29 juillet 2023

GHOSTPOET : X marks the spot


Acquis chez Gilda à Paris le 26 juin 2023
Réf : PIASR823CDSP -- Édité par Play It Again Sam en Europe en 2015
Support : CD 12 cm
Titres : X marks the spot (Radio edit) -/- X marks the spot (Instrumental)

Je le promets : j'ai décidé de chroniquer ce disque cette semaine avant même que Twitter ne fasse l'actualité en annonçant que X serait sa nouvelle dénomination...!

C'est sûrement une des dernières fois que j'ai eu l'occasion de faire des emplettes chez Gilda : l'annonce au-dessus de la porte d'entrée que le bail est à reprendre ne laisse présager rien de bon. Une page va probablement bientôt se tourner.
Pour l'heure en tout cas, les bonnes habitudes ne sont pas perdues. Je suis ressorti de la boutique avec une poignée de 45 tours et une grosse dizaine de CD, pour la plupart des promos.
C'est le cas de ce disque-ci, même si pour une fois il n'y a rien d'écrit dessus pour le préciser. Je l'ai pris car le nom de Ghostpoet me disait quelque chose, et aussi parce que le disque, même si ce n'est visiblement qu'un simple CD-R, est glissé dans une vraie pochette imprimée.

J'ai écouté ce disque pour la première fois comme je le fais pour la plupart de mes achats, "à la sourde", c'est à dire sans me renseigner au préalable sur l'artiste et sur cet enregistrement en particulier.
La principale remarque que je me suis faite à l'écoute d'X marks the spot c'est, "Tiens, c'est pas du tout du hip hop", car, sans rien de plus précis, j'associais dans ma tête le nom de Ghostpoet plus ou moins au domaine du rap ou du slam. Or là, c'est plutôt un titre de pop-rock tranquille, très agréable, qui tourne bien et reste en tête.

Après cette première écoute, je suis parti en quête d'infos et je suis presque tombé de ma chaise en découvrant sur la page de Wikipedia dédiée à Ghostpoet un paragraphe spécifique sur le genre musical :
"Since the beginning of his career, Ghostpoet has avoided identifying his music as belonging to a particular genre. In March 2018, during his European tour, many venues started listing Ghostpoet as "hip hop" or "trip hop". Ghostpoet promoted the events via Twitter, always including a declaration along the lines of "I am not Hip Hop"."
Eh oui, sans le savoir j'étais tombé dans le piège que Ghostpoet essaie d'éviter à tout prix : être coincé dans une case musicale imposée. Le Temps, qui règle la question en le décrivant comme un "musicien inclassable qui transcende les genres", précise même qu'Obaro Ejimiwe a justement choisi son nom d'artiste Ghostpoet "parce qu’à ses débuts il voulait éviter d’être justement perçu comme un rappeur, et que l’idée d’avancer en poète insaisissable, fantomatique, lui semblait être la meilleure façon de refléter son état d’esprit". Bien tenté, mais il suffit de lire les chroniques de ses disques pour le voir affubler d'une de ces étiquettes dont il est difficile de se débarrasser.

Ce qui est sûr pourtant, c'est que son troisième album Shedding skin, est enregistré en grande partie avec une formation rock des plus classiques (guitare, basse, batterie plus Ghostpoet au synthé), avec quelques invités. Sur X marks the spot, c'est Nadine Shah qui fait la deuxième voix.
Quant aux paroles, je me garderai bien de me lancer dans une exégèse. Je relève simplement un vers marquant : "Il y a un tiroir dans une pièce de notre maison qui crie ton nom".

Sur Discogs, la seule version commercialisée de ce single référencée est sur support numérique, avec trois titres, dont la version complète de la chanson (qui dure 30 secondes de plus) et deux remixes. La version instrumentale d'X marks the spot qu'on trouve en deuxième titre de mon CD est donc apparemment inédite. Elle permet d'apprécier les arrangements et l'interprétation de ce titre.

Le cinquième album de Ghostpoet, I grow tired but dare not fall asleep, est sorti en 2020. Depuis 2021, Obaro Ejimiwe s'est lancé dans de nouvelles aventures artistiques (installation, photographie, sculpture, art sonore), dont certaines sont en duo avec Luiza Prado sous l'intitulé We Work In The Dark.







