11 décembre 2006
FELT : Ignite the seven cannons
Acquis d'occasion à Reims vers 1986-1988
Réf : B RED 65 -- Edité par Cherry Red en Angleterre en 1985
Support : 33 tours 30 cm
11 titres
Je n'ai pas acheté ce disque au moment de sa sortie. Je n'avais déjà pas acheté l'album précédent, "The strange idols pattern and other short stories", et je trouvais que ces titres d'albums faisaient vraiment prétentieux. Ce n'est pas que je n'aimais plus la musique de Felt, mais quand on n'a pas un budget extensible il faut faire des choix, et il se trouve que j'ai eu l'occasion en novembre 1985 de me faire une copie cassette de l'album chez mon pote Alan McG.
C'est un album bizarre, placé sous le signe du label 4AD. Tout d'abord, au lieu de faire appel à un producteur professionnel habituel, comme John A. Rivers ou John Leckie, Felt a embauché cette fois-ci un collègue musicien, Robin Guthrie, vedette de 4AD avec ses Cocteau Twins, qui fait là un de ses premiers pas dans la production en-dehors de ses propres enregistrements, et qui a amené aves lui sa chanteuse Liz Fraser pour deux titres.
Ensuite, il y a la pochette. Toutes les pochettes de Felt sont réalisées par Lawrence sous la marque Shangai Packaging Company. Là, la pochette n'est pas signée, mais comme pour le single "Sunlight bathed the golden glow", de la couleur à la typographie, on jurerait qu'on a à faire à une pochette de Vaughn Oliver/23 Envelope pour Modern English ou un groupe de ce genre.
C'est un album charnière pour Felt : son guitariste solo historique, Maurice Deebank est présent sur ces enregistrements, mais il quittera le groupe définitivement juste après, et on fait connaissance avec un petit jeune, l'organiste Martin Duffy, qui marquera la seconde moitié du parcours de Felt. On trouve aussi à la basse Marco Thomas, pas encore officiellement un membre du groupe, mais il l'intégrera après le départ de Deebank et y restera jusqu'à la séparation, tenant la basse puis la guitare.
L'album est loin d'être parfait. La patte de Guthrie, surtout les effets la batterie et sur le son déjà très travaillé de Deebank, donne un son très daté à l'ensemble, et ce n'est pas toujours facile d'intégrer l'orgue de Duffy à tout ça. La face A se tient très bien, pourtant, avec ses cinq titres chantés. Elle culmine avec le chef d'oeuvre "Primitive painters". Ce qui est bien, avec "Primitive painters", c'est que si on devait résumer la discographie de Felt ET des Cocteau Twins, ce seul titre ferait parfaitement l'affaire. Après une intro avec des harmoniques à la Cure ("10.15 Saturday night"), on est pris dans un tourbillon hypnotique pendant près de six minutes . La ligne de basse tourne sur elle-même, la guitare scintille, l'orgue nous enveloppe et Lawrence est parfaitement lui-même : "I just wish my life could be as strange as a conspiracy (...) I'm just me I can't deny I'm neither here, there nor anywhere"). Et puis vient le refrain. Au moment où Lawrence se lance dans un exercice d'auto-flagellation ("Tu devrais voir la trace de ma disgrace, assez longue pour effrayer toute l'espèce humaine"), Liz Fraser entre en scène, la véritable banshee, la messagère de l'autre monde qui sert d'intermédiaire entre les dieux et les hommes. Pendant la deuxième moitié du titre, il n'y a plus de construction de la chanson. C'est un maelstrom, avec les voix qui se répondent sans dialoguer ("There's a look on your face it's the human race" / "You should see my trail of disgrace" / "I just wish my life could be").
Après ce sommet, la face B déçoit au plus haut point. "Black ship in the harbour" vaut bien les chansons de la première face, mais il y a quatre instrumentaux sur six titres, ce qui déséquilibre complètement le disque.
J'ai passé une bonne partie du mois de novembre 1985 en Grande-Bretagne. Le 13, j'étais avec Dick Green à Glasgow pour emmener Primal Scream et les Meat Whiplash donner un concert à Aberdeen, avant de ramener tout ce beau monde à Londres le 17 pour d'autres concerts. Pendant ces quelques jours à Glasgow, j'ai récupéré un exemplaire d'une affiche de concert qui me faisait baver : Felt à Glasgow le dimanche 24 novembre, au club Splash 1, dont la programmation était assurée par Bobby Gillespie et ses potes. A une semaine près, ça aurait été l'occasion parfaite de voir Felt en concert pour la première fois.
