16 novembre 2025

REVEREND ROBERT BALLINGER : Gospel


Acquis chez Bell'Occas à Charleville-Mézières le 14 octobre 2025
Réf : MPO. 3104 -- Édité par Pop en France en 1962
Support : 45 tours 17 cm
Titres : The little black train -- Hold my body down -/- The King's highway -- There are days

Si le même jour, parmi les 45 tours à 1,50 € de Bell'Occas, j'ai pris le The Cats Meow en partie pour sa pochette générique, ce disque du Révérend Robert Ballinger, je l'ai pris principalement pour sa pochette très réussie. En effet, j'aime bien le gospel, mais je ne prends pas systématiquement tous les disques que je vois dans ce genre. J'aime bien aussi le label Disques Pop, une filiale de Vogue. J'en ai déjà chroniqué trois 45 tours (de Jack Hammer, Jacky Noguez et Willard Burton), mais les productions du label sont variées et inégales et je ne les collectionne pas systématiquement non plus.

Le graphisme de cette pochette est réussi et efficace. Mais sa force tient principalement à la photo choisie pour l'illustrer. De premier abord, on peut croire que le gamin au premier plan lève les mains car il est tenu en joue. En fait, en y regardant à deux fois, il est plus probable qu'il est en plein jeu avec ses copains. En examinant encore plus les détails, on note que, à jouer pieds nus dans l'herbe, le garçon au premier plan a les pieds tout verts.
Rien à voir a priori avec la musique gravée sur le disque, mais illustrer du gospel avec des enfants noirs probablement pauvres, ça a un certain sens.

Il y a un crédit pour cette photographie au verso de la pochette : Léon Cabat. Cette personne est créditée pour plus d'une quarantaine de photos de pochettes sur Discogs, dont la référence suivante du label, un autre disque de gospel avec une pochette très réussie, dans un style différent, et, pour rester dans la même veine, des disques de blues (avec les quatre mêmes gamins, je pense), de jazz ou de folklore.

Et comment Léon Cabat (1922-2005) s'est-il retrouvé à photographier autant de pochettes pour Vogue ? Eh bien, tout simplement parce qu'il est l'un des fondateurs du label, qu'il a dirigé pendant des années !
A lire, ici puis , un portrait de Léon Cabat dans le n° 314 de Nouvelles d'Arménie Magazine de février 2024.
Il devait être un homme discret. Si j'avais dû citer un nom pour la fondation des disques Vogue, j'aurais peut-être pensé à Charles Delaunay, critique musical et spécialiste de jazz (fils de Sonia, ce qui explique qu'elle a créé le logo du label utilisé pendant toutes les années 1970). Mais en fait ils étaient trois à lancer le label, avec le saxophoniste Albert Ferreri.
Léon Cabat a très peu fait parler de lui, mais il a joué un rôle essentiel pour Vogue, puisqu'il a dirigé la société de 1947 à 1985 !
Et il ne s'est pas retrouvé là par hasard, il devait être un grand fan de jazz et/ou de blues qui, ses photos le prouvent, a pas mal voyagé aux États-Unis. Les Nouvelles d'Arménie Magazine racontent que, dès 1948, il vendait des disques de jazz importés des États-Unis, acquis auprès de Nesuhi Ertegun, natif comme lui d'Istanbul.

Robert Ballinger (1921-1965) est né à Cincinatti et a fini par s'installer à Chicago. Devenu pasteur, c'est en lien avec cette activité principale qu'il a dû développer ses talents de pianiste et chanteur, avec une discographie de huit singles et deux albums.
Il a sorti ses premiers singles dans les années 1950 chez United, puis chez le légendaire label de Chicago Chess, où il a souvent été accompagné à la contrebasse par Willie Dixon et à la batterie par Odie Payne. Il signe ensuite chez Peacock, un label qui avait beaucoup de succès avec sa collection de gospel. Mais il y eu du grabuge car Peacock a attaqué Chess en justice en 1962 pour avoir enregistré des artistes que le label avait sous contrat, Robert Ballinger et les Five Blind Boys. L'affaire, longue et coûteuse pour les deux labels, était encore en appel en 1965, avec de multiples rebondissements.