23 juillet 2023

CURTIS MAYFIELD : Move on up


Acquis d'occasion dans la Marne vers 2010
Réf : 610.070 -- Édité par Buddah en France en 1971
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Move on up (Part 1) -/- Move on up (part 2)

Le magazine Uncut a mis Curtis Mayfield en couverture de son édition datée de mars 2023. L'occasion de remettre à l'honneur un grand artiste un peu négligé au parcours impressionnant. Avec The Impressions d'abord et des classiques comme Keep on pushing et People get ready. Avec son label Curtom ensuite, qu'il fonde dès 1968. Puis il se lance en solo en 1970, sans abandonner pour autant The Impressions, dont il continue d'écrire, produire et publier les disques.
Il a continué à enregistrer régulièrement dans les années 1980, avec moins de succès, avant de se retrouver paralysé en 1990 quand une rampe d'éclairage lui est tombé dessus lors d'un concert en plein air. Ce qui ne l'a pas empêché d'enregistrer un ultime album, New world order (1996). Il est mort fin 1999 à 57 ans.

Mayfield est peut-être surtout réputé de nos jours pour sa bande originale du film Super fly, mais pour ma part, si je ne devais retenir qu'une seule de ces chansons ce serait ce Move on up, tiré de son premier album solo de 1970, Curtis.

Et pourtant il m'a fallu des années pour connaître et apprécier pleinement cette version originale de Move on up. En effet, étant de la génération New Wave, j'ai d'abord découvert cette chanson avec la reprise par les Flying Lizards en 1981 sur leur deuxième album Fourth wall, puis l'année suivante par la version de The Jam sur le double 45 tours Beat surrender, plus fidèle à l'originale.
Cette version de Curtis Mayfield, c'est pour enfin l'avoir que je me suis procuré à la fin des années 1990 une réédition en double CD des albums Curtis et Got to find a way, ce qui ne m'a bien sûr pas empêché de mettre la main quand je suis tombé dessus des années plus tard sur cet exemplaire de l'édition originale française du 45 tours.

Move on up est un exemple assez rare d'une chanson qui dure près de neuf minutes pendant laquelle on ne s'ennuie pas du tout. On voudrait même presque qu'elle dure plus longtemps.
Pas de temps perdu avec l'intro, pourtant : deux coups de caisse claire et c'est parti avec le riff  principal, avec cuivres et clavier notamment, qui est ce que je préfère dans la chanson, ainsi que les percussions échevelées qui font qu'il est impossible de ne pas se bouger en l'écoutant. Les cordes et la voix aiguës, ce n'est pas trop ce que j'apprécie habituellement, mais ça passe très bien ici et c'est normal que tout ça monte très haut vu que c'est le thème même de la chanson.
Il y a un break marqué après 4 minutes, qui a dû faciliter les choses pour que le label français divise la chanson sur les deux faces en une partie 1 et une partie 2, la deuxième, instrumentale, mettant en valeur les  arrangements et l'interprétation, notamment la trompette et les percussions.

J'ai repéré sur Discogs une réédition française de 2021 censée être un promo diffusé par Mode Série, qui est à l'origine un sous-label de Vogue des années 1960. Tout ça laisse à penser qu'il s'agit d'une contrefaçon et, pour ajouter à la confusion et passer entre les gouttes, alors qu'il s'agit pourtant bien de la version originale, le label lui a ajouté un titre français, Passez haut.
Il m'a fallu un petit temps pour comprendre que c'était censé être une traduction de Move on up. Bof. C'est vrai que ce n'est pas un titre facile à traduire, alors du coup j'ai réfléchi et ma proposition serait Vise plus haut. Pas littéral, mais on garde l'idée de mouvement et ça me parait fidèle à l'esprit des paroles : elles s'adressent à un enfant et le message principal il me semble est d'avoir confiance en soi, d'aller de l'avant malgré les obstacles.
Elles n'ont rien à voir musicalement, mais la seule autre grande chanson qui me vient à l'esprit sur l'encouragement à croire en soi, c'est The morning of our lives de Jonathan Richman, chanson qui a donné son titre à mon livre Notre temps c'est maintenant.

On ne fait guère plus entraînant et enthousiasmant que Move on up, une chanson qui, si je l'avais mieux connue à l'époque où j'ai développé ce concept, aurait pu être un hymne de la hip-pop optimiste.

