27 août 2022

ALTERED IMAGES : I could be happy


Acquis sur le vide-grenier de Pogny le 12 mai 2019
Réf : A-1834 -- Édité par Epic en Europe en 1981
Support : 45 tours 17 cm
Titres : I could be happy -/- Insects

Il y a quelques années, j'avais dans l'idée de chroniquer ici mon maxi I could be happy  d'Altered Images, acheté neuf au Carrefour de Châlons-sur-Marne au moment de sa sortie. Impossible de mettre la main dessus. Pourtant, pour les 30 cm, il y a moins de possibilités de les égarer que les 45 tours, qui sont un peu partout dans la maison.
Assez vite, j'ai trouvé ma compilation Collected images, achetée 10 francs au stand d'A La Clé de Sol à Reims lors de la braderie de la Quasimodo, vers la fin des années 1980, mais aucune trace du maxi qui aurait dû se situer à ses côtés (je n'ai pas d'autre grand format de ce groupe).
Ce n'est que quelques temps plus tard, quand j'ai entrepris une nouvelle recherche, que les souvenirs ont commencé à remonter des brumes de mon cerveau. En étudiant la liste des titres de la compilation, je me suis rendu compte que c'est la version maxi d'I could be happy qui y figure. Alors, petit à petit, j'ai refait le raisonnement que j'avais dû faire au début des années 1990, quasiment la seule période où j'ai revendu une toute petite partie de mes disques : puisque les titres du maxi sont tous sur la compilation, alors pas besoin de garder le maxi, ça fera de la place et rentrera un petit peu d'argent.
Je n'en ai aucun souvenir précis, mais c'est bien ce que j'ai dû faire, vu que je n'ai plus le disque. Et inutile de préciser que je trouve aujourd'hui que c'est un raisonnement à la con et que j'aurais mieux fait de garder mon maxi. Et c'est pour rattraper en partie les choses que j'ai pris ce 45 tours quand je suis tombé dessus pas si loin que ça de Châlons il y a trois ans.

Je me souviens très bien de ma première écoute d'I could be happy. C'était la version longue, dans l'émission Feedback de Bernard Lenoir, et il l'avait introduite en parlant des procédés de production sur ce remix de Martin Rushent (réputé pour son travail avec les Stranglers, les Buzzccoks, Téléphone et le Human League de la deuxième génération). Apparemment, la rumeur disait que la batterie qu'on entend sur ce remix n'est pas jouée par un humain, mais serait "électronique", même s'il est impossible d'entendre la différence... De ce point de vue là, les choses ont beaucoup évolué en quarante ans ! Et de nos jours, on peut revoir facilement l'émission de la télévision anglaise Riverside diffusée le 25 mars 1982, au cours de laquelle Martin Rushent explique justement comment il fabrique un "dance mix" de See those eyes, le single suivant du groupe.

Ce que je ne connaissais pas à l'époque, c'est le lien entre les écossais Altered Images et Siouxie and the Banshees. En bons fans, les membres d'Altered Images avaient envoyé une cassette démo à Siouxsie and the Banshees, ce qui les a menés à faire leur première partie lors d'une tournée en 1980. Et c'est le bassiste des Banshees Steven Severin qui a produit leur premier album, à l'exception notable de la chanson-titre Happy birthday, pour laquelle on trouvait déjà Martin Rushent aux manettes.
Musicalement, il y a des cousinages entre les deux, mais du point de vue de l'ambiance et de l'image, Altered Images avec leur côté pop, acidulé et coloré c'est un peu le yin et le yang avec Siouxsie et ses Banshees, qui font plutôt dans le sombre, tendance gothique.

I could be happy est sortie à peine trois mois après le premier album. Ce single a eu du succès, en se classant dans les dix meilleures ventes du moment, mais pas autant qu'Happy birthday, qui était monté à la deuxième place. C'est une chanson on ne peut plus gaie et légère, sauf que, en y regardant bien, les paroles évoquent une rupture, ou en tout cas un projet de rupture.
On était en pleine vague synthétique et Martin Rushent était réputé pour ses innovations électroniques, mais pour ce titre la formule musicale reste très basique, avec guitares, basse, batterie et pas de claviers.
La chanson est excellente, avec rien que dans les trente premières secondes deux plans intéressants de guitare, avec un son un peu surf music, et une ligne de basse intéressante. La version maxi rallonge la sauce de plus de deux minutes mais, dans ce genre d'exercice assez casse-gueule, c'est plutôt une réussite.
Une version enregistrée sans fioritures pour la BBC a un petit côté Bow Wow Wow au niveau de la batterie.

