18 août 2013

GRANDMASTER FLASH & THE FURIOUS FIVE : The message


Acquis probablement à La Clé de Sol (sinon à Carrefour) à Châlons-sur-Marne en 1982
Réf : 310953 -- Edité par Sugar Hill / Vogue en France en 1982 -- Tirage limité
Support : 33 tours 30 cm
Titres : The message (Vocal) -/- The message (Instrumental)

Comme pour beaucoup de gens, le tout premier titre de rap que j'ai entendu, c'est le Rapper's delight du Sugarhill Gang en 1979. Je l'avais apprécié, mais pas au point d'acheter le disque à l'époque. En 1982 par contre, j'ai vraiment aimé The message de Grandmaster Flash & the Furious Five, qui passait en radio et dont on a pu voir la vidéo dans quelques émissions comme Sex machine de Dionnet et Manoeuvre. Je tentais à longueur de journées de chanter/rapper les deux phrases clé du morceau, "It's like a jungle sometimes, it makes me wonder jow I keep from going under" et "Don't push me 'cause I'm close to the edge, I'm trying not to lose my head". La vidéo illustrait assez directement les paroles et semblait décrire la vie dans les quartiers ghetto de New York de la fin des années 1970.
Comme je n'aime pas faire les choses à moitié en matière de disques, j'ai acheté la version maxi, celle qui contient les sept minutes du titre au complet, celle qui est soi-disant en tirage limité (à mon avis, il était uniquement limité au nombre d'acheteurs du disque), celle qui contient au dos les paroles en anglais accompagnées d'une traduction en français. Une bonne idée, sauf que dans la première phrase il y un contresens complet : on nous propose "C'est comme une jungle parfois et j'me demande pourquoi j'me laisse aller" alors que la phrase anglaise exprime plutôt l'inverse "C'est une vraie jungle parfois et je me demande comment je fais pour ne pas couler." (apparemment, certains exemplaires de cette édition française n'ont pas les paroles au verso).
La mauvaise habitude de Vogue par contre à l'époque, c'était de sortir ses maxi singles en 33 tours, alors que la seule explication autre qu'économique que j'ai jamais entendue pour justifier l'aberration qu'était ce format, c'est qu'une face de 30 cm pour un seul titre en 45 tours permettait d'avoir des sillons plus larges et une meilleure qualité de son, notamment pour la diffusion en discothèque.
Ça fait longtemps que j'avais prévu de chroniquer ici ce disque important dans l'histoire du hip hop, un très grand succès et l'un des premiers à avoir ouvert la voie vers un rap plus social et politique que festif et frimeur. Ce qui m'a décidé de le faire maintenant, c'est un article de Damien Love dans la rubrique The making of... d'Uncut, dans le numéro daté d'août 2013. Trois pages fascinantes sur la fabrique d'un tube.
Je me souvenais que, très vite après The message, il y avait eu des dissensions au sein de Grandmaster Flash (un DJ qui a joué un rôle essentiel dans le développement du rap) & the Furious Five (ses danseurs et rappeurs) et qu'un des singles suivants, White lines, était crédité à l'un des Five, Melle Mel (voire même plutôt Grandmaster + Melle Mel ou Grandmaster Melle Mel, alors que Grandmaster Flash n'était pas présent sur le disque et avait quitté le label).
De toute façon, c'est la principale information que j'ai apprise à la lecture de l'article, même si le fait était depuis longtemps largement connu et répandu : Grandmaster Flash n'a pas du tout participé à l'écriture et à l'enregistrement de The message, quant aux Furious Five, un seul d'entre eux, Melle Mel, est présent sur le disque, qui est un exemple parfait de production de A à Z d'un tube par un label, Sugar Hill, fondé par Sylvia Robinson, morte en 2011, qui sous son nom de naissance Sylvia Vanderpool avait eu une première carrière comme chanteuse dans les années 1950, se produisant notamment avec Mickey Baker sous la bannière Mickey et Sylvia, qui ont eu un énorme tube en 1956 avec Love is strange.
Robinson avait déjà fait le coup avec Rapper's delight en 1979 en sélectionnant elle-même les trois gars qui allaient constituer le Sugarhill Gang et chanter le titre enregistré avec le groupe maison du label. Là, tout est parti d'Ed Fletcher, alias Duke Bootee, un percussionniste de session que son copain producteur Jiggs Chase avait fait embaucher par Sugar Hill. Comme tous les batteurs, il ne doit pas savoir s'arrêter de taper. Un jour, lors d'une pause, il s'est mis à tapoter sur une bouteille en plastique. Sylvia Robinson l'a entendu et lui a dit qu'elle trouvait ce rythme intéressant et voulait l'enregistrer. Quelques temps plus tard, alors que Chase et Fletcher cherchaient comment exploiter ce rythme, Ed a trouvé les premières paroles, celles que j'ai citées plus haut. La suite de la composition et de l'enregistrement du morceau se sont fait sous la houlette de Sylvia Robinson, avec juste Ed Fletcher et le guitariste Skip McDonald comme musiciens. Ed Fletcher a enregistré la voix comme guide pour qu'un rappeur vienne l'interpréter, mais la plupart n'étaient pas intéressés, trouvant The message trop sérieux. Seul Melle Mel a participé et il chante la moitié des couplets. En plus de Fletcher, il est le seul aussi à avoir contribué directement à la création du morceau en utilisant un couplet (celui qui commence par "A child is born...") qui figurait déjà en 1979 sur Superrappin, un précédent single de Grandmaster Flash & the Furious Five. Au bout du compte, la mention "Featuring : Melle Mel & Duke Bootee" qui figure au verso de la pochette et sur les étiquettes est éclairante, même si elle est très incomplète et imprécise.
Ensuite, quand il a fallu publier le titre, c'est Sugar Hill (Sylvia Robinson en l'espèce, probablement) qui a décidé de l'attribuer à Grandmaster Flash & the Furious Five. Au début du projet, ça devait être un disque de Sugarhill Gang, mais il fallait une nouvelle chanson pour Grandmaster Flash et sa popularité et sa réputation dans le monde du rap étaient un atout. C'est donc eux qui se retrouvent sur la pochette et dans la vidéo (le rappeur Rahieem "remplace" Duke Bootee à l'écran), alors que, à l'exception de Melle Mel, ils ne sont pas sur le disque. Je ne sais pas vous, mais moi ça me parait toujours incroyable qu'un gars puisse avoir son nom et sa photo sur un disque sans avoir du tout participé à l'enregistrement !

