28 octobre 2023

GILBERT MONTAGNÉ : The fool


Acquis chez Récup'R à Dizy le 24 juin 2023
Réf : CBS 7315 -- Édité par CBS en Hollande en 1971
Support : 45 tours 17 cm
Titres : The fool -/- Hide away

Cela faisait quelques temps que je m'étais dit que, j'achèterais The fool le jour où je trouverais pour pas cher un exemplaire en bon état, car c'est une chanson que j'aime bien et qui me reste en tête. C'est ce qui a fini par arriver, à la ressourcerie une fois de plus. Et il s'agit d'un exemplaire fabriqué aux Pays-Bas (probablement destiné au marché français, les usines de pressage de CBS n'arrivaient peut-être pas à répondre à la demande...), avec un rond central à l'anglaise et des étiquettes imprimées, contrairement au pressage français qui est en plastique injecté.
J'ai pas mal de souvenirs attachés à ce disque, surtout parce que, le fameux jour où j'ai écouté des disques dans la chambre de ma tante, quand j'avais une douzaine d'années, soit en 1975 à plus ou moins un an près, il n'y avait pas que le Cat Stevens, des Slade ou The Sweet dans le lot, il y avait aussi ce premier disque de Gilbert Montagné.
Il se trouve que cette chanson est en anglais. Je ne sais pas dans quelle mesure Gilbert Montagné parlait l'anglais quand il l'a enregistrée, mais pour moi, qui faisait allemand comme première langue vivante au collège, c'était pas du tout. Alors, quand je chantais The fool, c'était en yaourt, et ça m'est resté : je chante toujours "The fool, ah aïe canne chui di lak" dans le refrain plutôt que "The fool, I can't really love"...!
Tout comme la musique, ces paroles, créditées à un certain Patrick Kent, sont tout à fait dans le jus de leur époque : le narrateur est amoureux, mais sa dulcinée tente de l'accaparer, de l'enfermer, alors que lui n'envisage qu'un amour "libre", comme on disait alors.

L'histoire de la chanson est intéressante. Montagné l'a composée avant un séjour aux États-Unis, et initialement il ne voulait pas l'interpréter. Alors qu'elle circulait chez des éditeurs, Adamo s'est montré intéressé, et au bout du compte c'est sa société A.A. Music qui a produit l'enregistrement au Trident Studio de Londres, avec des musiciens de session et arrangeur qui avaient l'habitude de travailler avec Elton John ou Joe Cocker (Il n'y a pas de crédits détaillés sur le 45 tours, mais sur l'album on note les noms d'Herbie Flowers, Nick Harrison, Caleb Quaye, Shwan Phillips, Madeline Bell, Barry Morgan).
Musicalement, avec du piano, des cordes, de la guitare électrique et des chœurs, on est dans des ambiances à la Cat Stevens, justement, voire Polnareff pour la France. Je me disais aussi qu'on n'est pas si loin que ça de Let it be.

La face B, Hide away, est moins énergique, avec trop de cordes. The fool restera probablement la seule chanson de Gilbert Montagné qui me plaît...!
Pour les cinquante ans de la chanson, il en a fait une nouvelle version, The fool in love, qui a le mérite de se démarquer effectivement de la version originale. Mais je vous en dispense. De même que, même si j'ai aussi plein de souvenirs associés à cette manifestation, je me suis dispensé d'assister au concert de Gilbert Montagné à la Foire de Châlons le 11 septembre dernier.







21 octobre 2023

JAMES BROWN : Sweet little baby boy


Acquis chez Récup'R à Dizy le 22 juillet 2023
Réf : 27 794 -- Édité par Polydor International Production en France en 1966
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Sweet little baby boy (Part 1) -- Sweet little baby boy (Part 2) -/- The Christmas song -- Don't be a drop out

Depuis 2008, quand je chronique un "disque de Noël" (, , ou encore ), j'ai pris l'habitude de le faire le 25 juin, jour de l'année le plus éloigné de l'omniprésente fête. Mais là, j'ai trouvé ce disque en juillet et je n'ai pas envie d'attendre juin 2024 pour en parler, d'autant que rien dans la pochette, à part la chanson intitulée The Christmas song, n'indique que trois des titres sont des chansons liées à Noël.