J'ai toujours beaucoup aimé la face B Insects. Quand j'ai vu que la chanson figurait déjà sur l'album Happy birthday, produite par Steven Severin, j'ai cru qu'il avait une erreur dans les crédits du single, qui indiquent Rushent comme producteur. Mais non, la chanson a bien été ré-enregistrée pour cette face B. Et si, pour le coup, on entend bien l'influence des Banshees, c'est la deuxième version que je préfère.
Il y avait eu une première version, enregistrée dès 1980 pour une Peel session.

Une autre raison pour ne pas vendre mon maxi, c'est que je me suis planté en pensant que les trois pistes du disque étaient sur ma compilation. Certes, on y trouve bien le premier single Dead pop stars, mais sur le maxi c'était aussi une version ré-enregistrée qu'on trouvait en deuxième face B. Retitrée Disco pop stars et jouée sur un rythme un peu ska, cette version est pour le coup très décevante.

I could be happy
(version longue) a été repris sur le deuxième album Pinky blue en 1982. Le groupe s'est séparé après la sortie du troisième album Bite en 1983. John Peel, qui soutenait le groupe et qui fait même une apparition sur Pinky blue, a bien expliqué comment les branchés ont très vite tourné le dos à Altered Images, pour les raisons mêmes qui les avaient fait les apprécier au départ, leur côté léger, enjoué et coloré. Et comme le succès grand public n'a pas été au rendez-vous, le groupe s'est vite retrouvé dans une impasse.

Depuis le début du siècle, la chanteuse Clare Grogan se produit régulièrement sur scène sous le nom d'Altered Images, mais c'est un hasard complet si je chronique ce vieux 45 tours au lendemain même de la sortie du quatrième album du groupe, Mascara streaks, qui arrive donc 39 ans après le précédent. Clare Grogan est la seule membre originale du groupe, mais Stephen Lironi était déjà présent sur Bite (et il est maintenant l'époux de Clare Grogan).




Altered Images, Insects, en direct dans l'émission Old Grey Whistle Test, probablement en 1981.

19 août 2022

JUAN MONTEGO AND THE KINGSTON ORCHESTRA : Shame and scandal in the family


Acquis par correspondance via Discogs en août 2022
Réf : 152.040 MCE -- Édité par Mercury en France en 1965
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Shame and scandal in the family -- On the desert road -/- Shaking the blues -- Walking around Trinidad

C'est en rédigeant la chronique du 45 tours de Terry Montana que j'ai découvert que l'auteur de sa (bonne) face B, Charles Talmage alias Jean-Claude Pelletier, était aussi celui de la musique du générique de La séquence du spectateur.
C'est une musique que j'aime beaucoup et que j'apprécie depuis longtemps. Je me souviens que, dans la deuxième moitié des années 1990, les amis de L'Opération Kangourou l'avaient passée lors d'une surprise-partie qu'ils animaient. J'en avais profité pour leur demander la référence de ce morceau et ils m'avaient répondu : On the desert road par Juan Montego.
Je ne sais plus s'ils avaient ce titre sur un 45 tours ou une compilation, mais en tout cas j'ai été attentif toutes ces années et je ne suis jamais tombé dessus. Cette fois, j'ai pris le taureau par les cornes et j'ai directement commandé ce disque, qui est sauf erreur de ma part celui qui correspond à la publication originale de la musique qui a été ensuite été utilisée pour le fameux générique.