Comme c'était souvent le cas, ce 45 tours quatre titres français compile deux singles Peacock de 1962. Le style de Robert Ballinger est un hybride de gospel et de blues. Dixon et Payne sont toujours présents, malgré le procès et bien que ce ne soit pas un disque Chess.
Outre la section rythmique, la formation de base sur ces quatre titres, c'est le piano et la voix rugueuse de Robert Ballinger, parfois complétée et adoucie par des chœurs.

La réussite du disque, c'est The little black train, dès l'intro avec quelques lignes de basse et les chœurs qui font le son du train. Les chœurs répondent ensuite aux "get on board" du révérend. On est en plein dans la veine du This train popularisé par Sister Rosetta Tharpe.
Les chœurs sont encore bien présents sur Hold my body down. Comme pour 
There are days, ce sont avant tout des chansons blues, l'aspect gospel étant surtout présent dans les paroles, comme quand le chanteur interpelle Jésus.
The King's highway, dans la même veine, est l'autre grand moment du disque, avec une intro basse piano batterie assez longue. 

Les titres de l'EP sont tous repris en 1963 sur le premier album, Little black train. Peacock sortira en 1964 un deuxième album, Swing down chariot, mais le révérend meurt quelques mois après sa sortie, à 43 ans. Comme il le chantait dans The King's highway, "won't be long, you're gonna look for me, I'll be gone".

S'il en était besoin, voici une preuve de l'importance de Robert Ballinger : en 2021, le label de référence Bear Family a choisi pour inaugurer sa nouvelle collection de gospel de publier The king's highway, une compilation qui doit reprendre à peut près l'intégrale de ses enregistrements.

09 novembre 2025

SERDAR GÜNDÜZ & FABRIKA : Serdar Gündüz & Fabrika


Acquis par correspondance chez Serdar Gündüz en octobre 2025
Réf : 777 004 -- Édité par Praksis en France en 2025
Support : CD 12 cm
10 titres

Je me rends compte que, plus ça va et plus ce blog est "patrimonial". Je fais de moins en moins de découvertes qui m'incitent à acheter des disques, je ne suis pas très intéressé par la plupart des rééditions... Au bout du compte, quand on fait le point, on ne peut que constater que le disque le plus "récent" chroniqué depuis le début de cette année qui n'est déjà plus très loin de sa fin, est celui d'Akli D, paru en 2006, soit il y a presque vingt ans ! Pour trouver une chronique d'une parution des années 2020, il faut remonter à plus de deux ans...

Heureusement, voici enfin une nouveauté, un perdreau de l'année.
C'est l'ami Le Vieux Thorax qui m'a mis sur la piste de Serdar Gündüz. Il m'a annoncé qu'il allait passer des disques avec deux potes le 26 septembre au Chair de Poule à Paris et m'a orienté vers le nouvel album de l'un d'eux, qui selon lui pouvait me plaire.
Effectivement, ce que j'ai entendu sur Bandcamp m'a bien plu, et Le Vieux Thorax a encore joué les entremetteurs pour me confirmer qu'une édition CD de l'album existait, que j'ai pu commander directement à Serdar.

Je n'y avais pas prêté attention car mon exemplaire de l'album est un promo sans trop d'informations, mais j'ai déjà chroniqué un disque auquel Serdar a participé, Objet ancien des Daltons, groupe qu'il a co-fondé et dont il a été le guitariste jusqu'en 2020. Un album que j'ai vraiment apprécié, sur lequel on trouve ma reprise préférée de Pablo Picasso de Jonathan Richman.
Outre les Daltons, Serdar Gündüz est très actif depuis le milieu des années 1980. Il a notamment joué avec les Moonshiners et Sporto Kantes. Il a lancé son projet solo Fabrika ("Usine" en turc) au début des années 2000. Un premier album, Electroad songs est sorti en 2006.

Dès le titre d'ouverture, Rêves de l'AmeriKKKa, on découvre les principaux ingrédients de l'album : un son rock/pop avec une batterie samplée ou une boite à rythmes, de la guitare, de la basse, du violon parfois, des  paroles à 99% en français et un chant en partie "parlé". Les paroles entrent bien en résonance avec l'actualité états-unienne ("Plus personne ne veut aller là-bas maintenant").
Le titre suivant Sur le canapé, pour lequel une vidéo a été tournée, est tout aussi bon et accrocheur.