Le mardi 26 novembre, je me suis retrouvé dans l'entourage qui accompagnait The Jesus and Mary Chain au départ de Londres pour une mini-tournée de deux concerts à Manchester et à Leeds. On avait carrément deux camionnettes : avec le premier album "Psychocandy" qui venait de sortir, "Just like honey" qui avait pas mal marché, les Mary Chain pouvaient se payer ça. Et on était pas mal à accompagner le groupe : les petites amies de trois des membres du groupe, Dave Evans et Luke Hayes en équipe technique, Alan le manager, Joe Foster et moi-même.
Juste avant d'arriver à Manchester, je demande à Joe Foster s'il y a une première partie de prévue le soir. Il me répond oui, Felt et les Shop Assistants ! Le problème avec Joe Foster, c'est qu'il est toujours à raconter des histoires, à parler des légendes du rock qu'il connait et qu'il fréquente, et il donne souvent l'impression de beaucoup broder, mais j'ai souvent eu l'occasion de vérifier que, derrière la truculence et l'hyperbole de ses propos, se dissimulait la plupart du temps une très grosse proportion de vérité ! Mais là quand même, alors que ça fait plusieurs jours que je radote sur le single "All day long" des Shop Assistants, qui caracole en tête des charts indépendants, et sur Felt, que je n'ai jamais vu en concert et que j'ai raté de peu à Glasgow, j'ai vraiment l'impression qu'il me fait marcher, ou qu'il me tire la jambe comme disent les anglais. Alors, un peu plus tard, alors que je donnais un coup de main à Luke et Dave pour amener les amplis sur la scène de l'Hacienda (pratique : la porte arrière de la scène ouvrait sur la rue, et il n'y avait qu'à garer la camionnette en marche arrière le long pour décharger), j'ai reposé la question, et j'ai eu la confirmation inespérée : Oui, l'affiche du soir était bien Shop Assistants, Felt et The Jesus and Mary Chain !!
Au moment des balances, j'ai donc fait connaissance avec les membres de Felt. Maurice Deebank n'était plus dans le groupe, et je pense qu'ils n'étaient que quatre ce soir là : Lawrence, Gary Ainge, Martin Duffy et Marco Thomas. Au cours de la conversation, quelqu'un a raconté comment j'avais fait l'introduction des Television Personalities au micro lors du dernier concert de la Living Room à l'Adam's Arms l'année précédente. Ça a bien plu à Lawrence, et quelques temps plus tard je me suis retrouvé sur la scène de l'Hacienda, à annoncer formellement l'arrivée sur scène de Felt, du style, "And now ladies and Gentlement, from Birmingham, here's Felt", sauf que j'ai fait l'annonce en français bien sûr.
J'ai relativement peu de souvenirs précis du concert lui-même. Les Shop Assistants c'était très bien. Felt aussi. J'imagine qu'ils ont joué "Primitive painters", mais je ne m'en souviens plus, je me souviens juste qu'ils ont dû jouer "The day the rain came down". Quant à Jesus and Mary Chain, la période des émeutes à leurs concerts était heureusement terminée, mais ils n'étaient pas pour autant devenus un grand groupe de scène.
Ça m'a fait tout drôle de voir la reconstitution de l'Hacienda dans le film "24 hour party people". Je me souvenais effectivement de la déco façon signalisation de sécurité anglaise (hachures jaune et noir), je n'ai pas rencontré Howard Devoto aux toilettes (ou alors je ne l'ai pas reconnu), et surtout, en-dehors de l'excellent concert, le principal souvenir que j'en garde, c'est que c'était une boîte, une discothèque, branchée certes, mais une discothèque, et les discothèques c'est pas trop mon truc.
Je garde un souvenir très vivace de la nuit qui a suivi. Il y avait trois chambres réservées pour les Mary Chain dans un bed & breakfast situé dans un quartier excentré (une grosse maison reconvertie en hôtel de 8-10 chambres), ce qui n'était pas énorme pour un groupe de quatre musiciens et huit accompagnateurs. Mais rien n'était prévu pour Felt et les Shop Assistants, en tête des charts indépendants à l'époque, je le rappelle, qui étaient payés une misère (50 ou 75 livres pour Felt, ce qui veut dire qu'une fois payée la location de la camionnette et l'essence pour venir de Birmingham il ne restait rien) et qui nous accompagnaient pour le concert du lendemain à l'université de Leeds.