Le titre principal de cet EP est une reprise de Shame and scandal in the family. Cette chanson a une histoire intéressante et complexe.
Elle a été créée par Sir Lancelot en 1943 sous le titre Fort Holland calypso song pour le film Vaudou (I walked with a zombie) de Jacques Tourneur. L'apparition de Sir Lancelot dans le film est marquante :



Sir Lancelot a ensuite publié en 78 tours vers 1944 une version orchestrée de la chanson sous le titre Shame and scandal. Cette chanson a eu du succès et a été reprise par d'autres artistes, mais tout a pris une autre dimension en 1962 quand Lord Melody l'a adaptée sous le titre Wau, wau (parfois orthographié Waa waa). En effet, c'est lui qui a changé les paroles des couplets et introduit ce qui fait une bonne partie du sel de la chanson, l'histoire du gars qui veut se marier, à qui le père répond à chaque fois que ce n'est pas possible car "cette fille est ta sœur et ta mère ne l'sait pas", jusqu'à la chute, quand la mère le rassure en lui expliquant que "ton père n'est pas ton père et ton père ne le sait pas" !

Je n'en suis pas certain, mais je pense que c'est la version de Scandal in the family enregistrée par Shawn Elliott en 1964 qui a fait de cette chanson un tube énorme en France en 1965. Vogue l'a sortie en EP (avec deux chansons de Derek Martin sur la face B) et a même réussi à en tirer un album à partir des quatre titres du EP complétés par d'autres artistes à leur catalogue. Cette version a dû avoir du succès, puisqu'un scopitone a même été tourné à Paris.
Sur l'album, on trouve la mention "Le vrai... Le seul... L'original". Certainement pas la seule, certainement pas l'originale si on pense à Sir Lancelot et Lord Melody, mais effectivement la vraie version de Shawn Elliott !
En tout cas, une fois la chanson adaptée en français par Maurice Tézé, c'est une véritable marée de versions de Scandale dans la famille qui a déferlé sur la France, à commencer probablement par Sacha Distel, collaborateur attitré de Tézé. Les Surfs et Dalida ont aussi eu du succès avec ce titre. Et il  existe des enregistrements par une brochette d'autres artistes déjà chroniqués ici : Aimable, André Verchuren, Gérard La Viny, Jacky Noguez et Georges Jouvin !


La couverture d'une partition de 1965 pour Scandale dans la famille.

Je pense que la seule raison d'être du 45 tours qui nous intéresse aujourd'hui, c'est la volonté de Mercury de capter une part du gâteau du succès de Scandale dans la famille.
Côté versions chantées en français, le marché était saturé. Idem pour les interprétations instrumentales. Alors Mercury s'est rabattu sur une version en anglais, en tentant de mettre toutes les chances de son côté. Toutes, sauf peut-être l'illustration de pochette : si quelqu'un trouve un rapport entre cette jeune femme qui tient des gélatines (qui servaient à colorer les projecteurs) et la chanson principale, merci de me le dire. J'ai eu beau me creuser, je n'en ai trouvé aucun !
Pour le reste, ils ont mis le paquet. Bandeau bien lisible "Original from Trinidad" tout en haut, alors que le disque ne contient rien d'original et qu'il est produit à Paris, pas à La Trinité, où la chanson est née et où se passe son action.
Ensuite, c'est le titre de la chanson qui est mis en valeur en très gros, avec une typographie travaillée.
Le nom de l'artiste n’apparaît qu'en petit en bas à droite, presque comme une arrière-pensée. Il faut dire qu'il est complètement bidon. Puisqu'il s'agit de musique un peu latino-exotique, l'artiste est nommé Juan Montego (alors qu'il s'agit de Jean-Claude Pelletier/Charles Talmage) tandis que l'orchestre est censé venir de Kingston. Certes Kingston est situé dans les Caraïbes, mais à la Jamaïque, soit à 2000 km environ de la Trinité, mais c'est un détail ! Notons que, au moins, cette erreur n'est pas répétée sur le seul autre 45 tours de Juan Montego, qui est soi-disant "En direct de Cuba", avec un orchestre baptisé The Sound of Habana.

