25 août 2008
ENO : Taking tiger mountain (by strategy)
Acquis à La Petite Boutique Primitive à Reims au début des années 1990
Réf : 2302-068 -- Edité par Polydor en Angleterre en 1977
Support : 33 tours 30 cm
10 titres
C'est mon deuxième exemplaire de cet album. J'avais acheté le premier dans la première moitié des années 80, un pressage français en réédition que j'ai allègrement remplacé par celui-ci quand je suis tombé dessus : il est en parfait état, et surtout il possède la pochette ouvrante cartonnée d'origine, contrairement à celui que j'ai revendu, bien que ce ne soit pas une édition anglaise originale, celle-ci étant sortie en 1974 chez Island.
Outre qu'il est avec Lewis Furey et Howard Devoto l'un de mes dégarnis du front favoris, Brian Eno a la réputation d'être un intello égaré dans le monde du rock. Cette réputation, ainsi que ses succès dans le domaine de la musique expérimentale et ambiante (Discreet music, Music for airports, No pussyfooting avec Robert Fripp,...) ainsi que sa casquette de producteur-joker (Bowie, U2, Devo, Ultravox!, Talking Heads) ont le défaut de faire oublier un aspect important de son parcours : à chaque fois que Brian Eno a enregistré des titres pop-rock qu'il a chantés lui-même, ça a été une très grande réussite. Ce fut surtout le cas avec la série de quatre albums sortis de Here come the warm jets en 1973 à Before and after science en 1977, en passant par celui-ci en 1974 et Another green world en 1975, ce dernier comportant une bonne part de titres instrumentaux. C'est le cas aussi des quelques productions chantées qu'il a ressorties depuis les années 1990 ; je ne les connais pas toutes, mais il y a notamment Wrong way up en collaboration avec John Cale et Another day on earth.
De toute cette production, j'ai d'abord été accroché par Baby's on fire, un titre du premier album, avant de découvrir et de faire mon favori de ce Taking tiger mountain (by strategy), un disque que je trouve excellent de bout en bout, avec une grande unité musicale et thématique, sans vraiment être un album concept. Taking tiger mountain est surtout un disque qui n'a pas pris une ride en plus de trente ans.
C'est aussi un disque qui était en avance sur son temps. Je le considère depuis longtemps comme l'un des classiques de la new wave. Pas juste l'un des précurseurs, comme par exemple le Velvet Underground ou Kraftwerk, mais un disque qui sonne comme le meilleur de la new wave, qui aurait pu sortir tel quel en 1978 au lieu de 1974 et être apprécié au même titre que le premier album de Magazine, le deuxième de Wire, le deuxième de Talking Heads (co-produit par Eno) ou le second d'Ultravox! (qui a co-produit le premier).
Comme ces quatre albums, Taking tiger mountain est un disque plein d'énergie et d'inventivité enregistré à la base par une formation rock classique (basse, guitare, batterie) avec une présence relativement limitée de synthétiseurs.
L'une des particularités de l'enregistrement de Taking tiger mountain est qu'il a servi à Eno et Peter Schmidt pour élaborer leurs Stratégies obliques, des instructions inscrites sur des cartes utilisées pour rompre la routine de la production, sortir des impasses, garder de la fraicheur, accepter des erreurs, trouver de l'inspiration,... (on trouve ici une liste en français de Stratégies obliques). Ces stratégies obliques ont été utilisées par de nombreux artistes depuis, et ont notamment guidé les Oblique sessions de Pascal Comelade et ses petits camarades (Comelade, qui a par ailleurs repris au moins deux titres de cet album, le morceau titre et Put a straw under baby).
L'enregistrement de cet album en septembre 1974 est intervenu au terme d'une folle année pour Eno : en septembre 1973 il a enregistré puis sorti Here come the warm jets, suivi quelques semaines après de No pussyfooting avec Fripp, enregistré sur une assez longue période avant ça. Début 74, il s'est lancé dans une tournée rock de quelques dates accompagné par les Winkies, une aventure qui s'est conclue très vite, avec notamment Eno à l'hôpital pour un pneumothorax, et qui n'a laissé comme traces qu'un album inachevé et inédit et une excellente Peel session. Dans la même période, il a sorti un excellent 45 tours hors album, Seven deadly finns, et a participé au concert de Kevin Ayers avec John Cale, Nico et Robert Wyatt immortalisé par l'album June 1, 1974. Toujours dans ces moments-là, sont sortis également des disques de Lady June, Nico, Genesis et John Cale auxquels il a participé !