On est donc tous rentrés discrètement dans le B & B pour s'entasser à 21-22 dans les trois chambres ! Il y avait du monde partout, sur les lits, par terre, et sûrement dans les salles de bain aussi. Bizarrement, il n'y avait pas de verrou à notre porte, et on n'avait pas la clé. On se lève tard après un concert, et il n'était pas question de laisser le personnel de l'hôtel entrouvrir la porte pour voir si la chambre était vide pour y faire le ménage. Je dormais par terre les pieds contre la porte, et j'ai l'impression d'avoir passé la matinée à repousser la porte de mes pieds à chaque fois que quelqu'un essayait de l'ouvrir !
Au réveil, ça a été un ballet incessant pour aller au petit-déjeuner (ceux qui pouvaient le faire) et sortir discrètement pour rejoindre les camionnettes (les autres), avec des propriétaires de l'hôtel qui n'étaient pas dupes (!) et qui faisaient la gueule...
The Jesus and Mary Chain et les Shop Assistants pendant les balances sur scène à l'Université de Leeds, le mercredi 27 novembre 1985, après une mauvaise nuit de sommeil ! (photos : JC Brouchard)
Ajout du 9 juin 2010
Une version revue et traduite en anglais de ce billet vient d'être publiée dans Foxtrot Echo Lima Tango, un livre-fanzine consacré à Felt,auquel contribuent aussi notamment Phil King, Alistair Fitchett, Kevin Pearce, Gary Ainge et Marco Thomas.
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7 commentaires:
Je suis impressionné par ton anecdote, j’aurais bien aimé vivre les mêmes moments ! J’ai vu Felt sur la scène des Inrocks en 1989 ! Concert déplorable où Lawrence s’est visiblement fâché avec son groupe et est parti au bout de 10 minutes sous les sifflets de la foule qui attendait les Stone Roses !! Aux dernières nouvelles lawrence vivait dans la misère …
J'étais aussi à ce concert du festival des Inrockuptibles en 1989, et je compte en parler plus tard dans le blog.
Je l'ai trouvé aussi très décevant. Je ne me souviens pas que Lawrence ait quitté la scène très vite, mais j'en étais ressorti avec l'impression d'avoir vu un groupe en pleine décomposition. Et effectivement, Felt annonçait sa séparation quelques temps plus tard.
Le son est daté mais franchement, cet album est magnifique.
De toutes façons, ne comptez pas sur moi pour dire du mal de felt, je manque de bonen foi à propos de ce groupe.
Bonjour Pol,
je m'appelle Romain, je suis vidéaste et j'ai 31ans.
j'ai en projet de faire un documentaire sur CREATION RECORDS et
je vous remercie pour votre article qui m'a plongé pendant qques minutes dans cette époque que j'aurai rêvé de "vivre en live"
; je considère , comme beaucoup, que les meilleurs groupes de rock sont issus de l'écurie du grand Alan McGee. Au fait, comment êtes vous devenu ami avec lui et comment avez vous été amené à fréquenter tous ses artistes ? Seriez-vous d'accord d'en parler devant une caméra ? Merci pour vos réponses et encore bravo pour votre blogue
Romain
romainnovarina@gmail.com
Une version revue et traduite en anglais de ce billet vient d'être publiée dans Foxtrot Echo Lima Tango, un livre-fanzine consacré à Felt, auquel contribuent aussi notamment Phil King, Alistair Fitchett, Kevin Pearce, Gary Ainge et Marco Thomas.
A voir, un document exceptionnel : Felt en 1985, au moment de la sortie de ce disque, avec Maurice Deebank à la guitare, interprétant cinq titres en direct dans l'émission "Estoc de pop" de la télévision catalane TV3.
Super !
La photo de Jesus and Mary Chain qui figure en illustration de ce billet, que j'ai prise pendant la balance à l'Université de Leeds le 27 novembre 1985, a été incluse dans au moins deux articles récents liés à la tournée PsychoCandy en cours :
- celui du Yorkshire Evening Post pour annoncer un nouveau concert du groupe à Leeds près de trente ans plus tard.
- l'interview de Jim Reid pour Rolling Stone parue à la veille de leur tournée nord-américaine.
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