Pour ce qui est de Shame and scandal in the family par Juan Montego, il n'y a pas à chercher loin pour trouver l'inspiration pour sa production et ses arrangements : c'est un décalque très fidèle du disque de Shawn Elliott. Avec un bon point : le chanteur inconnu s'en sort très bien, notamment du point de vue de l'accent anglais, et mimique parfaitement Elliott.
Mission accomplie donc, mais ensuite il fallait bien trouver de quoi remplir les quatre titres du EP. Plutôt que de se lancer dans d'autres reprises du moment, c'est Charles Talmage qui s'y est collé pour créer trois compositions instrumentales "originales".
Les quatre titres du disque sont présentés comme étant dans le style "Typical shake". J'ai cherché, mais je ne sais pas d'où vient cette expression. Je l'ai juste trouvée comme titre d'un morceau et comme style musical sur des disques sortis postérieurement par le Typical Trinidad Orchestra. On serait plutôt attendu à voir la mention calypso ou cha cha cha.
En tout état de cause, quand l'enchaînement se fait sur le disque entre Shame and scandal in the family et On the desert road, on est prévenu, on s'attend à quelque chose dans le même style, mais ce qui saute aux oreilles dans ce contexte, c'est que l'instrumental de Charles Talmage est un décalage très léger de la composition précédente. La construction musicale est similaire et les ingrédients musicaux sont les mêmes (percussions, basse en avant, guitare rythmique en contre-temps à la jamaïcaine, orgue, cuivres), sauf qu'ils arrivent un peu dans le désordre. On a presque l'impression d'entendre une version instrumentale de Shame and scandal in the family. Écoutés séparément, je n'aurais sûrement jamais pensé à faire le rapprochement, mais là c'est flagrant. Et c'est aussi excellent !
La même recette est strictement appliquée pour les deux titres de la face B, Shaking the blues et Walking around Trinidad. Quand Shaking the blues démarre, on a même l'impression que c'est la suite d'On the desert road, mais après ça prend plus une couleur de musique de film.
Pour le coup, la parenté est évidente entre ces trois instrumentaux et Just a little talk with you, la face B du 45 tours de Terry Montana, elle aussi créditée à Charles Talmage.

Pour ce qui est de l'utilisation d'On the desert road comme musique du générique de La séquence du spectateur, on trouve un peu partout, à commencer par chez la Bibliothèque Nationale de France et chez Wikipedia, une information erronée comme quoi ce titre aurait été composé en 1953. Non. Jusqu'à preuve du contraire, la première parution de ce titre est sur ce 45 tours de 1965, et on a vu qu'il a été spécifiquement composé à la manière de Scandale dans la famille. 1953, c'est la date de lancement de La séquence du spectateur et, comme Wikipedia l'indique pour le coup, à cette époque la musique du générique était différente (selon les sources, c'était soit La ronde de l'amour d'Oscar Straus, du film La ronde de Max Ophuls, soit la Carousel waltz de Rodgers et Hammerstein, du film Carousel).
Ce qui est sûr en tout cas, c'est que, en 1965 ou quelques temps plus tard, quelqu'un a eu l'excellente idée de prendre les 32 premières secondes d'On the desert road pour sonoriser le générique de l'émission. Un grand coup. Et ce qui ne laisse pas de m'étonner, c'est que personne à l'époque chez Mercury n'ait eu l'idée de ressortir ce 45 tours de Juan Montego avec une nouvelle pochette mettant en avant La séquence du spectateur. Il se serait vendu comme des petits pains et on le trouverait encore aujourd'hui sur la plupart des vide-grenier !

Pour ma part, je suis très content de cet achat. un bon disque qui m'a permis de me plonger dans deux histoires musicales, celle de Scandale dans la famille et celle de La séquence du spectateur.



Deux versions, l'une des années 1960, l'autre des années 1970, du générique de La séquence du spectateur avec On the desert road comme musique.

12 août 2022

FELT : The pictorial Jackson review


Acquis par correspondance chez Cherry Red en avril 2022
Réf : FLT CD 187 -- Édité par Cherry Red en Angleterre en 2022
Support : CD 12 cm
10 titres

J'ai cet album en 33 tours depuis sa sortie originale en 1988 (j'en ai parlé ici en 2007) et, pour ce qui est de Felt, j'ai pas mal fait le tour de la question en publiant en 2011 mon livre La ballade du fan. Cependant, j'ai décidé d'investir dans cette réédition récente pour une simple et bonne raison : elle contient deux titres que je n'avais pas dans cette version et que je ne connaissais pas du tout !