Je trouve régulièrement des disques intéressants à la ressourcerie Récup'R, près de chez moi. La preuve, depuis l'ouverture en 2016 celui-ci est le 21e disque chroniqué qui en provient, et carrément le 7e cette année. Mais en règle générale, ce ne sont pas à proprement parler des collectors que les requins du disque s'arrachent que j'y trouve, même s'il y a des exceptions, comme l'an dernier un EP de Dani de 1966 qui se vend plusieurs dizaines d'euros, mais qui ne m'a pas suffisamment intéressé musicalement pour que je le chronique, même si je suis bien content de l'avoir eu à 10 centimes !
De toute façon les EP des années 1960 rock ou rhythm and blues ne font pas long feu dans les Emmaüs ou les ressourceries, c'est pourquoi j'ai été surpris et bien content de tomber, entre deux disques de variété sans intérêt, sur ce 45 tours de James Brown en bon état, avec languette, que je ne connaissais pas du tout qui plus est, alors qu'avec le temps j'ai maintenant une bonne quinzaine de singles du Parrain de la Soul.

Pour faire des EP quatre titres, les labels français étaient amenés à compiler des 45 tours deux titres américains ou à ajouter des pistes d'album. Là, c'est le grand luxe, puisqu'on a droit à pas moins de trois faces A de singles sortis aux États-Unis en 1966 :

Ces disques sont tous les trois crédités à l'origine à James Brown & the Famous Flames. Les références catalogue indiquent qu'ils ont été sortis coup sur coup. Dont be a drop-out a été repris en 1967 sur l'album James Brown sings raw soul. Les deux autres ont été inclus sur James Brown sings Christmas songs, un album sorti en novembre 1966, à temps pour les fêtes de fin d'année. Et Polydor n'a pas tardé pour éditer ce 45 tours en France, puisque mon exemplaire comporte au dos un mot manuscrit "de la part de Michel" souhaitant "une bonne année 67. Avec mes baisers.".

Je n'attendais rien de particulier des chansons de Noël de ce disque, mais dans le genre elles se sont révélées tout à fait "supportables".

Sweet little baby boy est une chanson originale co-écrite avec le chef d'orchestre des Famous Flames Nat Jones. Sans trop de surprise, c'est une ballade avec cordes et piano mais l'arrangement reste sobre et ce type de chanson convient parfaitement vocalement à James Brown. Sur le 45 tours américain, la chanson était coupée en deux parties sur les faces A et B. Elles sont enchaînées ici, comme sur l'album.

The Christmas song
est une reprise d'une chanson co-écrite en 1944 par Mel Tormé et créée par le Nat King Cole Trio. Son sous-titre est Des châtaignes qui grillent dans l'âtre, mais l'adaptation française s'intitule plus prosaïquement Joyeux Noël !.
Là encore, le rythme est lent, avec, des cordes en intro. Je pensais logiquement que le label français nous avait mis la version 1 de cette chanson, mais non, c'est la 2. Et c'est un très bon choix : sur cette version 2, le chant de James Brown est plus énergique, plus soul, mais surtout, contrairement à la 1, il y a ici des cuivres bien présents, qui se mélangent aux cordes.

La très bonne surprise de ce disque, c'est le dernier titre, Don't be a drop out, lui aussi co-signé avec Nat Jones. Oubliée l'ambiance de Noël, on est ici dans le pur rhythm and blues, avec un son tendu à la Stax et même un chant dans la pure ligne d'Otis Redding. La rythmique basse/batterie/guitares n'est pas encore tout à fait funk, mais on s'en rapproche. Ajoutez à ça une section de huit cuivres, dont Nat Jones lui-même et Pee Wee Ellis, et des chœurs qui font "What he said" sur le refrain et hop, c'est parti, vous êtes déjà sur la piste de danse.
Un titre classique, mais réjouissant, qui est apparemment aussi l'une des premières chansons engagées de James Brown, contre le décrochage scolaire.
James Brown prend les choses à cœur dans ses paroles ("Without an education you might as well be dead"). Et il a joint les actes aux paroles, puisqu'il a participé à une campagne Stay At School, ce qui l'a amené à rencontrer le vice-président Hubert Humphrey. Il aurait aussi fait don de ses droits d'auteur pour cette chanson à des associations. Don't Be A Drop-Out, c'était aussi le nom de son fan club dans les années 1960.

Un 45 tours rare et intéressant, donc, comme on n'en trouve malheureusement pas toutes les semaines...!


Une publicité pour Don't be a drop-out parue dans la presse.


James Brown, Don't be a drop out, dans l'émission Where the action is enregistrée le 14 octobre 1966.