Ma chanson préférée  de l'album est pour l'instant l'entraînant La chaleur du radiateur. Il y est question d'avoir le doigt puis la tête coincés dans un radiateur. C'est rigolo et léger, mais c'est le réchauffement climatique qui est en toile de fond.

Faire comme toi
et Dans le tourbillon associent riffs de guitare et touches synthétiques. On pense à Jacno, d'autant plus quand on découvre le titre Rectangle électrique, mais celui-ci, avec ses formes géométriques et ses chœurs en "Pa pa pa", n'est pas spécialement en référence au fameux tube.

Je ne savais pas que je t'aimais ("avant de te voir pogoter") est un rock qu'on pourrait enchaîner avec Betsy party, quant à Madame de S., c'est une ode aux Coronados.

Tes cheveux rouges est tout simplement une très bonne chanson, lente, qui pourrait très bien fonctionner dans un autre contexte de production, par une grande vedette de la "variété" de qualité. La démo diffusée sur YouTube est également très intéressante.

La première partie de Tuco & Cheyenne offre un moment de calme à l'ambiance filmique. La chanson se conclut sur une constatation un peu désabusée, "C'est le nouveau monde, tu ne peux le combattre".

Avec dix titres, l'album est compact et sans temps mort. Après l'avoir réécouté plusieurs fois pour cette chronique, j'y suis encore plus accroché.
Serdar se produit assez irrégulièrement en concert, principalement dans des bars parisiens. Je vais être attentif et essayer d'en attraper un.

Comme Serdar l'a dit à Buzz On Web : "Achetez le disque en direct, ne passez pas par le web. Je suis dessus parce qu’il faut y être mais ce n’est pas mon truc. Sinon : fabrika77@yahoo.fr !"



01 novembre 2025

THE CATS MEOW : La la lu


Acquis chez Bell'Occas à Charleville-Mézières le 14 octobre 2025
Réf : DL 80 003 -- Édité par Decca en Allemagne en 1966
Support : 45 tours 17 cm
Titres : La la lu -/- Confusion

J'ai fait un petit tour en Ardenne, en m'arrêtant notamment dans les trois magasins de la ressourcerie Bell'Occas. Les 45 tours y sont désormais à 1,50 €, ce qui limite les prises de risque, mais au moins à Charleville il y avait un bon paquet de disques et j'en ai pris une demi-douzaine suffisamment intéressants a priori pour que je mette ce prix sans rechigner.

Le premier sur lequel je suis tombé, c'est celui-ci. Une pochette générique ou un rond central réussis, ça suffit parfois à faire l'intérêt d'un disque, pas obligatoirement besoin d'une pochette très élaborée quand on a les yeux hypnotisés par un graphisme comme celui-là.
Je ne suis pas suffisamment qualifié pour dire si on se rapproche ici de l'art cinétique à la Vasarely, ou plutôt de l'art optique façon Bridget Riley. En tout cas, ça m'a attiré l’œil et, quand j'ai regardé l'étiquette pour voir le nom du groupe, le titre de la face B, et le fait que c'était un enregistrement sous licence américaine, j'ai tout de suite décidé de le prendre.

La la lu est le premier des deux singles sortis par The Cats Meow en 1966. Par la suite, le groupe a signé chez Buddah, mais son contrat l'obligé à changé de nom. C'est donc The Beeds qui a sorti deux autres singles en 1968 et 1970.
Je pourrais citer les noms des membres du groupe, mais je n'ai pas l'impression qu'ils ont une importance particulière. Car derrière toutes les chansons de The Cats Meow et The Beeds, il semble surtout qu'il y a un duo d'auteurs-compositeurs-producteurs, Jimmy Calvert et Norman Marzano.
Leurs noms ne sont pas très connus du grand public, mais ils ont un parcours remarquable de musiciens de studio et producteurs. Ils ont notamment écrit la chanson Do something to me, enregistrée d'abord par ? Mark and the Mysterians en 1967 avant d'être reprise par Tommy James and the Shondells en 1968, et même par les Pooh Sticks en 1988 (ce qui fait que j'ai deux versions de cette chanson). C'est leur formation de studio qui se cache derrière le groupe de pop bubblegum Crazy Elephant, et par exemple Calvert joue de la guitare sur plusieurs titres de l'album de Ringo Starr de 1973.
La boite de Doc Pomus et Mort Shuman a dû investir des billes dans cet enregistrement car, sur le single américain, il est indiqué "Produced by Marzano-Calvert" puis "A Pomshu production".