Depuis la séparation du groupe fin 1989, Lawrence gère de près le catalogue de Felt et les rééditions se sont multipliées depuis le coffret Felt de 1993 (qui couvrait la première période du groupe chez Cherry Red) en s'appuyant le plus souvent sur le mythe qu'il a bâti au moment où il a arrêté du groupe, celui d'un groupe qui a accompli un plan tracé d'avance de sortir 10 albums et 10 singles pendant la décennie des années 1980.
Lawrence est réputé pour son refus d'ajouter des titres bonus et des inédits aux rééditions de ses albums. On pourrait donc s'attendre à ce que les rééditions qu'ils supervisent soient celles d'une œuvre gravée dans le marbre, se rapprochant le plus proche possible de l'édition originale. Sauf que c'est exactement l'inverse qui se produit : chansons en moins (ou rarement en plus) sur les albums, modification du titre de chansons ou d'albums, pochettes complètement modifiées et même, pour Ignite the seven cannons en 2018, remixage d'une majorité des titres !

En 2018, on a eu droit à une vague de rééditions de tous les albums, sous deux formes :
  • Des 33 tours reprenant plus ou moins la pochette originale.

  • Des coffrets comprenant un album en CD, sans sa pochette originale, plus un 45 tours, parfois pas en rapport direct avec l'album en question, et aussi des badges, une affiche et des reproductions de tracts.
Les rééditions en 33 tours ne m'intéressent pas. Celles en CD, pourquoi pas, mais les coffrets zombies avec 45 tours m'ont paru une très mauvaise idée et je les ai soigneusement évités.
Parmi les dix titres concernés, j'aurais quand même dû me pencher de près sur la réédition 2018 de The pictorial Jackson review, qu'elle soit en 33 tours ou en coffret, qui modifie l'original. Et ça tombe bien car cet album original m'a toujours posé problème, au point que, en 2007, j'avais imaginé une solution pour y remédier avec la publication sur mon label virtuel de The EPictorial Jackson review.

Voilà comment je présentais ce disque virtuel dans ses notes de pochette :

"I was going to be a personality, I was going to be so well known, What went wrong I don't know" ("How Spook got her man")

L'album "The pictorial Jackson Review", l'avant-dernier de Felt, est sorti au printemps 1988, un an et demi avant la séparation du groupe. Si on en croit la citation ci-dessus, certes tirée de son contexte, Lawrence avait déjà le sentiment que ses rêves de gloire étaient en train de s'évanouir.
Tout au long de sa carrière, Felt a eu bien du mal à produire des albums calibrés suivant les préceptes de l'industrie du disque : une œuvre regroupant 10 à 14 titres d'au moins une trentaine de minutes. Des mini-albums 6 titres au maxi 5 titres ("The final resting of the ark") en passant par l'album de 16 minutes ("Let the snakes crinkle their heads to death"), cette variété rend encore plus risible la légende créée par Lawrence au moment de la séparation du groupe, comme quoi il avait sorti 10 singles et 10 albums et 10 ans. Cette légende, reprise par toutes les bios depuis, avait de toute façon un énorme défaut congénital : Lawrence avait délibérément écarté de son décompte "Index", le premier de ses 45 tours !
Lawrence semble pourtant apprécier que les choses soient claires et carrées. Personnellement, l'album "The pictorial Jackson Review" m'a toujours posé problème à cause du déséquilibre complet entre ses deux faces (il s'agit à cette époque encore d'un album conçu pour le vinyl : il ne sera édité en CD, couplé avec l'album suivant, que six mois plus tard). Sur la première face, on trouve huit courtes et excellentes chanson, qui s'enchaînent parfaitement, avec un bon équilibre orgue/guitare, à mi-chemin entre le Dylan de 1965 (à moins que ce soit celui de 1974) et le Lou Reed de "Rock'n'roll heart". Sur la face B, on trouve deux titres instrumentaux, un de douze minutes et un de trois minutes, composés et interprétés en solo au piano par Martin Duffy.
Je suis persuadé du talent de claviériste de Martin Duffy, et je n'ai absolument rien contre lui, mais en près de vingt ans j'ai dû écouter en tout et pour tout trois fois la face B de "The pictorial Jackson Review", alors que je me délecte régulièrement des huit titres de la face A, et particulièrement de mes préférés, "Until the fools get wise", "Don't die on my doorstep", "Under a pale light", "How Spook got her man" et "Apple boutique".
C'est en repensant à tous ces EP 4 titres des années 60 que j'apprécie, et aussi à mes double 45 tours des années 80, comme le "Sunspots EP" de Julian Cope, que j'ai fini par avoir l'illumination. Oui, Creation s'est complètement planté en éditant l'album sous cette forme. La face B aurait pu être réservée à un album instrumental (l'édition CD de "Train above the city" par exemple), et surtout les autres titres auraient dû être édités en EP, en double EP pour être précis : 2 disques, 2 faces par disque, 2 titres par face. Ce n'est pas le nombre d'or, mais on s'en rapproche !
Grâce à Vivonzeureux! Records, cette édition parfaite existe désormais. "The EPictorial Jackson review", c'est son nouveau titre, reprend les huit titres de la face A de l'album, dans leur ordre original, la seule fantaisie étant d'avoir nommé les faces F, E, L et T. Insérés dans une pochette ouvrante cartonnée blanche et mate, comme pour l'édition vinyle originale, cet EP se conservera parfaitement et vous procurera du plaisir musical pendant de longues années.