A écouter : Curtis Mayfield, la soul en technicolor, émission de 2h de France Musique, diffusée en 2022 dans la série Retour de plage.


Curtis Mayfield, Move on up, la seule version filmée à l'époque que j'ai trouvée.


Move on up, un documentaire de plus de deux heures sur Curtis Mayfield.

14 juillet 2023

SAINT-AMAND : Caroline


Acquis chez Récup'R à Dizy le 28 janvier 2023
Réf : C 45-1006 -- Édité par Compact en France vers 1972-1973
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Caroline -/- Caroline - Version instrumentale

Le tube de l'été, la saison est idéale pour aborder la question. C'était l'inverse quand je suis tombé sur ce disque à la ressourcerie au cœur de l'hiver.
D'emblée, avec ce texte sur la pochette, j'ai pensé avoir affaire à l'un de ces disques promo dont je suis très friand. Mais non, tout indique que cet exemplaire du disque a bien été commercialisé tel quel.
Alors là, tout de suite on se dit qu'il y a un problème. Si le but du label Compact était que cette Caroline se vende comme de petits pains et soit le tube de l'été, ce n'est pas comme cela qu'il fallait procéder. Ces choses-là, difficilement prévisibles et organisables (sinon, The manual ou non, tout le monde ferait des tubes...), on les fait en mettant toutes les chances de son côté, en y croyant à fond, mais on ne les annonce pas et, surtout, on ne ruine pas ses chances de réussite en ne prenant pas son objectif au sérieux et en faisant, horreur !, du second degré à son propos.
Or là, avec cette pochette qui esquisserait presque celle de Go 2 d'XTC, Saint-Amand commet toutes ces erreurs, en attirant l'attention que ce disque concourt pour devenir le tube de l'été et en mentionnant une course "désespérée" (perdue d'avance, donc) dont on se moque d'emblée "Ha! Ha!..."). L'humour et le commerce ne font pas bon ménage et avec tout ça, nonobstant le fait que ce petit label n'avait sûrement pas les moyens de distribuer et promotionner largement ce disque, on n'est pas surpris que (presque) personne n'en ait jamais entendu parler.
Non, il aurait mieux fallu pour cette pochette opter pour un paysage ensoleillé exotique, avec une beauté largement dénudée. Les exemples sont légion, mais on se souvient particulièrement de celle de Roy Etzel.

Et pourtant, et pourtant, il y avait de l'idée. D'abord, Caroline est un slow, et les slows ça fait de bons tubes de l'été. Il y a des chœurs en anglais, qui chantent "I love you sweet Caroline" et ça fait un refrain qu'on peut retenir. Oui, mais il y a la voix principale, très bien, très grave (un peu dans le genre, mais encore plus grave que celle de Tom Novembre), qui nous fait son Sprechgesang. Il y a un gros contraste entre le chœur et la voix grave et, avec les paroles par-dessus, deux solutions : on marche à fond parce qu'après tout les paroles ("Y'a des instants qui ressemblent à des rêves. Tu n'as pas les yeux bleus, C'est pourtant le ciel que j'y vois") ne sont pas plus tartes que celles d'Aline (un autre prénom de fille et un vrai tube inoxydable, lui) ou bien, comme moi, on prend les choses à la légère et on rigole un bon coup en écoutant la chanson.
La version "instrumentale" en face B, qui conserve les chœurs, confirme la qualité tout à fait honorable de Caroline.
Mais, même parodique, ça aurait pu marcher. Après tout, en 1972, juste avant ou juste après la sortie de ce disque, Guy Bedos et Sophie Daumier ont cassé la baraque avec La drague. Et en 1975 avec L'été indien, Joe Dassin a réussi le coup du slow avec voix parlé en introduction.

Mais qui est Saint-Amand ? Eh bien, la chanson est signée Jean-Claude Mercier et elle a été enregistrée à Togo-Saga, le studio qu'il a fondé. On peut donc raisonnablement penser qu'il est dans le coup.
Et puis, une fois qu'on sait que Jean-Claude Mercier était précédemment membre du Quartet de Lyon et qu'on écoute leur succès de 1969 Pierre et Sarah (l'adaptation en français de Mrs. Mother USA d'Andre Williams), on saisit tout de suite qu'il y a un lien très fort avec Caroline : le slow, les chœurs, la voix de basse (celle de Jean de Saint-Etienne, apparemment, pas de Jean-Claude Mercier), les ingrédients sont tous les mêmes.
Le truc c'est que, même après une dizaine d'écoutes, je n'arrive pas à complètement me décider : est-ce que Caroline est juste une tentative un peu cynique de répliquer le succès de Pierre et Sarah, ou bien est-ce que c'est une façon de s'en moquer gentiment. Je penche quand même pour la deuxième option, et pour le coup la pochette appuie aussi dans ce sens.