La la lu est paru au printemps 1966 et ça s'entend. C'est de la pop avec plein de plans pompés sur les Beatles. Le chanteur a la voix du gamin qu'il devait être.
Cette chanson n'a pas eu trop de succès aux États-Unis, mais apparemment elle en a eu un peu plus en Allemagne (ce qui peut expliquer qu'un exemplaire du disque ait voyagé jusque dans les Ardennes) et en Australie.
Je n'ai trouvé aucune trace d'une édition française de ce disque, mais il y en a qui y ont prêté attention puisque, en juillet 1966, on trouve une adaptation en français de La la lu en titre principal du premier EP de Pussy Cat, alias Évelyne Courtois, dont on a parlé ici même plus tôt cette année à propos des paroles qu'elle a écrites pour Martin Circus.
En 2019, cette adaptation française a elle-même été reprise par Rue '66, un groupe californien francophile et rétro.

Cette face A n'est pas mal du tout, mais la face B est mieux.
Confusion est un instrumental rock dans un style je dirais surf-garage, c'est à dire presque un peu rétro déjà en 1966. Rien d'original donc, il y en a des milliers comme ça, mais c'est excellent, pas si loin dans le genre des instrumentaux hommage de Jonathan Richman type Yo Jo Jo.

Ça fait un moment que je n'étais pas tombé sur une petite pépite sixties de ce genre. J'espère qu'il y en aura d'autres.


La pochette illustrée très bof de cette édition allemande du single. On est dans un cas assez rare où je ne regrette pas de n'avoir "qu'une" pochette générique.

29 octobre 2025

TRANS MUSICALES - RENNES 2-5 DÉC 92


Offert par Les Trans Musicales à Rennes le 4 décembre 1992
Réf : TRANS 92 -- Édité par Les Trans Musicales de Rennes / ATM en France en 1992 -- Promotional copy - Vente interdite
Support : CD 12 cm
20 titres

Ce blog a vingt ans aujourd'hui et ceci est la 1864ème chronique publiée. C'est l'occasion de marquer le coup et, pas la première du genre bien sûr. Si vous voulez rembobiner l'histoire du blog et de son évolution, voici quelques-unes des précédentes bornes passées :Pour aujourd'hui, je voudrais disserter un peu sur la question de la mémoire. Parce qu'évidemment, vingt ans de blog c'est long et toutes ces chroniques recèlent plein d'informations et de souvenirs. Mais aussi parce que les souvenirs, aiguillonnés par les disques, agendas, photos, vidéos et autres documents, sont au cœur de ce projet, dont la raison d'être est de raconter des tranches de vie en forme de rondelles discographiques.

Dans les échanges que j'ai eus avec des amis ou des lecteurs à propos du blog, la question de la mémoire revient souvent. Mes interlocuteurs se disent impressionnés par les détails dont je me souviens, notamment par le fait que j'essaie depuis le début de mentionner les conditions d'achat de mes disque. Cette réputation d'avoir une mémoire de fer et de me souvenir de tout ou presque est largement usurpée.
Effectivement, pendant des décennies, peut-être bien d'ailleurs jusqu'à ce que je me lance dans l'aventure du blog la quarantaine passée, j'ai été suffisamment présomptueux pour penser que ma mémoire conserverait parfaitement sur le long terme mes souvenirs, pour la seule raison que je ne buvais pas d'alcool et ne prenais pas d'autres drogues. C'était sans compter sur un paramètre essentiel : le temps qui passe et son corollaire la vieillerie qui me gagne. Comme le chantait Jeanne Moreau, j'ai la mémoire qui flanche, et comme le disait l'oncle de Boris Vian dans La java des bombes atomiques, "A mesure que je deviens vieux, je m’en aperçois mieux, j’ai le cerveau qui flanche. Soyons sérieux disons le mot, ce n’est plus un cerveau c’est comme de la sauce blanche !".