14 octobre 2023

LUNA : Superfreaky memories


Acquis par correspondance via Ebay en août 2023
Réf : BBQ 334CD / 031.2334.22 -- Édité par Beggars Banquet / PIAS au Benelux et en Allemagne en 1999
Support : CD 12 cm
Titres : Superfreaky memories (Radio edit) -- Neon lights -- The bad vibe merchant

Comme je le disais cet été, sur l'excellente compilation des Inrockuptibles Un printemps 99, j'avais découvert deux grandes chansons des années 1990, Instant street de Deus et Superfreaky memories de Luna. Les deux chansons ne sont pas enchaînées sur le CD (un titre de Pavement s'intercale), mais elles auraient aussi bien pu l'être car, outre qu'elles sont sorties au même moment, elles ont beaucoup en commun : elles sont plutôt longues, se situent dans un style de pop-rock à guitares avec un arrangement travaillé mais qui reste simple, et elles ont toutes les deux ce qu'on a défini pour Deus comme étant une fintro instrumentale. Et aussi, comme pour Deus, je n'ai pas acheté la bonne version du single, car apparemment l'édition anglaise contient bien la version complète de la chanson, qui fait autour de 5 minutes, tandis que mon édition européenne la réduit d'une bonne minute, soi-disant pour faciliter les passages en radio, et c'est justement la fin qui est coupée !

Superfreaky memories est extraite du cinquième album de Luna, The days of our nights, produit par Paul Kimble (de Grant Lee Buffalo, entre autres). Jane Scarpantoni est invitée au violoncelle, et il y a une deuxième voix très discrète, que j'entends comme féminine, mais si c'est le cas elle n'est pas créditée.
La diction de Dean Wareham sur les couplets me fait immanquablement penser à celle de Momus au moment de sa trilogie magique (The poison boyfriend / Tender pervert / Don't stop the night), mais je n'arrive pas à pointer un titre précis.
Le souvenir super bizarre qui a inspiré les paroles, Dean Wareham le raconte dans les notes de pochette du Best of Luna, c'est celui de Kristina, une lycéenne photographe qui avait deux ans de plus que lui et qui l'aguichait impitoyablement. Elle l'avait invité chez elle une nuit où ses parents étaient absents. Il espérait voir ses espoirs les plus fous se réaliser, mais tout ce qui l'intéressait elle c'était de le photographier avec l'attirail d'un drogué...!
Si je place Superfreaky memories un petit  cran en-dessous d'Instant street, c'est uniquement parce qu'elle n'est pas assez longue, même dans la version complète. Au moment où on sent que ça pourrait partir dans une belle envolée instrumentale, le son se met à baisser progressivement pendant 45 secondes et on sent bien que l'enregistrement est coupé en plein pendant la performance des musiciens.

Les deux faces B sont excellentes et l'ensemble donne un single de grande tenue.

On a d'abord Neon lights, une reprise de Kraftwerk (l'original était sur The man machine en 1978 et j'ai eu la chance de trouver en 2011 le maxi anglais fluorescent). J'ai déjà chroniqué un disque où cette version figurait, l'EP Close cover before striking.
Toujours dans les notes du Best of, Dean explique que cette reprise a été enregistrée le jour suivant la fin de l'enregistrement de l'album. Il dit même, mais il exagère, qu'ils ont attendu la fin pour produire leur meilleure journée de travail, puisqu'ils ont également mis en boite ce jour-là des versions de Sweet child o' mine de Guns and Roses et Emotional rescue des Rolling Stones (cette dernière n'ayant jamais été terminée).
Il a déjà été prouvé à maintes reprises que les chansons de Kraftwerk sont suffisamment bonnes pour être transposées dans des styles musicaux variés. Cette reprise est à mettre dans le lot de celles à guitares, qui comprend également Radioactivity par Kat Onoma et The model par Big Black.

The bad vibe merchant est une chanson originale de Luna précédemment inédite et qui n'a jamais été rééditée depuis. Au vu des crédits, on peut affirmer qu'elle date des sessions de l'album. Elle en a été écartée, et pourtant elle me plaît bien. Elle débute calmement, façon troisième album du Velvet Underground, avant de continuer en beaucoup plus rythmé.
Cette face B m'a causé bien des soucis. Pour vous la faire écouter, j'ai dû la repiquer et la mettre en ligne moi-même car il n'y en avait qu'une version disponible, sur la chaîne YouTube officielle de Luna. Or, à l'écoute, il a bien fallu se rendre à l'évidence, ce n'est pas la bonne chanson !
Après quelques recherches, j'ai fini par déterminer que, ce qu'on entend à la place, c'est High time amplifier (Witchman mix) de Ian Astbury, le chanteur de The Cult. Comment c'est possible ? Eh bien, c'est une erreur de base de données, puisque le single d'Astbury est sorti sous le même label que celui de Luna, avec la référence BBQ 344CD, alors que pour Luna c'était BBQ 334 CD...!
Mais ce n'est pas tout : avant d'acheter le single que je chronique via Ebay, j'en avais commandé un autre chez Momox. Et à la place du disque de Luna, j'avais reçu celui d'Astbury ! Je viens seulement de comprendre pourquoi aujourd'hui. J'ai été remboursé du disque, mais pas des frais de port pour le retour, toute l'histoire garde donc un petit goût amer. Au moins, ça m'a fait une anecdote à raconter...