09 juillet 2023

M : Pop muzik


Acquis d'occasion dans la Marne vers 2010
Réf : 2C 052 52834 -- Édité par EMI en France en 1979
Support : 45 tours 30 cm
Titres : Pop muzik -/- The "M" factor // Pop muzik

Robin Scott est dans l'actualité ces temps-ci. Il vient de sortir un nouveau titre, Break the silence (c'est apparemment la première fois depuis 41 ans qu'il utilise le nom de M pour ce faire) et son tube Pop muzik a fait l'objet d'une énième réédition ce printemps à l'occasion du Record Store Day, avec une Latin version inédite, qui rappelle un peu Señor Coconut mais qui n'arrive pas à la cheville de l'originale. Mais c'est la lecture d'un article du Guardian dans leur excellente série How we we made qui m'a déclenché une illumination : "Mais bon sang !", me suis-je dit, "Pourquoi est-ce que je n'ai pas déjà chroniqué ce disque depuis longtemps ?".

Ce tube est sorti quand j'avais 16 ans et je l'ai toujours apprécié. Je n'ai pas acheté le disque à l'époque pour la simple et bonne raison que j'étais trop occupé à gérer mon argent de poche pour acheter tous les disques qui sortaient par Elvis Costello, Magazine, Devo ou XTC pour m'offrir un disque qui passait tout le temps à la radio, même si ça m'est quand même arrivé pour des gens comme The Flying Lizards ou Kraftwerk.
Non seulement ça, mais je n'ai jamais porté d'attention particulière à cette chanson. Elle était présente dans mon esprit comme un meuble qu'on ne regarde plus, je l'appréciais, mais il a fallu que je la réécoute enfin attentivement pour enfin me dire qu'elle est non seulement accrocheuse mais innovatrice. Et puis, je ne m'étais jamais penché sur la thématique de la chanson : on a là un des meilleurs exemples de méta-tube sur la pop musique et son ubiquité, qui fait référence en passant à Get back et Jumping Jack flash.
Et puis, une autre bonne raison de chroniquer ce disque, c'est que je me suis procuré il y a des années ce maxi 45 tours qui propose un "Enregistrement spécial - 45t double-sillons concentriques". Comme pour le Saigon de Martha and the Muffins, l'une des faces comporte en effet deux chansons : selon l'endroit où l'on pose la pointe de lecture, on entend soit Pop muzik, soit The "M" factor.
Les illustrations de pochette sont réussies et marquantes, même si je dois bien avouer que je n'ai jamais saisi le lien que le bébé et la pêche pâtissière pouvaient avoir avec la chanson.

Ce qui a fait le succès de Pop muzik, c'est sûrement le chœur des "Pop pop pop muzik" qui s'accroche dans la tête, mais toute la rythmique à base de synthés (basse et glougloutant, notamment) et de séquenceurs doit aussi y être pour beaucoup. On est dans un territoire new wave/disco également occupé par Kraftwerk, en moins dansant, Devo et, pour ceux qui ont également eu un énorme succès à la même époque, Giorgio Moroder et les Buggles. La guitare un peu twangy m'a immanquablement fait penser aux B-52's. Mais surtout, et depuis que je me suis fait la remarque je n'entends plus que ça, il me parait clair que, pour la rythmique de son Ghostbusters de 1984, Ray Parker Jr s'est largement inspiré de celle de Pop muzik.

Pour une fois, la version maxi de Pop muzik est une réussite. La chanson est allongée de plus d'une minute, mais elle n'est pas défigurée et ses éléments intéressants sont bien mis en avant.