Au cours de ces vingt ans de blog, j'ai eu l'occasion à de multiples reprises de vérifier que ma mémoire est pleine de trous. Il y a la fois par exemple où j'ai découvert dans mon agenda la mention de Lou Reed dans la liste des concerts auxquels j'avais assistés lors d'un Printemps de Bourges. Il avait bien fallu se rendre à l'évidence, j'avais complètement oublié mon passage au concert de Lou Reed où j'étais éveillé, mais je me souvenais m'être endormi à celui de Tindersticks !

Le blog lui-même, avec toutes ces chroniques, est maintenant une béquille mémorielle géniale, bien meilleure et plus détaillées que mes agendas. Je m'y reporte souvent, et il y a plein d'événements notés dedans que j'ai oubliés depuis !!
Cette semaine encore, je lisais quelque chose à propos de Winogradoff et je vois qu'il a été membre de l'Orchestre du Splendid. Je me dis tiens, je ne devais pas connaître cette information quand j'ai chroniqué Je cherche le rock il y a bien longtemps (en 2006). Je vais relire ma chronique et l'info y figure noir sur blanc. Je l'avais apprise en rédigeant ce billet et complètement oubliée depuis...

Il y a une chose à propos du blog qui est constante : c'est le fait que mes opinions sur la musique contenue dans les disques chroniqués évolue peu. C'est arrivé maintes fois : je réécoute un disque, et après coup je vais relire la chronique rédigée parfois des années plus tôt : immanquablement, j'y retrouve telles quelles des remarques, des comparaisons que je viens de me faire à nouveau.

Alors pour ces vingt ans du blog, j'ai choisi cette compilation CD hors commerce (j'aime bien les disques hors commerce...!) diffusée par les Trans Musicales pour la promotion de l'édition 1992 du festival. Pourquoi celui-là, plutôt qu'un autre CD promo du même acabit ? 
Parce qu'il y a plein de bonne musique dessus, mais surtout parce qu'il a fallu que je me batte pendant plusieurs mois pour m'assurer de façon certaine que j'étais présent cette année-là pendant une toute petite partie des Trans...!

Tout est parti de la chronique de Nirvana en juin dernier, dans laquelle je revenais sur le passage du groupe aux Trans 1991. J'expliquais qu'il ne me restait que quelques souvenirs épars de leur prestation. Mais j'avais un autre souvenir de la soirée : je me revoyais traversant le public de la salle Omnisports, peut-être bien pour en sortir, pendant que Pavement jouait. A ce moment, leur fameux batteur tout fou Gary Young s'était avancé sur le devant de la scène et avait fait une acrobatie, du genre saut périlleux arrière ou poirier.
Sauf que, quand j'ai vérifié les archives des Trans, je me suis rendu compte que mon souvenir était faussé car Pavement n'y a pas joué le même soir que Nirvana, mais l'année suivante, en 1992 !
Et quand j'ai repris mon agenda de 1992, où je notais entre autres les concerts auxquels j'ai assistés, il n'y avait rien de noté dedans à cette date, ni sur les pages du mois ni dans le planning annuel.
Et voilà que je me suis retrouvé avec un souvenir encombrant : une vision fugitive du concert de Pavement, sans moyen de la corroborer.
Le fait que je possède le CD des Trans 92 et que le graphisme de l'affiche m'est familier n'est pas un indice probant pour confirmer que j'étais aux Trans cette année-là : j'aurais aussi bien pu récupérer le CD à Radio Primitive, et d'ailleurs j'en ai quelques-uns des années où je n'ai pas fait le déplacement.
Avec un peu de courage, j'aurais pu aller fouiller dans mes boites d'archives au grenier où j'ai dû conserver mes passes de festivals, mais c'était vraiment aléatoire.
Au bout du compte, j'ai fini par trouver un élément concret confirmant que j'étais bien à Rennes début décembre 1992. Je suis tombé au grenier sur un dossier où j'ai conservé quelques documents de mes années Férarock, quand j'étais trésorier de l'association. 
Si j'avais une raison particulière de me rendre à Rennes, c'était pour une réunion de la Férarock. On avait lancé le projet l'année précédente en marge des États du Rock à Montpellier et très vite on avait décidé de tenir la plupart des réunions en marge des festivals : Les Eurockéennes, Le Printemps de Bourges, Les Trans...
Le 7 décembre 1991, nous avions organisé pendant les Trans la conférence de presse de présentation de la toute nouvelle fédération, avec pour l'animer une prestation mémorable des Gamins en Folie.
Dans le dossier, j'ai retrouvé mon cahier de réunions Férarock, avec notamment cette page :


Un extrait de mes notes de la réunion Férarock du 5 décembre 1992 à Rennes.
Quel piteux trésorier je faisais : aucune cotisation encaissée à la fin de la première année complète d'existence de l'association. On se demande comment elle a pu tenir le coup !


