29 décembre 2009

VIC CHESNUTT : Skitter on take-off


Acquis par correspondance chez Amazon en France en novembre 2009
Réf : 2-521680 -- Edité par Vapor aux Etats-Unis en 2009
Support : CD 12 cm
9 titres

Jeudi dernier, la veille de Noël, Philippe R. était à la maison. Evidemment, on a passé une bonne partie de l'après-midi à écouter certains des disques que j'ai acquis depuis la dernière fois qu'on s'était vus.
Parmi ceux-ci, il y avait Skitter on take-off, le dernier album en date de Vic Chesnutt, produit par Jonathan Richman et son batteur Tommy Larkins. On en a écouté plusieurs titres, on en a discuté et pour conclure j'ai annoncé à Philippe mon intention de parler de ce disque ici avant la fin de mes vacances de fin d'année.
Cette écoute et cette discussion étaient encore si fraîches dans ma mémoire que j'ai été d'autant plus surpris d'apprendre le lendemain matin que, quasiment même au moment où nous parlions de lui avec Philippe, Vic Chesnutt tombait dans le coma suite à une tentative de suicide, à laquelle il a succombé plus tard dans la journée du 25 décembre.
Vu les circonstances, la période de l'année et surtout la qualité et la quantité récente de la production et des prestations de Vic, l'annonce de sa mort a suscité un grand nombre de réactions pleines d'émotions, que je partage pour la plupart. Pour l'heure, me refusant aux chroniques nécrologiques, je vais tenter de parler de cet album comme j'avais l'intention de le faire de toute façon, "comme si" ou bien évidemment plutôt "presque comme si", Vic Chesnutt ne venait pas de mourir entre-temps.
J'ai eu l'occasion de voir Vic Chesnutt trois fois en concert. La première fois en décembre 1994 et en trio aux Transmusicales de Rennes, puis en octobre 1998 au New Morning, accompagné par Lambchop dans la tournée qui a suivi la sortie de The salesman and Bernadette, et enfin à Reims, à La Cartonnerie, le 26 février 2008. C'est ce jour-là que j'ai eu l'occasion d'échanger très brièvement quelques mots avec lui, sur la scène après le concert alors qu'il rangeait ses affaires. Je lui avais dit combien j'avais apprécié le concert et je lui avais demandé de transmettre mon bonjour à Jonathan Richman, avec qui il allait entamer une tournée aux Etats-Unis quatre jours et deux concerts plus tard.
Ce concert du premier mars 2008, il l'a entamé par une chanson de circonstance, Opening for Jonathan Richman ! Lorsque les deux compères ont à nouveau tourné ensemble en juin 2009, Vic a récidivé en ouvrant son concert de Cleveland par une Ode to Jonathan, dans laquelle il déclare, "Jonathan Richman, he's my mentor".
Car ce que l'on ne savait pas spécialement jusqu'aux interviews que Vic a données cet automne, c'est que Jonathan et lui se connaissaient bien et s'épaulaient depuis très longtemps.
Entre les deux tournées, probablement à l'automne 2008, Vic Chesnutt a rejoint Jonathan et Tommy à San Francisco et ils ont donc enregistré ensemble cet album, sorti quelques semaines seulement après At the cut, le deuxième album de Vic chez Constellation (entre-temps, Vic avait aussi sorti Dark developments, enregistré avec Elf Power and the Amorphous Strums !).
Le contraste entre les deux derniers albums est saisissant : les orchestrations riches et travaillées des nombreux musiciens qui accompagnent Vic sur At the cut font place sur Skitter on take-off à un disque quasiment en solo intégral où Vic est accompagné - ou non suivant les titres - uniquement par la batterie de Tommy Larkins et l'harmonium ou la guitare de Jonathan Richman, qui de toute façon se font très discrets même quand ils sont présents. Poussant encore plus loin dans la direction prise pour ses albums les plus récents, Jonathan Richman a également tenu à ce que le disque soit enregistré live en studio, sans overdubs. On a donc sans surprise un album dépouillé, "à l'os", où l'on s'accroche à la voix de Vic et à la beauté de ses chansons. Un album exigeant, mais les efforts pour l'apprivoiser se réveillent vite payants, dès le titre d'entrée en fait, où Vic chante (très bien) ce festin en période de peste ("You were a beautiful pig"...).
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les chansons de Skitter on take-off sont moins "personnelles" que celle d'At the cut, comme Vic l'a précisé dans plusieurs interviews, notamment celle, excellente et détaillée sur les deux derniers albums, pour Prefix et celle pour l'Arizona Daily Star (accessible après s'être enregistré gratuitement) : les chansons ici sont peuplées de personnages, fictifs ou non, alors que celles d'At the cut concerneraient plus directement Vic lui-même.
Outre ce premier titre, les grands moments du disque sont nombreux, notamment Rips in the fabric, My new life (qui commence avec Vic, qui chante sur un ton aigu "I am so lonely"...) et Worst friend, le titre le plus long, à près de huit minutes ("I am the worst friend in the world").
Society Sue figure également parmi mes chansons préférées du disque. C'est d'ailleurs l'un des titres les plus "orchestrés" de l'album, avec un petit break instrumental au début, où il me semble bien reconnaître un riff de guitare typique de Jonathan Richman, et ensuite un rock acoustique proto-velvétien à pas plus d'un accord qui ressemblent aux interprétations que Tommy et Jonathan donnent actuellement de Pablo Picasso. Oui mais voilà, j'ai du mal à apprécier pleinement Society Sue car, grâce au Jojoblog, j'en connais une autre version, enregistrée en concert, toujours ce 1er mars 2008 à Athens, la ville de Vic Chesnutt, au 40 Watt Club, une salle qui a joué un rôle important dans sa carrière. Cette version d'une chanson à peine composée, alors provisoirement intitulée Robert Wyatt, comporte un couplet qui ne figure pas sur la version publiée, peut-être parce qu'il était justement très personnel :
Defenestration,
like Robert Wyatt.
Checked into my options,
at the Brussels Hyatt,
but the windows were bolted
so I couldn't try it.
Mesmerized by the light show
and my agitation slowly subsided
on its own accord.