Il semble que Lawrence soit arrivé à une conclusion assez proche. Certes, il n'existe toujours pas de version double EP de l'album, mais en 2018 Lawrence a bel et bien supprimé les deux titres instrumentaux pour les remplacer par deux inédits, courts et chantés comme les huit autres titres.
Voilà comment les choses étaient présentées sur l'autocollant apposé sur le vinyl, un texte repris dans le livret de l'édition CD de 2022, qui contient les mêmes dix titres :

To understand ‘The Pictorial Jackson Review’ we must acquaint ourselves with Lawrence’s original inspiration – The Byrds ‘Notorious Byrd brothers’. He was obsessed by short albums full of short melodic songs.
A last-minute panic though ended in the dismantling of the track list. Two of the songs that did not seem to fit were replaced with two songs that absolutely definitely did not fit. Logic becomes perverse when panic sets in.
Here at last is the original album in all its ten short pop song glory.  Concise – minimal – a dash through a built-up area rather than a stroll in an open vista. It’s like Vic Godard said – “blind alleyways allay the jewels”!!


(Notons pour le plaisir du détail que, dans le texte de présentation du CD qui figure sur le site de Cherry Red, la référence à l'album des Byrds a disparu, pour faire place à deux autres albums courts, Nashville Skyline de Dylan et Friends des Beach Boys)

L'information importante que nous donne ce texte, c'est qu'initialement ce disque devait être un album court de chansons mélodiques courtes et que c'est au dernier moment que Lawrence a paniqué et viré deux des chansons pour les remplacer par les instrumentaux. Les rééditions de 2018 et 2022 sont donc un retour au projet initial de l'album.

La conséquence pour le fan de Felt, que je suis, c'est qu'on a droit à deux enregistrements précédemment inédits. Et c'est pas rien car, sauf erreur de ma part ce sont les seuls publiés depuis la séparation de Felt, en-dehors du DVD live A declaration.
Il s'agit d'enregistrements inédits, mais pas de chansons inédites.
En effet, une excellente version de Tuesday's secret a été enregistrée et publiée en août 1988 en face B du maxi Space blues. La première version, celle qu'on trouve maintenant sur The pictorial Jackson review, est un peu plus brute, mais elle est très bien également.
Quant à Jewels are set in crown, j'ai cru initialement que c'était une chanson complètement inédite, mais quand même, les paroles "You say stop, I say go" me rappelaient quelque chose. C'est Michaël Korcia, qui avec son groupe Watoo Watoo a justement repris Tuesday's secret pour un album hommage à Felt, qui m'a évité de perdre du temps à chercher en m'indiquant que cette chanson était devenue par la suite Ape hangers, publiée en 1992 en face B du single Middle of the road de Denim.

