15 mai 2015

LUZMILA CARPIO : Yuyay jap’ina tapes


Offert par Philippe D. à Paris le 3 juillet 2014
Réf : ALMST09 -- Edité par Almost Musique en France en 2014
Support : CD 12 cm
17 titres

Je suis loin d'avoir terminé d'écouter l'énorme pile de CD promos que Philippe m'a offerts l'an dernier ! Celui-ci est resté longtemps sur le dessus de la pile mais j'ai repoussé plusieurs fois son écoute car j'avais l'impression en regardant la pochette que j'allais avoir affaire à un mélange de musique traditionnelle et d'électro et ça ne me branchait pas trop. Mais je me plantais salement.
J'ai été conquis dès les premières notes du disque. Et autant dire que, comme il me plaît de bout en bout, je ne vais pas m'amuser à lister tous mes titres préférés. Disons que, si vous êtes pressés, vous pouvez toujours commencer par Warmikuna yupay-Chasqapuni kasunchik et Sumaq awaq warmi.
Pour ma part, j'ai écouté le disque dans l'ordre, et à l'écoute des deux premiers titres, Riqsiqa kasunchik et Ch’uwa yaku kawsaypuni, j'aurais bien été incapable de dire d'où venaient ces sons à proprement parler inouïs (Un instrument à cordes assez aigrelet, des voix surprenantes, un peu de percussions très efficaces...). D'Indonésie ? Du Moyen Orient ? De Sibérie australe ? Depuis, j'ai appris que l'instrument à cordes est une charango. L'écoute du septième titre, Yanapariway takiriyta aurait pu me mettre sur la voie, car on y entend la fameuse flûte des Andes, qui a bercé ma jeunesse avec El condor pasa et Los Incas, et qui continue régulièrement d'animer certains marchés ou vide-greniers avec des groupes de la Cordillère.
Eh oui, Luzmila Carpio est originaire de la région de Potosi, en Bolivie, et ce disque, qui compile des enregistrements de ses chansons des années 1990 enregistrées avec le soutien de l'UNICEF et diffusées sur cassettes, a une histoire bien particulière, racontée dans les notes de pochette par Sing Sing du groupe Arlt et par Luzmila Carpio elle-même, dont je traduis une partie du texte donné initialement en anglais :
"Au début des années 1990, nous, les artistes indigènes des Amériques, avons été choqués par la pompe des célébrations de la soi-disant "découverte des Amériques" et nous étions déterminés à faire entendre les voix de notre résistance. La résistance à cinq siècles de colonisation qui n'ont laissé aucune place à aucune sorte de tolérance, ou aucun dialogue, reléguant le patrimoine culturel et les connaissances musicales des peuples indiens d'Amérique au rang de discussions de parloir exotiques et orientant le système éducatif latino-américain vers l'oubli et le rejet forcé de notre identité, de nos valeurs et de nos traditions.
Ainsi donc, ce projet d'alphabétisation de nos propres langues, promu par l'UNICEF et des partenaires suédois, constituait pour nous une occasion unique de communiquer des messages provocants par l'intermédiaire de la musique traditionnelle du Nord de la région de Potosi, dans le but d'éveiller la conscience des populations indiennes d'Amériques à propos de la richesse et de la diversité de leur propre culture.
Motivée par ce but, j'ai composé toute une série de chansons et de mélodies, conçues esthétiquement pour mettre en valeur les tonalités, les sons et les instruments inhérents aux formes musicales de la région de Potosi, et orientées au niveau conceptuel vers l'encouragement de la conscience de la diversité de l'Aymara et du Quechua, deux langues des Andes qui expriment la véritable richesse de la civilisation.
Les chansons qui constituent la présente sélection visent à témoigner de notre vénération ancestrale de la Terre, que nous appelons Pacha Mama, Terre Mère, des éléments et de l'Univers. Il y a aussi des chansons sur l'émancipation des femmes (“Warmikuna Yupaychasqapuni Kasunchik”) et des chansons de résistance contre les injustices et la ségrégation raciale dont souffre la majorité silencieuse constituée par les indiens américains vivant en Bolivie (“Yanapariwayku” – Ayudenme a cantar)."
Ces chansons ont sûrement produit leur effet. On peut penser qu'elles ont joué un rôle dans la prise de conscience qui a amené à des changements politiques en Bolivie, avec l'élection d'Evo Morales à la présidence en 2006, la transformation du pays en Etat plurinational de Bolivie et le vote d'une loi des droits de la Terre Mère.
Luzmila Carpio elle-même y a sans nul doute participé activement. A tel point qu'elle est devenue une artiste-diplomate, puisqu'elle a été ambassadrice de son pays en France de 2006 à 2010.
Bravo en tout cas à Almost Musique pour cette véritable découverte d'une musique réjouissante, à la fois traditionnelle et contemporaine.

A voir chez La Blogothèque, le concert à emporter de Luzmila Carpio avec Victor Herrero.
Yuyay jap’ina tapes est en vente chez Almost Musique.






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