21 mai 2011

LEO FERRE : Vingt ans


Acquis chez Gibert Joseph à Lyon le 18 mai 2011
Réf : 70 402 -- Edité par Barclay en France en 1961
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Vingt ans -- Nous deux -/- Les temps difficiles -- Les chéris

Pour ce passage rapide chez Gibert Joseph, pas de trouvaille de l'ampleur du 25 cm de Marcel Bianchi pioché la dernière fois, mais j'ai été bien content d'en revenir avec ce EP de Léo Ferré en très bel état et à prix raisonnable.
De Vingt ans, une chanson que Ferré a interprétée tout au long de sa carrière je crois, à Les chéris, une chanson à la gloire des chevaux enregistrée avec une rythmique qui rappelle celle des sabots d'un cheval sur le sol, en passant par Nous deux, attribuée sur la pochette entièrement à Ferré mais dont les paroles sont de Jean-Roger Caussimon, ce disque se tient très bien. Mais s'il m'a intéressé, c'est principalement pour le quatrième titre qu'on y trouve, le premier enregistrement studio de Les temps difficiles, une chanson politique que Ferré a fait évoluer au fil de l'actualité en la publiant cinq fois de 1961 à 1966.
Si on en croit Encyclopédisque, qui indique octobre 1961 comme date de sortie de ce disque, cette version studio serait donc la toute première à être sortie. La seconde version studio date de 1965. J'ai tendance à leur préférer les versions sur scène, à commencer par celle de L'Alhambra le 18 novembre 1961 (La deuxième, Les Temps difficiles - Suite a été enregistrée à L'A.B.C. entre décembre 1962 et janvier 1963. Les temps difficiles - Dernière édition a été captée le 16 juillet 1966 au Casino de Trouville), car Ferré y chante plus naturellement, avec moins d'emphase, et surtout parce qu'on y entend en direct les réactions du public.
C'est justement avec la version à L'Alhambra que j'ai découvert cette chanson : j'ai eu une édition de l'album en 33 tours que j'ai offerte à un fidèle de Ferré, L'Incohérent, qui ne l'avait pas dans sa collection. Ça reste pour moi la version la plus forte.
En l'écoutant, j'essaie de me mettre dans le contexte. On est en 1961. Plus tôt dans l'année, Barclay a mis au pilon un album de Ferré qui contenait une chanson intitulée Mon Général. Un mois plus tôt, la manifestation du 17 octobre pour l'indépendance de l'Algérie a été réprimée sauvagement. Selon Jacques Layani, à cause de La gueuse et de Les temps difficiles, l'OAS avait organisé une alerte à la bombe dans la salle. "Prévenu, Ferré s’adresse au public et dit qu’il va continuer à chanter, invitant ceux qui le désirent à rester. Le public reste."
Je ne sais pas si cette scène s'est déroulée le soir même de l'enregistrement publié, mais ça donne une bonne idée de la tension ambiante.
Là-dessus, Ferré démarre sa chanson, amuse un peu le public, qui applaudit après chaque couplet, en s'en prenant aux journalistes qui vont à la soupe, en mentionnant Hallyday, Dalida, BB et Vadim.
Puis arrive la politique, avec K-K (Kennedy-Khroutchev) et le tout récent mur de Berlin, puis l'Indochine : "En Indochine c'est bien fini, en Indochine ça refleurit, quand l'Indochine c'est terminé, où c'est-t-y qu'on pourrait s'tailler ? Les temps sont difficiles.". Là, les applaudissements arrivent, mais avec un temps de retard, le temps d'encaisser.
Vient alors le couplet le plus fort à mon sens :
"Quand on n'a pas les mêmes idées, on s'les refile, c'est régulier. File moi ta part, mon p'tit Youssef, sinon je te branche sur l'E.D.F. Les temps sont difficiles." (applaudissements)
D'une voix grave : "Réponds, dis-moi où est ton pote, sinon tu va être chatouillé, dis-moi." (Quelques rires) "Réponds, lâche ta camelote : quand on questionne y a qu'à causer. Les temps sont difficiles." (Grand blanc. Un ou deux applaudissements en décalage, juste au moment où le couplet suivant démarre).
Ferré savait de quoi il parlait en évoquant ainsi la "gégène" : Robert Belleret indique dans son livre Léo Ferré : Une vie d'artiste (Actes Sud, 1996, p. 324) qu'il préparait alors un libre sur la torture. Un projet qui n'est pas allé à terme.
Je el reprécise bien, il n'y a pas d'applaudissements sur la version de ce 45 tours, qui n'est pas en public, mais ça reste quand même très fort, comme on peut s'en rendre compte en regardant la vidéo ci-dessous, issue probablement d'un passage télé (Je n'imagine pas qu'on ait pu en faire un Scopitone). En tout cas, avec l'image, on bénéficie en plus des mimiques de Ferré, preuves indéniables d'un grand talent d'acteur en plus de celui de chanteur.
Quant à moi, je peux continuer ma quête et essayer de trouver le 45 tours Barclay référence 71 082 sorti en 1966 : sous la bannière Les temps sont difficiles, il compile les trois versions en public de la chanson...

1 commentaire:

Jacques Layani a dit…

Je pense que si l'enregistrement public avait été effectué le soir de l'alerte en question, le disque conserverait l'annonce faite par Léo Ferré. Merci pour votre intérêt.