochet par la Bible : la chanson nous fait vraiment voyager !
Pour choisir la face B, A&M ne s'est pas trop foulé : ils ont tout bonnement pris la chanson qui suit
Hustler's tango sur l'album,
Last night.
C'est une ballade.
Une "pop song du lendemain", comme le précise Lewis Furey, son
Walk on the wild side sans saxophone mais avec une fanfare joyeuse à la fin. L'atmosphère de la chanson pointe vers une bluette, une ode à un nouvel amour au lendemain d'une rencontre, mais, comme souvent sur ce premier album, la dépravation côtoie le romantisme : Lewis (les paroles le mentionnent comme tel) avait l'habitude de ramasser des garçons pour les jeter aussitôt, et son nouvel amour de lady est sorti avec tous les gars du club...
LFP rec'ds vient de rééditer le premier album de Lewis Furey, sur lequel on trouve ces deux chansons. Le disque est désormais en vente sur le site de Lewis Furey. Il devrait l'être prochainement dans les grandes surfaces culturelles, en ligne et en téléchargement.
Il existe un enregistrement de Jacques Prévert récitant Le combat avec l'ange avec Henri Crolla qui l'accompagne à la guitare.