Pop muzik et M ont un rapport étroit avec Paris, à commencer par le fait que le nom du groupe a été inspiré par les panneaux du métro parisien. C'est là aussi que la chanson a été écrite, avant d'être enregistrée entre Londres et Paris, à une époque où Robin Scott travaillait comme producteur chez Barclay (j'ai retrouvé la trace de deux disques où il est crédité, par Niko Flynn et Spions).
Et puis, si on écoute bien la chanson, on se rend compte que le "muzik" est prononcé à la française. C'est logique puisque c'est une française qu'on entend, Brigitte Vinchon, la compagne de Robin Scott (Elle a sorti plus tard deux 45 tours chez Stiff sous le nom de Brigit Novik).
Les autres musiciens sur le disque sont le frère de Robin Julian Scott à la guitare (il était membre de Roogalator), Wally Badarou aux synthés et Gary Barnacle au saxophone.

Robin Scott n'était pas que musicien et producteur : il est l'un des fondateurs en 1977 de l'excellent label indépendant Do It qui, outre Roogalator et le premier disque de M, a publié des disques d'Adam and the Ants, Yello, Anthony more, Mikey Dread et Snakefinger.

Robin Scott explique dans l'article du Guardian qu'il a essayé d'arranger Pop muzik dans différents styles (rhythm and blues, funk) avant de se lancer dans des sons synthétiques. Une version démo de 1978 est intéressante car elle nous permet d'entendre la chanson telle qu'elle a été créée, sans son habillage "moderne".
Pour ses dix ans, Pop muzik a été remixée en 1989, sans être bousillée non plus cette fois-ci. La réédition a de nouveau été un tube en Angleterre.
Pour ses 30 ans en 2009, la chanson a été confiée à d'autres artistes pour un album entier de remixes. Je n'ai écouté que celui par Devo, qui m'a déçu car il n'est pas très aventureux.

La face B, The "M" factor, se rapproche de la démo, avec un son électrique qui laisse transparaître les racines pub rock de Robin Scott.
En voyant le titre, on pense immanquablement à Max Factor. Ce n'est probablement pas un hasard puisque le père Scott était représentant en parfums. Le titre du premier album de M, New York, London, Paris, Munich, a justement été inspiré par les mentions qu'on trouve sur les emballages de parfumerie.

Et maintenant, je vous laisse chanter "Pop pop pop muzik" toute la journée...!









02 juillet 2023

LES JOCKER'S - BOB COSTALLAT : Segas antillaises


Acquis chez Récup'R à Dizy le 10 juin 2023
Réf : OCE 901 -- Édité par Oceano en France en 1970
Support : 33 tours 30 cm
10 titres

Il y avait eu un petit arrivage de disques à la ressourcerie. Habituellement, c'est plutôt dans les petits 45 tours que je trouve mon bonheur, mais étonnement ce jour-là c'est une poignée de grands formats que j'ai achetés, dont deux compilations d'André Brasseur.

Cet album-là, dès que je l'ai eu en main, j'ai su que je tenais une pièce pas possible. En effet, il suffit de s'en tenir au recto de la pochette pour voir que rien ne va.
La musique antillaise, je m'y intéresse de plus en plus depuis quelques années.
Le séga aussi, j'ai appris à le connaître depuis que j'ai acheté en 2009 deux 45 tours de P'tit Frère de l'Île Maurice. J'ai aussi chroniqué des disques de séga de La Réunion ou des Seychelles. Tous ces lieux ont comme point commun de se situer dans l'océan Indien, la zone géographique d'où cette musique est originaire.
Le séga n'a donc rien à voir avec les Antilles et le titre de cet album est un complet contresens. Bob Costallat, le chanteur sur ce disque, est tout à fait d'accord, et il en donne une explication en commentaire d'une vidéo YouTube : "Voici un démenti concernant le disque "SEGAS ANTILLAISES" par "THE JOKER'S". En effet M. Alain Colladeze avait produit un 33 tours, dont  vous trouverez les références ci-dessous. Ce monsieur s'était permis à l'époque afin de mieux vendre sur les marchés à travers la France, d'intituler ce disque à sa guise au lieu de : SEGAS REUNIONNAIS. (...) Vous comprendrez que la différence est la suivante: La Biguine est Antillaise Le Séga est Réunionnais.".
Et en fait, on va le voir, ce disque propose plutôt du séga joué par des malgaches !