Tout cela chanté en regardant le désespoir en face, avec un ton qui, tout naturellement, alors que ça pourrait choquer, fait rire le public. Sur scène en tout cas, Vic Chesnutt avait un humour sombre qui le quittait rarement.
Vapor, le label fondé par Neil Young, propose un emballage pour ce CD à peu près aussi spartiate que l'enregistrement gravé dessus : des dessins de Vic sur un carton brut. Seule concession évidente au "commerce", un petit autocollant sur le cellophane indiquant "9 new songs". Neuf nouveaux enregistrements, effectivement, mais huit nouvelles chansons seulement, car la dernière chanson du disque, Sewing machine, avait été enregistrée préalablement en 1995 par Vic Chesnutt sur le premier album de Brute, dans une version beaucoup plus électrique, comme l'a fait remarqué Solitary Man.
Dans l'interview pour Prefix, alors qu'on l'interrogeait sur ses futures collaborations, avant de mentionner Sparklehorse et un deuxième album avec Bill Frisell, Vic disait : "I’ve got to make a record with Giant Sand since they’re such good buddies of mine. We’ve toured together, but we’ve never made a record."
Vic n'aura pas eu le temps de faire ce disque avec Howe Gelb. Pour nous consoler, on peut écouter ce concert qui les a réunis au Danemark en 2003, mis en ligne par Lars Dideriksen.

A lire également, la Chambre Verte consacrée à Vic Chesnutt par Philippe L sur Ordet Blog, qui propose notamment un long entretien de Vic avec Emmanuel Tellier, intialement publié dans Les Inrockuptibles en décembre 1995. Les Inrocks qui, sur leur propre site, donnent accès à plusieurs articles et chroniques consacrés à Vic Chesnutt.

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