02 juin 2024

ENO : Another green world


Offert par Dorian Feller à Hautvillers le 3 novembre 2013
Réf : 6396 048 -- Édité par Island en France en 1975
Support : 33 tours 30 cm
14 titres

Je me suis toujours tenu à l'écart de ses travaux de "musique ambiante", mais malgré tout, Brian Eno tient une place importante dans ma cartographie musicale. Pour ses collaborations et productions, d'abord : il a travaillé avec Bowie, notamment pour Heroes, il a co-produit le premier album d'Ultravox!, produit Q: Are we not men ? A ! We are Devo ! ainsi que les albums deux, trois et quatre de Talking Heads, dont Remain in light, et aussi plus tard James. Pas mal...! Et surtout, il a sorti entre 1973 et 1977 quatre albums sous son nom seul qui sont excellents. Mon préféré, c'est toujours Taking tiger mountain (by strategy) et jusqu'à récemment je mettais plusieurs crans en-dessous Another green world, trop "expérimental" pour moi.
Au fil des années, j'avais commencé à évoluer au sujet de cet album, trouvant I'll come running excellente, puis Golden hours pas mal du tout. Et il y a quelques semaines, chez Philippe R., on a écouté l'album ensemble parce qu'il trouvait que j'avais tort à son sujet. Et ce fut une révélation : effectivement, le disque me plaisait désormais dans son ensemble, y compris ses nombreuses pistes courtes instrumentales.
En rentrant chez moi, j'étais décidé à finalement me procurer cet album, le seul qui me manquait dans la série de quatre, pendant des années. Mais j'ai eu la bonne surprise de le trouver dans mes étagères ! J'avais oublié que, à la bourse BD Disques d'Hautvillers de 2013, voyant que je m'intéressais à l'exemplaire qu'il avait en vente, Dorian Feller me l'avait gentiment offert. C'est l'édition originale française, en très bon état, sauf la tranche de la pochette qui était abîmée et qui a été réparée.

Au recto de cette pochette, on trouve un détail d'After Raphael (?), une sérigraphie de 1973 de Tom Phillips. Phillips avait été le professeur d'Eno au début des années 1960. Ils ont souvent collaboré. Eno a enregistré Irma, un opéra écrit par Phillips, qui de son côté a tenté de tirer le portrait d'Eno, mais il n'est jamais resté suffisamment en place pour que les toiles soient terminées.

Les cinq titres chantés sont habilement répartis tout au long de album, et il y a un bon équilibre avec les pistes instrumentales, la plupart du temps assez courtes.

On ouvre avec Sky saw, avec une longue introduction instrumentale. J'ai encore un peu de mal avec la basse fretless de Percy Jones, mais c'est très rythmé et ça annonce bien le son de l'album, avec des sons bien bizarres. Comme l'indique apparemment Richard Poynor dans son livre More dark than shark, les quatre vers qui constituent les paroles ("Tous les nuages se changent en mots, tous les mots flottent à la suite. Personne ne connaît leur sens, tout le monde se contente de les ignorer") sont comme un manifeste, puisque par la suite Eno privilégiera le son des paroles à leur sens, ce qui ne l'empêchera pas bien sûr d'en produire d'excellentes !
Dans une conférence en 1979, Brian Eno a expliqué avoir recyclé des éléments de Sky saw dans au moins deux autres compositions. Malheureusement, il cite le mauvais titre pour l'extrait de Music for films où la musique a été considérablement ralentie et bidouillée, mais c'est en fait Patrolling wire borders. Il ne précise pas non plus le titre d'Ultravox! qui reprend des éléments de cette chanson, mais ce serait bien My sex. Et là, j'ai eu un choc en réécoutant cette chanson juste après Another green world. C'est précisément avec ce titre que j'ai découvert Ultravox! en 1979-80, sous le soleil dans un camp militaire marnais, alors que je dégageais à la truelle un silo gaulois creusé dans la craie. A l'époque, je ne connaissais pas du tout Eno. Aujourd'hui, je trouve que ce n'est pas seulement la batterie de Phil Collins sur Sky saw, qui aurait été échantillonnée pour cet enregistrement, qui rappelle Eno, mais bel et bien tout l'accompagnement, du piano à la Taking tiger mountain au violon.

Ce n'est pas souvent que j'ai eu l'occasion de mentionner des précurseurs aux Young Marble Giants, tellement leur musique est à la fois originale et intemporelle. Et pourtant, c'est bien la réflexion que je me suis faite en écoutant les introductions de St. Elmo's fire
et de Golden hours. Pas seulement à cause de l'utilisation de la boite à rythmes, mais aussi pour l'orgue et la rythmique et comment tout ça s'arrange. Les deux chansons bénéficient d'excellents solos de guitare de Robert Fripp, avec en plus John Cale au viola sur Golden hours.

Everything merges with the night, plus calme, est très bien, comme les trois chansons précédentes, avec plus d'émotion peut-être.
Je garde quand même une affection plus particulière pour I'll come running, sa musique et ses paroles folles ("J'accourrai pour lacer tes chaussures"). Le 26 février 1974, dix-huit mois plus tôt, Eno et son groupe les Winkies avaient enregistré pour une Peel session une version plus rock de cette chanson sous le titre Totalled. Les paroles sont différentes également.
Notons pour l'anecdote que, pour la face B du 45 tours hors album The lion sleeps tonight (Wimoweh), la version album d'I'll come running a été accélérée !

Le premier titre de cet album que j'ai connu, c'est Sombre reptiles, mais c'était dans sa version de 1976 enregistrée avec Phil Manzanera pour 801 live. Avec encore la boite à rythmes, entre autres, ce titre comme d'autres instrumentaux de l'album, me fait penser aux enregistrements postérieurs de Wall of Voodoo, quand ils essayaient d'évoquer des musiques de films de série B ou Z.

Over fire island est un autre titre de l'album qui a connu une autre vie, mais cette fois à l'insu de Brian Eno. En effet, Phil Collins et Percy Jones ont réutilisé pour l'occasion la rythmique d'Unorthodox behaviour, un titre de Brand X qu'ils avaient déjà enregistré mais qui n'était pas encore sorti. Ils ont juste oublié d'en avertir Eno... Je n'aime aucune des deux versions et je n'ai pas écouté jusqu'au bout le titre de Brand X !

Brian Eno a eu l'occasion de se revendiquer comme "non-musicien", mais par exemple The big ship est très bien, pourtant ce titre est joué par Eno seul, au synthé plus boite à rythmes.

J'aime bien aussi le morceau-titre Another green world. Eno y est crédité aux "Desert guitars". Ailleurs dans l'album, ses guitares sont Serpent ou Castagnettes...! Quelle imagination... Ce titre aurait bien convenu il me semble à Pascal Comelade, mais j'ai vérifié et il me semble que d'Eno il n'a repris que Taking tiger mountain.
Par contre, pour Becalmed, ce sont les Pascals qui s'y sont collés pour la reprise, en 2005 avec une excellente version allongée.

Voilà, j'ai réhabilité cet album qui intègre désormais mon panthéon personnel. Il ne me reste plus maintenant qu'à aller réécouter Before and after science, un disque dont j'ai aussi toujours trouvé la réputation surfaite...

Si vous voulez en savoir plus sur Another green world, je vous conseille le livre de Geeta Dayal de 2009, dans l'excellente collection 33 1/3.

Le dernier projet en date qui implique Brian Eno, c'est le documentaire Eno de Gary Hustwit. Un film évidemment expérimental (il serait génératif, différent à chaque fois qu'on le regarde) dont la bande originale, qui contient Sky saw, vient de sortir.

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