05 octobre 2014

QUINTETTE LADNIER-MEZZROW : Royal garden blues


Acquis chez Gilda à Paris le 27 septembre 2014
Réf : 75.523 -- Edité par RCA en France vers 1959
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Royal garden blues -- Everybody loves my baby -/- Ain't gonna give nobody none of my jelly-roll -- If you see me comin'

Ce n'est pas le genre de disque auquel je m'intéresse a priori, mais cela faisait des années maintenant que Philippe R. m'avait fortement conseillé de lire l'autobiographie du musicien de jazz Mezz Mezzrow, Really the blues. Je viens finalement de finir de la lire mi-septembre, et j'ai vu comme un signe de tomber sur ce disque samedi dernier à Paris, issu de sessions d'enregistrement de 1938 dont il est largement question dans le livre
Initialement sorti en 1946, le livre a été publié en France dès 1950. J'espère que la traduction, de Marcel Duhamel et Madeleine Gautier, la secrétaire de Hugues Panassié, du Hot Club de France, n'as pas trop vieilli et ne fait pas trop Série Noire, mais en tout cas, ce livre co-signé par le journaliste et écrivain Bernard Wolfe est l'un des premiers témoignages écrits sur le jazz et est considéré comme l'un des livres essentiels sur la musique. La rage de vivre, c'est son titre français, a été récemment réédité aux Editions Buchet-Chastel.
Pour ce qui est de ce disque, commençons par relever ce qui est au minimum une grosse bourde, voire une tromperie. Le nom de Sidney Bechet apparait en gros et bien lisible au recto de la pochette. Pourtant, il suffit de lire au dos les notes de Raymond Mouly pour comprendre que Sidney Bechet n'était pas présent lors de ces enregistrements du 19 décembre 1938 crédités au Quintette Ladnier-Mezzrow. Il était bien là par contre le 28 novembre 1938 pour des sessions publiées également en EP par RCA juste avant ce disque-ci sur la référence 75 522. Si j'évoque une éventuelle bourde, c'est que sur la seule pochette que j'ai réussi à trouver en ligne de cet autre 45 tours, dont le titre principal est Revolutionary blues, le nom de Bechet n'apparait pas.
Ces sessions ont donc été enregistrées à New York à l'initiative de Hugues Panassié, qui "se proposait de réaliser une série d'enregistrements propres à illustrer le style traditionnel et pur de la Nouvelle-Orléans, qu'on aurait pu croire en voie d'extinction". Cela s'est fait autour d'un groupe réuni pour l'occasion par Pannasié et Mezzrow. Panassié voulait absolument enregistrer le trompettiste Tommy Ladnier, mais celui-ci était alors complètement perdu de vue. Il a fallu le dénicher jusqu'à Buffalo, où il jouait dans un bouge pour "du café et un gâteau". Il est mort quelques mois après ces sessions. Une annexe du livre est entièrement dédiée à ces Panassié recordings.
Trois des titres sont des instrumentaux, tous co-signés par Spencer Williams, deux d'entre eux l'étant avec Clarence Williams (sans relation). Dans le lot, mon préféré est Royal garden blues. J'aime aussi beaucoup le blues If you see me comin'. Mezzrow avait demandé à Teddy Bunn de faire l'intro à la guitare et, sans préméditation, celmui-ci s'est mis à chanter sur le premier chorus avant de se lancer dans un solo. Le blues est la base du jazz, selon Mezz Mezzrow.
Le séjour d'Hugues Panassié à New York a dû être prolongé car il a été victime d'une grave infection au streptocoque. L'un des intérêts du livre est de me l'avoir rendu sympathique. Je ne connaissais de lui que le portrait au vitriol qu'en a dressé Boris Vian, celui d'un vieux réac du jazz, conservateur au possible. Conservateur, il l'est sûrement devenu après-guerre, quand il est resté fidèle au style Nouvelle-Orléans, en opposition à toutes les évolutions du jazz, à commencer par le be bop. Mais c'était avant un tout un passionné de musique, pas du tout gêné, comme Mezz Mezzrow, que la musique qu'il aimait soit celle jouée par les noirs, à une époque où, aux Etats-Unis surtout, côtoyer les noirs quand on était blanc n'était pas sans risque.
La définition qu'il donne du rock 'n' roll et du rhythm and blues en 1957, dans un article intitulé Une autre ségrégation, correspond tout à fait à ce qui est désormais généralement admis, et il en profite pour déplorer que le tapage fait autour du rock 'n' roll profite surtout à ses adeptes blancs.
Tout le livre de Mezz Mezzrow est tendu par la passion qu'il a pour la musique jazz et les musiciens noirs qui la jouent. A tel point que, sur la fin du livre, alors qu'il séjourne en prison à Riker's Island, il réussit à se faire passer pour noir pour se retrouver dans des dortoirs où il pourrait plus facilement jouer de la bonne musique !
Il est probable que certaines des anecdotes sont trop belles pour ne pas avoir été un peu enjolivées, mais il est passionnant de suivre son récit des années 1920 à 1940, une époque où Al Capone n'était pas un personnage de cinéma mais le patron mafieux des boites où Mezzrow dirigeait la troupe, mécontent que son frère fréquente une des chanteuses du club et inconscient du fait que sa propre femme s'était fait embauchée pour surveiller ses fréquentations. Mezzrow ne savait pas qui c'était et, quand il l'a découvert, il a fui la ville avant que ça ne chauffe pour lui.
Sa vie telle qu'il la décrit vaut largement celle des rockers les plus atteints. Il était plus réputé comme vendeur de marijuana mexicaine (à tel point qu'on a fini par appeler celle-ci la Mezz) que comme musicien, à une époque où l'alcool était prohibé mais le cannabis pas encore complètement illégal. Ses expériences d'opiomane, et surtout sa désintoxication, sont aussi l'un des moments forts du livre.
Comme l'explique Raymond Mouly, la première publication en France de ces enregistrements a eu lieu juste avant la déclaration de guerre en 1939, qui a stoppé l'arrivée de nouveautés musicales. C'est donc notamment sur ces disques que les zazous dansaient pendant la guerre. Quant à Mezz Mezzrow, il est venu rejoindre Hugues Panassié en France au début des années cinquante et a vécu dans notre pays jusqu'à sa mort en 1972.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

bon je te propose en échange mon vieil exemplaire livre de poche de la rage de vivre contre ce disque, en prime je le dédicacerai, bon plan non?
quant à l'origine du jazz c'est je crois unanimement admis que le blues est la forme musicale qui amènera le jazz, c'est pas seulement l'opinion de mezz.
Belle pioche ah oui tu crois pas que c'est pour vendre qu'ils ont mis le nom de bechet?

Pol Dodu a dit…

Si bien sûr, je suis bon au point de laisser le bénéfice du doute, mais je me doute bien que ce n'est pas vraiment par hasard que le nom de Bechet est en gros sur la pochette !