En fin de compte, pas de double EP, mais j'ai quand même eu ce que je voulais, The pictorial Jackson review est désormais un album très court (moins de 25 minutes) et enfin cohérent. Je tiens à le préciser, les quatre titres que je ne mentionne pas dans mon texte de 2007 (Apple boutique, Ivory past, Bitter end et Christopher Street) sont eux aussi excellents.

Alors, satisfait ? Presque complètement, oui. Il reste encore la question de la pochette.
Je ne vais pas dire que je trouve que la pochette initiale, en grande partie blanche et unie, est une réussite. Mais au fil des années, je me suis raconté une histoire qui permet de lui donner un sens : le titre de l'album, dérivé du héros Pictorial Review Jackson du roman Pic de Jack Kerouac, pourrait se traduire en Chronique picturale de Jackson et la page/toile blanche de la pochette originale nous serait offerte pour faire cette chronique visuelle de Jackson (Pollock)...
Mais la pochette de 2022 s'inscrit dans la série des dix pochettes de ces rééditions. Elles ont en commun de proposer des variations sur des jeux de typographie aux perspectives éclatées à partir des lettres qui composent le nom du groupe. Le but d'avoir une unité graphique pour la collection est atteint, mais je crois que je préfère encore la pochette originale...!

Je n'ai jamais fait l'effort d'aller voir Denim ou Go-Kart Mozart sur scène, mais le mini-festival Paris Popfest a l'air très sympathique, alors j'ai pris mon billet pour le concert de Mozart Estate (c'est ainsi que Lawrence a récemment rebaptisé son groupe) le 23 septembre au Hasard Ludique à Paris. Et en plus, il y aura à la même affiche The Very Most, des américains dont j'ai récemment chroniqué la chanson Jonathan Richman.

05 août 2022

TERRY MONTANA : Why can't we live together (Pourquoi ne pas vivre ensemble)


Acquis au Foyer Aubois à La Chapelle Saint Luc le 25 mars 2022
Réf : 45 V. 4226 -- Édité par Vogue en France en 1973
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Why can't we live together (Pourquoi ne pas vivre ensemble) -/- Just a little talk with you

Après l'André Brasseur et le Blues de Bresse, c'est le troisième disque lié à Vogue que je chronique de suite, mais c'est un pur hasard. En tout cas, c'est une confirmation de la variété des disques produits au fil des décennies par ce label.

Ce jour-là, avant de me rendre au concert de Gontard et d'acheter un 45 tours d'Eliott sur les lieux mêmes du concert, je m'étais arrêté au Foyer Aubois. Il y avait beaucoup de disques, mais j'étais arrivé peu de temps avant la fermeture. J'ai donc dû aller à toute vitesse pour passer tout en revue, mais ça valait le coup car je suis reparti avec une bonne quinzaine de 45 tours et une dizaine de CD.

Dans le lot, c'est ce 45 tours qui m'a d'emblée paru le plus intéressant. D'abord parce qu'il pouvait me donner l'occasion de rendre hommage à Timmy Thomas, mort à 77 ans pile deux semaines plus tôt. Et ensuite parce que, après le titre original Why can't we live together, on trouve entre parenthèses sur la pochette et sur la rondelle un titre français, Pourquoi ne pas vivre ensemble. J'étais donc en droit d'espérer avoir affaire à une adaptation français de ce tube des années 1970.
Et puis, en m'intéressant à ce disque, je réussis l'exploit de chroniquer une deuxième version de Why can't we live together, après celle l'an dernier du Synthetic Cha Cha Band, en gardant toujours dans ma besace l'incontournable version originale par son créateur, ainsi que, dans une réédition parue en 1979 chez... Vogue (!), une version en public de ce classique.

