06 mai 2012

BUZZCOCKS : Orgasm addict


Acquis par correspondance via eBay en Angleterre en avril 2012
Réf : UP 36316 -- Edité par United Artists en Angleterre en 1977
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Orgasm addict -/- What ever happened to ?

Si je respectais les règles que je me suis fixé à moi-même, je n'aurais jamais acheté ce disque : je possède les deux faces de ce 45 tours sur la compilation des Buzzcocks Singles going steady depuis plus de trente ans maintenant, donc je n'avais nul besoin d'ajouter ce 45 tours à ma collection. Mais bon, je me devais un cadeau, et surtout j'attache une importance particulière à ce disque, le deuxième des Buzzcocks après Spiral scratch, le premier après le départ du chanteur original Howard Devoto et la signature chez United Artists.
Ce 45 tours, j'aurais pu l'acheter il y a bien longtemps, vers 1978 ou 1979, au Prisunic de Châlons-sur-Marne, là où j'ai snobé un autre disque à pochette jaune, l'Egyptian reggae de Jonathan Richman, à quelques dizaines de mètres de là où j'ai acheté le Satisfaction de Devo (à l'époque, le Prisunic et le Grand Bazar de la Marne communiquaient au sein du Centre Hôtel de Ville). Il s'agissait du pressage français du disque. La pochette ne pouvait que me fasciner, et en plus il y avait écrit "100% punk" dessus, et Devoto de Magazine était crédité sur un des titres. J'ai eu le 45 tours en main, mais je l'ai reposé, en partie par manque de budget mais surtout parce que je devais avoir d'autres priorités d'achat. Si j'avais acheté ce pressage français, il m'aurait certes manqué le verso de la pochette, complètement caviardé par chez nous, mais j'aurais eu un disque bien plus rare que cette édition originale anglaise. En effet, il se raconte que United Artists n'a pas fourni les bonnes bandes à sa branche française, et donc les deux faces de l'édition française du disque comportent des prises différentes de celles commercialisées partout ailleurs ! (on peut écouter 29 secondes d'Orgasm addict chez Vinyl Vidi Vici).
Je trouve que ce disque est un peu trop oublié et surtout pas assez souvent cité quand on s'intéresse aux classiques du punk. En général, on se contente de mentionner un seul disque des Buzzcocks, et pour ça, Spiral scratch fait très bien l'affaire : c'est le premier, il est auto-produit, et Devoto était encore dans le groupe. Mais, comme Spiral scratch, Orgasm addict mériterait cent fois de figurer aux côtés de God save the Queen, Anarchy in the UK, White riot et No more heroes, pour n'en citer que quelques-uns, dans la liste des grands singles punks de 1977.
Après avoir signé avec United Artists le 16 août 1977, les Buzzcocks ont enregistré une démo, une Peel session et sont entrés en studio dès septembre pour enregistrer quatre titres. Le choix du premier single s'est porté sur Orgasm addict, qui fonctionnait très bien sur scène, mais le groupe avait déjà dans sa besace l'excellent What do I get ?, qui serait son prochain 45 tours. Il y a peut-être une volonté de provocation dans ce choix. Si, contrairement au Clash et aux Sex Pistols, les Buzzcocks n'abordaient pas de front les questions politiques, le fait de s'intéresser d'aussi près aux relations interpersonnelles et au sexe pouvait être tout aussi scandaleux. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'autres 45 tours diffusés par un gros label qui abordent aussi crûment le thème de la masturbation ("T'as essayé juste une fois c'était pas mal pour prendre ton pied, Mais maintenant tu te rends compte que c'est une habitude poisseuse,T'es accro à ta bite,Tu te caches dans les coins avec des revues de cul,Ta mère veut savoir d'où viennent ces tâches sur ton jean,T'es accro à ta bite"), et il est probable que c'est le climat ambiant de 1977 qui a rendu possible la sortie de ce titre, qui n'a pas tant fait de remous. Certes, la BBC a refusé de la diffuser, mais le groupe aura plus de soucis quelques mois plus tard avec Oh shit, une chanson beaucoup plus anodine, que l'usine de pressage d'EMI refusera de fabriquer pendant quelques jours.
Orgasm addict a peut-être aussi été choisie comme face A parce que c'est l'une des premières chansons des Buzzcoks, qui aurait d'ailleurs pu être enregistrée pour Spiral scratch. Les paroles sont de Howard Devoto, qui l'a aussi interprétée avec les Buzzcocks sur scène et enregistrée en démo (publiée sur Time's up) en octobre 1976. C'est la première fois que Pete Shelley tient le chant principal sur disque et il s'en sort remarquablement bien, d'ailleurs, vu l'implication de Devoto et la date de sortie de 1977, je me suis longtemps demandé à l'époque si Devoto était encore dans le groupe ou non pour ce disque (et ce n'était pas si facile de trouver la réponse en 1979-1980...). La musique est à la hauteur des paroles et du chant et, avec quelques choeurs et une bonne dose de ahanements suggestifs, on a un parfait brûlot punk dont la petite affaire est terminée en moins de deux minutes.
D'après les étiquettes du disque, Orgasm addict est la face A et Whatever happened to ? est la face 1, pas la B. Il y a d'ailleurs eu un disque promo avec juste ce titre pour limiter la controverse. Cette chanson a la particularité, comme Just lust un peu plus tard, d'avoir des paroles signées Alan Dial, alias Richard Boon, le manager du groupe. L'amour y est mis en parallèle avec des objets de consommations ("Your passion is a product"), comme dans d'autres titres des Buzzcocks ou de Gang of Four. J'ai toujours trouvé que cette chanson avait un petit goût de Stranglers, principalement parce que No more heroes, sorti au même moment, mettait aussi en avant l'expression "Whatever happened to", mais il y a d'autres rapprochements puisque, à l'époque les deux groupes enregistraient pour le même label, United Artists, et avec le même producteur, Martin Rushent.
Un excellent disque, donc, mais il me semble qu'il est aujourd'hui réputé pour sa pochette autant sinon plus que pour sa musique.
Pour faire cette pochette, ils s'y sont mis à deux. Linder Sterling d'abord, une amie de Howard Devoto (on lui doit aussi, notamment, la pochette du Real life de Magazine), qui a aussi fait de la musique avec Ludus. De 1976 à 1978, elle a réalisé de nombreux collages associant pornographie et électro-ménager (entre autres), dont certains ont été publiés en 1978 dans le fanzine The secret public, réalisé avec Jon Savage. C'est l'un d'eux qu'on retrouve sur la pochette, la photo de femme ayant été découpée dans un numéro du magazine français Photo, celle du fer à repasser venant d'un quelconque catalogue de vente.

