02 juillet 2023

LES JOCKER'S - BOB COSTALLAT : Segas antillaises


Acquis chez Récup'R à Dizy le 10 juin 2023
Réf : OCE 901 -- Édité par Oceano en France en 1970
Support : 33 tours 30 cm
10 titres

Il y avait eu un petit arrivage de disques à la ressourcerie. Habituellement, c'est plutôt dans les petits 45 tours que je trouve mon bonheur, mais étonnement ce jour-là c'est une poignée de grands formats que j'ai achetés, dont deux compilations d'André Brasseur.

Cet album-là, dès que je l'ai eu en main, j'ai su que je tenais une pièce pas possible. En effet, il suffit de s'en tenir au recto de la pochette pour voir que rien ne va.
La musique antillaise, je m'y intéresse de plus en plus depuis quelques années.
Le séga aussi, j'ai appris à le connaître depuis que j'ai acheté en 2009 deux 45 tours de P'tit Frère de l'Île Maurice. J'ai aussi chroniqué des disques de séga de La Réunion ou des Seychelles. Tous ces lieux ont comme point commun de se situer dans l'océan Indien, la zone géographique d'où cette musique est originaire.
Le séga n'a donc rien à voir avec les Antilles et le titre de cet album est un complet contresens. Bob Costallat, le chanteur sur ce disque, est tout à fait d'accord, et il en donne une explication en commentaire d'une vidéo YouTube : "Voici un démenti concernant le disque "SEGAS ANTILLAISES" par "THE JOKER'S". En effet M. Alain Colladeze avait produit un 33 tours, dont  vous trouverez les références ci-dessous. Ce monsieur s'était permis à l'époque afin de mieux vendre sur les marchés à travers la France, d'intituler ce disque à sa guise au lieu de : SEGAS REUNIONNAIS. (...) Vous comprendrez que la différence est la suivante: La Biguine est Antillaise Le Séga est Réunionnais.".
Et en fait, on va le voir, ce disque propose plutôt du séga joué par des malgaches !

L'autre chose qui ne va pas du tout avec cette pochette, c'est la photo de l'orchestre ! On est en 1970, et la photo prise dans une salle à l'ancienne est typique de l'époque, avec au fond de gauche à droite, le caoutchouc, le rouet, la cheminée rustique avec le tableau accroché, le bouquet de roses et la lampe à pétrole. Et au premier plan le groupe, qui tient les accessoires essentiels pour faire du feu, le soufflet, la pince, et une bûche sur laquelle s'appuie Robert Charles Costalat, de son nom complet. Là encore c'est lui, sur le press book de son site personnel, qui nous donne l'explication. En effet, on y trouve une photo prise au même moment, où le nom des membres du groupe, qui ont désormais le verre à la main, a été ajouté. Et l'un de ces noms est Tony Cacciopoli, ce qui laisse penser qu'on a affaire sur cette photo à Tony Cacciopoli et son Orchestre, qui ont sorti sur le même label Oceano (label indépendant probablement lancé par Alain Colladèze, le genre de disques pas chers vendus sur les marchés, d'après ce que Bob Costallat laisse entendre) des albums moins surprenants : Fais-moi danser Tony, La danse du tapis, la danse du balai ou Le pâtre des montagnes. Rien à voir avec le séga, d'où qu'il soit, et, à part Bob Costallat, rien à voir avec ce disque.
Et c'est logique, car quand on tourne la pochette, on apprend que l'orchestre sur cet album est Les Jocker's. Quand j'ai vu ce nom, j'ai tout de suite pensé à un autre orchestre Les Jokarys, de La Réunion. Mais rien à voir, Les Jocker's étaient un groupe de Madagascar. Les voici sur une photo que j'ai trouvée sur un forum d'anciens militaires. On est loin visuellement avec l'orchestre de Tony Cacciopoli ! :


Les Jocker's animent une nuitée dansante au Cercle-Foyer Surcouf à Antsiranana (Diégo-Suarez) au début des années 1970 (Source).

Bob Costallat, comme il l'indique sur sa bio Bandcamp, est né à Mahajanga à Madagascar et vit à Nantes. Il est sûrement d'une manière ou d'une autre à l'origine de ce projet de disque et on peut penser que c'est lui qui a permis de faire le lien entre Les Jocker's et Alain Colladeze. On ne sait rien sur le lieu et les conditions d'enregistrement du disque. Est-ce que Bob Costallat est allé à Madagascar pour l'occasion ? Est-ce qu'on a profité d'une tournée des Jocker's en France pour organiser cette session ?

Une fois passé le choc de la pochette, quand on met le disque sur la platine, on revient dans la normalité. On a bien un disque de séga, chanté en français, avec dix titres, dont trois pots-pourris du "folklore réunionnais", une chanson de ce folklore, Mi comprend plus, mi comprend pas (également connue sous le titre Mon mari pêcheur; il en en existe justement une version par Les Jokarys) et Ton panty blanc, une reprise de Ton lamba blanc, un succès du malgache Henri Ratsimbazafy, qui a récemment fêté ses 90 ans.

Les cinq autres titres sont des chansons originales de Bob Costallat. On trouve une ballade en fin de chacune des faces, Tamatave, une ode à un port de Madagascar dont le nom malgache est Toamasina, et Une femme de mon île. Il y a aussi trois ségas. Outre Souvenirs d'enfance, mes préférés sont ceux en ouverture de face, Danse sega mon frère et Moi l'es amoureux. C'est pas toujours léger léger côté paroles, mais c'est un peu le genre qui veut ça. La différence quand c'est en créole, comme avec Touche pas mon joué-joué, c'est que je ne comprends pas tout...!

Au bout du compte, je suis très content d'être tombé sur cette bizarrerie discographique, presque plus que si j'avais trouvé un album de séga "normal" (Mais en vrai, j'aurais préféré trouver un lot complet de séga, de maloya, de biguine, de tumbélé, de rumba congolaise...!).

Robert Charles Costalat est très présent en ligne. Son site personnel, sa page Facebook et son compte Bandcamp ne semblent pas avoir été mis à jour récemment, mais il est actif sur sa chaîne YouTube, où il publie régulièrement des mixes et des vidéos.

A écouter :
Orchestre Les Jocker's - Chant Bob Costallat : Danse séga mon frère
Orchestre Les Jocker's - Chant Bob Costallat : Moi l'es amoureux

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai vu un duo rennais la semaine dernière le chanteur parlait du reggae auvergnat, de la biguine morbihannaise, du célèbre blues alsacien et toute une série d'associations improbables mais visiblement il ne connaissait pas cette séga antillaise. Faut être à L’affût pour dénicher un disque pareil. Malgré le titre je crois que j'aurais hésité vue la photo: ça craint.De plus il me semble qu'il y a eu un groupe "de circonstance" appelé les jokers qui a enregistré un LP tribute de je ne sais plus quel groupe. Le genre de disque de supérette à 2 balles. Donc bravo la perspicacité paye!

Pol Dodu a dit…

Le groupe auquel tu penses est The Jokers, des belges à la Shadows. MFP a réédité un de leurs albums sous le titre "Guitar boogie", qui a dû se vendre comme des petits pains : il était partout.
Le titre "Guitar boogie" n'y figure pas, mais c'est à cause de cet album que j'ai cru pendant des années que le "Guitar boogie" d'Arthur Smith était un titre électrique !

Pol Dodu a dit…

J'ai aussi chroniqué un disque de twist / bourrée...!