Luna s'est reformé en 2015. Je ne sais pas si c'est parce que leur nom signifie Lune en espagnol, mais en tout cas ils vont donner six concerts en Europe à la fin de ce mois d'octobre, et tous les six seront en Espagne !

A écouter : Luna : The bad vibe merchant


Luna, Superfreaky memories, en concert à la salle Zeleste à Barcelone le 5 octobre 1999.


Luna, Superfreaky memories, en concert à Elsewhere à New York le 18 octobre 2019. Pour l'occasion, Britta Phillips laisse sa place au bassiste original Justin Harwood.

07 octobre 2023

GEORGIUS : Ça... c'est de la bagnole


Acquis sur le vide-grenier du Jard à Épernay le 13 août 2023
Réf : PA 1474 -- Édité par Pathé en France en 1938
Support : 78 tours 25 cm
Titres : Ça... c'est de la bagnole -/- Elle aime bien sa mère

Ainsi, en 2023, pas en 1973, on a un Président de la République qui déclare "On est attaché à la bagnole, on aime la bagnole. Et moi je l’adore". Tant qu'on en restera à ce genre de positionnement sur la question, on arrêtera de s'étonner, par exemple, qu'on autorise à la vente des véhicules lourds et énergivores roulant à plus de 200 km/h, alors que la vitesse sur nos routes est limitée depuis des années à 130.
Ce qui est sûr en tout cas, c'est que la voiture est au cœur de nos vies depuis plus d'un siècle. La chanson de Georgius qui nous intéresse aujourd'hui n'en est que l'une des multiples illustrations.

Georgius ("Chanteur, comédien, compositeur, scénariste, romancier, homme de théâtre, directeur de music-hall et parolier (plus de mille cinq cent chansons)") est certainement un peu oublié de nos jours. J'ai déjà eu l'occasion de chroniquer des interprétations de chansons qu'il a écrites par Robert Daron et Tramel le Bouif, mais je n'avais pas de disque de lui, jusqu'à ce que je tombe cet été sur celui-ci, sur le Jard à Épernay. Je n'ai pas acheté beaucoup de 78 tours cette année, mais le même jour j'ai aussi acheté un Maurice Chevalier sur un autre stand.


Les pochettes des 78 tours n'étaient pas illustrées, mais les partitions petit format l'étaient heureusement.

Ça... c'est de la bagnole, de 1938, c'est la complainte du pas riche qui se paie une auto d'occasion pour épater sa petite amie Mimi. Et évidemment c'est le début des mésaventures, contées entre deux couplets-refrains dans un assez long monologue, mais la chanson est entraînante et reste bien en tête.
Sur le sujet increvable des tacots dangereux, quelques générations plus tard, j'ai déjà évoqué Dear Dad de Chuck Berry et la
Dodge Veg-o-Matic de Jonathan Richman.

Je n'ai trouvé en ligne ni les paroles ni un enregistrement de cette chanson, mais en 1945, à une époque où Georgius a été interdit de scène pour un an en raison de ses activités pendant l'Occupation, il a abordé à nouveau ce thème de l'épave roulante en signant les paroles de Ça tourne pas rond, une chanson interprétée par André Dalt. En tout cas, ça semble clair au vu de l'illustration de la partition :



En face B, Elle aime bien sa mère est présentée comme une "chanson attendrissante". L'héroïne est une gourgandine, une crapule, une mégère et une catin, dangereuse et meurtrière, qui s'en sort dans la vie grâce à son amour pour sa mère et parce qu'elle pleure aux enterrements. Dans l'esprit, on est proche d'une autre chanson intitulée Ça tourne pas rond, créée dans les années 1950 sur des paroles de Francis Blanche.



L'excellent site Du Temps des Cerises aux Feuilles Mortes, qui a été ma principale source d'information pour cette chronique, mentionne donc 1500 chansons écrites par Georgius, mais il n'en a enregistré "que" 181.
Parmi celles qu'il a créées sans les enregistrer, il y a Le fils-père, où Georgius imagine en 1924 ce que ça donnerait si l'opprobre était le même pour les hommes qui "fautent" et enfantent hors mariage que pour les femmes. C'est un vrai mélo de chanson réaliste, avec le héros Jules qui se fait charcuter pour "faire passer" l'enfant et qui termine sur le trottoir. En bonus, voici un document inattendu de 1973, où l'on voit Marcel Duhamel, qui a publié dans la Série Noire sept romans écrits par Georgius sous le pseudonyme de Jo Barnais, chanter Le fils-père.


Georgius, à la télévision le 1er octobre 1966, probablement dans une émission de Jean-Christophe Averty, mime Ça... c'est de la bagnole sur l'enregistrement original de 1938.