Why can't we live together délivre un message d'espoir, de paix et de fraternité. Ça fait toujours du bien à entendre. Musicalement, la version de Terry Montana est très proche de la version originale de Timmy Thomas, avec une instrumentation à base de percussions et d'orgue. La seule déception de ce disque est que la chanson est interprétée avec ses paroles originales anglaises. Pas celles françaises signées Jean Eigel (un pseudonyme de Julien Bruyninx, apparemment). Il est pourtant bien crédité sur le disque, une pratique courante pendant longtemps en France, qui permet à l'adaptateur de toucher une partie des droits (même dans le cas d'une version instrumentale !).
En plus de ce 45 tours, j'ai trouvé en ligne une partition avec le titre français et le crédit à Jean Eigel. Je suppose que quelqu'un a dû enregistrer une version en français du tube de Timmy Thomas, mais je n'en ai pas trouvé de trace pour l'instant.

La bonne surprise et le véritable intérêt de ce disque, c'est sa face B, Just a little talk with you. On reste complètement dans l'ambiance de Why can't we live together, avec un titre dominé par les percussions et l'orgue. Sauf que là il y a en plus une basse, qui joue le Peter Gunn theme ou quelque chose d'approchant (et j'aime beaucoup les dérivés du Peter Gunn theme, comme Planet Claire des B-52's ou Macadam de Christophe). La voix est là, mais elle est peu présente (pas de paroles) : elle ne fait qu'accompagner/encourager l'interprétation des musiciens. A certains moments, il y a une ambiance un peu jazz façon Mission impossible. J'ai ressenti la même chose il y a pas longtemps avec la face B Bongós de Moshé.

La grande question, c'est de savoir qui est Terry Montana. On a la photo de pochette, qui a priori le représente. On voit un jeune homme au clavier, en train de chanter, bien mis de sa personne dans le style de l'époque. Avec ses lunettes foncées, il évoque d'autres grandes figures du clavier, comme Ray Charles, Stevie Wonder, Gilbert Montagné ou Michel Polnareff.
Et c'est tout ce que je peux dire sur Terry Montana ! A priori, il n'a pas sorti d'autre disque et je n'ai trouvé aucun autre crédit discographique le concernant. Et ce n'est pas simple de chercher des informations à son sujet car les moteurs renvoient surtout des informations sur le village de Terry dans le Montana !!

Parmi les rares bribes d'information disponibles sur la pochette, on trouve la mention "Produced by Ray Montana for Belgravia Records".
Ça laisse soupçonner l'existence d'un Ray Montana, qui serait apparenté à Terry, et l'anglais et le "Records" donnent un cachet international à l'ensemble. Sauf qu'on ne trouve rien dans Discogs sur un Ray Montana qui aurait officié à l'époque de la parution de ce disque, et rien non plus sur une éventuelle édition originale de ce disque sur un label nommé Belgravia. De toute façon, le crédit photo au français Eric d'Adhémar de Lantagnac nous confirme que ce disque, dont la principale raison d'être est d'essayer de capter une partie du succès du titre de Timmy Thomas, est une production bien de chez nous.

Et c'est confirmé par la seule information utile que j'ai fini par trouver : le crédit d'auteur de Just a little talk with you à Charles Talmage. Selon Discogs, ce serait l'un des pseudonymes utilisés par le compositeur, arrangeur et chef d'orchestre Jean-Claude Pelletier. C'est sous ce nom qu'il a notamment signé On the desert road, un titre qui a longtemps servi de générique à l'émission de télévision La séquence du spectateur.

Malheureusement, en dehors des quelques lignes en anglais de sa fiche Discogs, je n'ai trouvé aucune biographie détaillée en français de Jean-Claude Pelletier, qui est mort en 1982 à 54 ans. Il a travaillé pour la musique populaire, la télévision et le cinéma. Sa collaboration avec Vogue a débuté en 1957.

En l'absence d'informations précises, j'en suis réduit à des conjectures. Puisqu'il est mis en avant en tant qu'artiste crédité et en photo sur la pochette, il est clair que Terry Montana a existé, quel qu'ait été son vrai nom. Il est possible qu'il ait été un "jeune talent" que Vogue souhaitait lancer, ou alors il s'agissait simplement, vu le contexte et pour évoquer Timmy Thomas, de mettre en avant un organiste plutôt que de créditer simplement le disque à "Jean-Claude Pelletier et son Orchestre", un peu comme le "Featuring Burt McKay" qu'on trouve sur l'album Orgue Hammond blues de 1972.

En tout cas, toute information complémentaire sur ce disque sera la bienvenue !