L'autre chose qui ne va pas du tout avec cette pochette, c'est la photo de l'orchestre ! On est en 1970, et la photo prise dans une salle à l'ancienne est typique de l'époque, avec au fond de gauche à droite, le caoutchouc, le rouet, la cheminée rustique avec le tableau accroché, le bouquet de roses et la lampe à pétrole. Et au premier plan le groupe, qui tient les accessoires essentiels pour faire du feu, le soufflet, la pince, et une bûche sur laquelle s'appuie Robert Charles Costalat, de son nom complet. Là encore c'est lui, sur le press book de son site personnel, qui nous donne l'explication. En effet, on y trouve une photo prise au même moment, où le nom des membres du groupe, qui ont désormais le verre à la main, a été ajouté. Et l'un de ces noms est Tony Cacciopoli, ce qui laisse penser qu'on a affaire sur cette photo à Tony Cacciopoli et son Orchestre, qui ont sorti sur le même label Oceano (label indépendant probablement lancé par Alain Colladèze, le genre de disques pas chers vendus sur les marchés, d'après ce que Bob Costallat laisse entendre) des albums moins surprenants : Fais-moi danser Tony, La danse du tapis, la danse du balai ou Le pâtre des montagnes. Rien à voir avec le séga, d'où qu'il soit, et, à part Bob Costallat, rien à voir avec ce disque.
Et c'est logique, car quand on tourne la pochette, on apprend que l'orchestre sur cet album est Les Jocker's. Quand j'ai vu ce nom, j'ai tout de suite pensé à un autre orchestre Les Jokarys, de La Réunion. Mais rien à voir, Les Jocker's étaient un groupe de Madagascar. Les voici sur une photo que j'ai trouvée sur un forum d'anciens militaires. On est loin visuellement avec l'orchestre de Tony Cacciopoli ! :


Les Jocker's animent une nuitée dansante au Cercle-Foyer Surcouf à Antsiranana (Diégo-Suarez) au début des années 1970 (Source).

Bob Costallat, comme il l'indique sur sa bio Bandcamp, est né à Mahajanga à Madagascar et vit à Nantes. Il est sûrement d'une manière ou d'une autre à l'origine de ce projet de disque et on peut penser que c'est lui qui a permis de faire le lien entre Les Jocker's et Alain Colladeze. On ne sait rien sur le lieu et les conditions d'enregistrement du disque. Est-ce que Bob Costallat est allé à Madagascar pour l'occasion ? Est-ce qu'on a profité d'une tournée des Jocker's en France pour organiser cette session ?

Une fois passé le choc de la pochette, quand on met le disque sur la platine, on revient dans la normalité. On a bien un disque de séga, chanté en français, avec dix titres, dont trois pots-pourris du "folklore réunionnais", une chanson de ce folklore, Mi comprend plus, mi comprend pas (également connue sous le titre Mon mari pêcheur; il en en existe justement une version par Les Jokarys) et Ton panty blanc, une reprise de Ton lamba blanc, un succès du malgache Henri Ratsimbazafy, qui a récemment fêté ses 90 ans.

Les cinq autres titres sont des chansons originales de Bob Costallat. On trouve une ballade en fin de chacune des faces, Tamatave, une ode à un port de Madagascar dont le nom malgache est Toamasina, et Une femme de mon île. Il y a aussi trois ségas. Outre Souvenirs d'enfance, mes préférés sont ceux en ouverture de face, Danse sega mon frère et Moi l'es amoureux. C'est pas toujours léger léger côté paroles, mais c'est un peu le genre qui veut ça. La différence quand c'est en créole, comme avec Touche pas mon joué-joué, c'est que je ne comprends pas tout...!

Au bout du compte, je suis très content d'être tombé sur cette bizarrerie discographique, presque plus que si j'avais trouvé un album de séga "normal" (Mais en vrai, j'aurais préféré trouver un lot complet de séga, de maloya, de biguine, de tumbélé, de rumba congolaise...!).

Robert Charles Costalat est très présent en ligne. Son site personnel, sa page Facebook et son compte Bandcamp ne semblent pas avoir été mis à jour récemment, mais il est actif sur sa chaîne YouTube, où il publie régulièrement des mixes et des vidéos.

A écouter :
Orchestre Les Jocker's - Chant Bob Costallat : Danse séga mon frère
Orchestre Les Jocker's - Chant Bob Costallat : Moi l'es amoureux