Celui qui a recadré le collage, l'a retourné, mis dans un monochrome bleuté sur un fond jaune vif et qui a fait le reste du graphisme de la pochette, c'est Malcolm Garrett, le gars qui au fil du temps, avec ses "images assorties" (pour ce disque-ci, elles sont "arbitraires") a réalisé de très nombreuses pochettes, d'abord pour les Buzzcocks, mais aussi pour Magazine (Touch and go, The correct use of soap et les singles qui en sont tirés).
Cette pochette fonctionne parfaitement. Elle attire l'oeil, elle marque, et en plus le collage fait écho aussi bien au thème d'Orgasm addict qu'à celui de Whatever happened to ?.
On peut considérer que ce collage est désormais "officiellement" reconnu comme une oeuvre d'art importante puisque la Tate Gallery a acheté l'original, en 2007,  ainsi que six  autres oeuvres de Linder.
Je parierais cependant que, quand la Tate l'a exposé, elle l'a fait sans mettre en regard un exemplaire de la pochette d'Orgasm addict, et c'est à mon sens une grave erreur. Cette oeuvre est historiquement associée au 45 tours et le musée aurait été bien avisé d'acquérir en plus du collage les travaux originaux de Malcolm Garrett, un exemplaire du 45 tours et de présenter le tout dans une salle où on permet au public d'écouter les deux faces du disque ! C'est l'une des forces de la musique populaire d'avoir su diffuser des produits qui sont certes fabriqués de façon industrielle et diffusés commercialement, mais qui sont aussi parfois, dans l'association disque/pochette, de véritables oeuvres collectives et composites. Orgasm addict en est une parfaite illustration, et c'est surtout pour ça que j'ai cherché, près de trente-cinq ans plus tard, à m'en procurer un exemplaire.


Un autre collage de Linder, qui aurait pu illuster Whatever happened to ? ("Whatever happened to - twin sets, Whatever happened to - hi-fi, Whatever happened to - TV sex, Whatever happened to - you and I"). On peut en voir quelques autres chez Anthropomorphe.

Je n'ai pas trouvé de film d'époque, mais, en concert à la Manchester Academy le 16 janvier 2009, les Buzzcocks ont enchaîné en rappel les deux faces de ce 45 tours.
A la fin de ce mois-ci, Howard Devoto rejoindra Buzzcocks sur scène lors de deux concerts à Manchester et à Londres

1 commentaire:

debout a dit…

vous faites bien de rendre hommage à la pochette et à ses auteurs... le 45 tours des années punk new wave a produit quelques belles réussites du genre