J'étais donc bien aux Trans en 1992, mais quels concerts ai-je bien pu y voir ?
Avec l'ami Phil Sex, on a dû faire la route depuis Reims le vendredi 4. La réunion Férarock s'est tenue le samedi 5.

En consultant le programme, et en convoquant quelques sensations, qui ne méritent pas d'être qualifiées de souvenirs, je dirais que j'ai dû voir tout ou partie de ces concerts :
  • Magnapop, Pavement, Sugar et Sonic Youth le 4 à la salle Omnisports
  • The Disposable Heroes of Hiphoprisy le 4 à la salle de la Cité
  • Un bref passage à la Rave O Trans le 5 à la salle Omnisports

Le vendredi 4, après avoir remonté la rue de la Soif depuis la salle Omnisports, on a dû arriver trop tard à la salle de la Cité pour voir DC Basehead. Mais même si je devais être fatigué après une longue journée et une longue semaine, le moi d'aujourd'hui ne comprend pas comment j'ai pu aller me coucher alors que Suicide et les Last Poets étaient au programme !! D'un autre côté, je préfère encore imaginer que c'est ça qui s'est passé, l'alternative étant d'avoir assisté à leurs prestations et de les avoir complètement effacées de ma mémoire...
Pour le samedi 5, c'est pareil, soit j'ai vu une partie de la soirée à la Cité, avec notamment Cowboy Mouth, Les Tontons Flingueurs, The Dick Nixons et The Tragically Hip et j'ai tout oublié, soit avec les membres de la Férarock on était occupé ailleurs.

Pour ce qui est du CD, il y a plusieurs titres que j'apprécie et connais bien, que je les ai découverts avant ou après le festival : l'excellent Comme Jeannie Longo de Katerine, Sad new day de Me Phi Me, 2000 BC de DC Basehead, Parla patois de Massilia Sound System, Youth against fascism de Sonic Youth, et Sugar, même si The act we act n'est pas parmi les titres du groupe que je connais le mieux.

Les deux découvertes de la compilation qui m'ont le plus marqué à l'époque et que j'ai le plus diffusées dans mon émission sont le tube rap/rock Vise le top des québécois Dédé Traké, avec une excellente utilisation d'un échantillon de Psyché rock, et l'excellente reprise de Le tourbillon par Torman et Tuscadu.

A la réécoute, deux titres dont je ne me souvenais plus m'ont vraiment bien plu : Time bomb Fon mix par 808 State et Why be blue de Suicide. Pour Suicide, de ce que j'en connais, je ne pensais pas qu'ils avaient fait quelque chose d'aussi fort après les deux premiers albums.
J'ai été surpris de trouver ici un titre d'Ali Hassan Kuban, Henna. J'ai eu l'impression de le "découvrir" en 2022 et j'ai alors acheté deux de ses albums, mais j'avais un de ses titres depuis trente ans !

Il y a encore plein de bonnes choses dans le reste du disque : Dogs with no tails de The Pale, Trigger cut de Pavement, Mary Joanna de The Stairs, Do the Dick Nixons des Dick Nixons, Blaulicht und Zwielicht d'Element of Crime, Balkans par Les Pires. J'aime beaucoup P'tit Louis des French Lovers, mais j'ai vraiment trop l'impression d'entendre Helno des Négresses Vertes.

Vingt titres sur cette compilation pour les vingt ans du blog, le compte est bon. Si seulement j'avais pu voir tous ces gens en concert à Rennes en 1992... et m'en souvenir !

Les Trans 2025 auront lieu du 3 au 7 décembre. Évidemment, je ne connais aucun des noms de la programmation. Je ne suis plus de très près l'actualité musicale, et surtout c'est le principe avec un festival défricheur. Mais on écoutera peut-être encore certains des artistes programmés dans trente ans...