A lire chez The Foundation, un long entretien de Duke Bootee avec JayQuan, en février 2007.

7 commentaires:

debout a dit…

Smart le Grand Maître (un blaze qui fait très Grande Maçonnerie, en diable !), c'était avant que Nike n'uniformise le rapeur de base.
Ce morceau garde la grande classe (en dépit du gimmick au clavier, assez agaçant, finalement, ce son space opera)

Anonyme a dit…

étonnante histoire, en effet ! En tout cas le morceau est extra.
ça casse un peu le mythe de Grand Master Flash, mais bon, il méritait quand même d'avoir son nom mis en avant, si on en croit ce bouquin (extrait) :
« Pour ne pas perdre la vue d’ensemble de son travail en mixant, Grandmaster Flash répartit ses disques dans cinq caisses. La première caisse était destinée aux morceaux lents comme Heartbeat, la deuxième à des morceaux assez lents comme Good Times, la troisième à des pièces au tempo moyen comme celles de Kurtis Blow, et la quatrième pour tous les morceaux plus rapides comme le Give it to me de Rick James. La cinquième boite hébergeait toute sorte d’effets spéciaux (en particulier le disque de Kraftwerk Trans Europe Express) qui intervenaient comme break, comme bouche-trous ou comme éléments perturbateurs. A partir de ces cinq caisses, Flash pouvait composer ses morceaux. »
(DJ Cultures / Ulf Poschardt)

LVT

Anonyme a dit…

BIS !
« Le scratch et le cutting étaient des techniques totalement nouvelles appliquées au son. […] Avant, tout le monde se contentait de poser le disque sur la platine et de l’écouter. D’un seul coup, la platine est devenue un instrument de musique à part entière. Le vinyle est devenu une sorte d’archive sonore pratique […]. Des choses comparables ont été tentées par John Cage ou Pierre Schaeffer. Cependant, par définition, ces idées étaient d’avant-garde et n’étaient partagées que par très peu de gens. Ce qu’a réalisé Grandmaster Flash a fait le tour du monde [et les gens comme lui] n’ont pas seulement inventé une nouvelle façon de travailler le son, ils ont aussi inauguré une toute nouvelle attitude conceptuelle envers le son : n’importe quel disque peut être détourné et combiné avec un autre disque. »
[citation complète de Kodwo Eshun dans Modulations, p. 133]

(réminiscences d'un vieil exposé sur musique et collages ;)

LVT

Pol Dodu a dit…

Yo Le Vieux Thorax,
Tu as parfaitement raison. Je l'ai mentionné sans m'attarder dessus, mais tout le monde s'accorde sur le rôle important de Grandmaster Flash comme DJ dans l'histoire du rap. C'est en grande partie pour ça, et pour sa popularité à New York, que le disque est sorti sous son nom !

Anonyme a dit…

Moi ce que je retiens de tout ça c'est que ça m'aurait bien plu d'avoir une mamie comme sylvia, franchement on ne lui rend pas assez hommage, on parle tjrs des mêmes (sam phil., ph Spect..etc)
Le piano space est effectivement space et insupportable. Ph

Anonyme a dit…

La chanson nous parle de quoi

Pol Dodu a dit…

En gros, il est question de la dureté de la vie dans un quartier-ghetto comme le Bronx à New York.
Voilà une traduction des paroles de la chanson.