Taking tiger moutain by strategy, le titre de l'album, est repris de celui d'un opéra de la Chine communiste relatant un fait de guerre de la révolution chinoise. Cette origine peut en partie expliquer les quelques références à la Chine parsemées dans tout l'album, mais il y en a presque autant sur le Japon et il ne faut pas chercher trop de sens à ces paroles, particulièrement efficaces et bien vues, comme tentent de le faire certains fans, puisqu'elles sont de l'aveu même d'Eno en grande partie le résultat des stratégies obliques, utilisées pour résoudre les dilemmes qui en valent la peine, et de méthodes qui rappellent celles de Dada ou de l'Oulipo.
Une chose semble être sûre cependant, c'est que les paroles de l'album sont parsemées de bout en bout de jeux de mots et d'allusions à des pratiques sexuelles plus ou moins exotiques, ce qui ne surprendra pas de la part de l'auteur de Voici les jets chauds !
Avec des titres de chansons comme Les lignes aériennes en feu vous en donnent beaucoup plus et La grosse bonne femme du Limbourg, on sait de toutes façons à peu près à quoi s'en tenir.
Je pense que j'ai été clair, c'est un disque dont je conseille l'écoute en détail et intégrale. Pas besoin de le disséquer donc, juste quelques remarques au passage.
Si le passage sifflé dans Back in judy's jungle fait penser au Pont de la rivière Kwaï, ce n'est visiblement pas du tout un hasard.
Après coup, je me dis que ce n'est pas tant Magazine que Simple Minds a pompé pour son premier album Life in a day, mais plutôt la seule chanson Mother whale eyeless d'Eno, qui semble résumer tout cet album en quelques minutes. Sauf que le meilleur passage de la chanson, au milieu avec les choeurs qui chantent "In my town, there is a raincoat under a tree...", Simple Minds n'a jamais été capable de s'approcher de sa beauté.
Third uncle est le titre le plus rapide du disque. C'est aussi l'un de ceux qui a été le plus souvent repris, notamment par Bauhaus. Par contraste, juste après, Put a straw under baby ressemble à une berceuse, avec ce qui doivent être des synthés qui sonnent presque comme des cornemuses, et surtout une prestation très remarquée de Robert Wyatt aux choeurs, comme deux ans plus tôt sur Whatershebringswesing de Kevin Ayers.
The true wheel est un titre électrique, assez rapide et qui va s'accélérant fortement dans la deuxième moitié. C'est là qu'on entend ce qui doit être la première référence publiée sur disque aux Modern Lovers : "We saw the lovers, The Modern Lovers, and they looked very good, they looked as if they could, be our neighbours, the noisy neighbours". Je m'en veux parce qu'il y a quelques mois j'ai lu quelque part que les Modern Lovers et Eno avaient effectivement séjourné dans le même bâtiment en 1974, ce qui donnait une explication à cette référence, malheureusement je n'arrive pas à remettre la main sur cette info aujourd'hui.
Entre The true wheel et China my China, on entend quelques bribes d'un "zapping" sur un cadre de radio, ce qui nous permet d'apprendre que Jean-Michel Bezzina était déjà en activité en 1974 !
Le titre Taking tiger mountain clôt l'album très sereinement, au piano et aux choeurs, avec quelques lignes de textes qui font certainement référence à l'opéra d'origine.
Sur ce, je vous laisse vous emparer stratégiquement de cette montagne du tigre...!
Ajout du 27 juin 2011 :
Merci WFMU et YouTube ! Voici une vidéo d'époque pour China my China pour laquelle Brian Eno est accompagné par Judy Nylon et Polly Eltes.
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3 commentaires:
Après toutes ces années je n'arrive toujours pas à me lasser de ce disque.
Je me demande même si je n'y entends pas quelque de nouveau (ou que 'javais oublié)(c'est possible) à chaque fois. Tiens je me le remettrai ce soir.
Je suis également un fou des premiers albums "pop" d'Eno, même si avec le recul, je reconnais quelques influences de ci de là (le rock allemand entre autres), il y a une poésie touchante là dedans et puis il savait s'entourer des meilleurs musiciens : Manzarena, etc...
C'est grace à Bauhaus et à leur reprise de "Third uncle" que je me suis intéressé à lui
Un album remarquable car vraiment inventif sans être tapageusement avant-gardiste. Un pied dans le glam-pop, un autre dans la new wave qui ne naîtra pourtant que quelques années plus tard.
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