Des vidéos pour la moitié des artistes du CD. Je vous conseille particulièrement les trois premières, en concert à peu près à l'époque des Trans 92 :











26 octobre 2025

JOY MACK : At the club


Acquis sur le vide-grenier de Magenta le 12 octobre 2025
Réf : RA 6101 -- Édité par Reggae en France en 1977
Support : 45 tours 17 cm
Titres : JOY MACK : At the club -/- HEAVYSTONE ALL STARS : Out and about

La brocante de Magenta n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était il y a encore moins de dix ans. Elle a changé de lieu et il y a énormément moins de stands. Mais le temps y était agréable cette année et j'en suis revenu avec deux disques intéressants, ce qui n'arrive plus si souvent. Je ne me plains donc pas !
L'autre disque est le pressage français d'un album de James Brown de 1968. Nothing but soul est une curiosité, un album instrumental où le Parrain est à l'orgue. C'est sympathique, même si parfois un peu trop jazzy à mon goût.

L'autre disque, c'est celui-ci, que j'ai trouvé glissé parmi une vingtaine de 45 tours de variétés dans un sac plastique posé dans une caisse.
Je ne connaissais pas ce label français Reggae, distribué par Sonodisc, qui a sorti au moins dix disques en 1977, tous avec la même pochette générique. Ce sont des disques sous licence de productions étrangères, avec des noms peu connus. Il y a des jamaïcains, bien sûr, mais aussi au moins un africain du sud et des britanniques, comme c'est le cas ici.

L'édition originale anglaise de ce single est sortie en 1976 chez Jama. Le disque est arrangé et je suppose produit par Dandy Livingstone, l'auteur notamment de Suzanne beware of the devil et Rudy, a message to you.

La face A est chantée par Joy Mack (1949-2019), qui a eu son plus grand succès en 1978 avec You had your chance. C'est une reprise d'At the club, un single de 1965 des Drifters, une chanson écrite par Gerry Goffin et Carole King.
La version de Joy Mack d'At the club est de la pop-reggae très agréable, arrangement de cordes compris.
J'ai découvert que Dandy Livingstone avait produit en 1974 une première version d'At the club, par Sidney, George et Jackie, trois membres des Pioneers. Sur ce 45 tours publié chez Attack, c'est à la base la même version instrumentale qui est utilisée, sauf qu'à la place des cordes il y a les prouesses du trio vocal.

En toute logique avec un single de reggae, je m'attendais à ce que la face B, créditée aux Heavystone All Stars, soit un instrumental ou un dub de la face A. C'est bien un instrumental, mais la composition est différente. En tout cas, j'aime beaucoup cet Out and about.
Comme pour la face A, cet enregistrement avait connu une première vie en 1974, en face B d'un 45 tours produit par Dandy et crédité à Love Children, dans un mixage différent, sous le titre Ruff/ready.
Et il y a du beau monde sur cet enregistrement puisque, un peu comme avec le Disco Reggae Band derrière lequel se cachait Black Slate, tout indique que les Heavystone All Stars et les Love Children sont en fait le groupe réputé The Cimarons.

Deux titres différents et intéressants. Un producteur et des musiciens réputés. Je ne regrette pas l'achat de ce disque qui ne payait pas de mine.

18 octobre 2025

GILLES TANDY : La colère monte


Acquis neuf à Reims ou chez New Rose à Paris en 1986
Réf : ROSE 95 -- Édité par New Rose en France en 1986
Support : 33 tours 30 cm
8 titres

Je pense que c'est mon compère Raoul Ketchup qui avait amené cet album à sa sortie pour le passer dans Rock comptines, l'émission que nous animions en trio avec Phil Sex sur Radio Primitive. Il m'a suffi d'écouter quelques titres pour être convaincu d'acheter moi aussi ce premier album sous son nom de Gilles Tandy.
Il faut dire que j'étais devenu fan du chant de Gilles Tandy depuis le jour où, probablement en 1982, un pote m'avait prêté quelques 45 tours que j'avais repiqués sur cassette en utilisant la chaîne de ma résidence du CROUS. Parmi ces disques il y avait l'excellent et légendaire unique 45 tours des Olivensteins. Si on devait résumer le punk français à un seul titre, Fier de ne rien faire ferait parfaitement l'affaire. Et il y a en plus Euthanasie sur le même disque...!

Après Les Olivensteins et avant que la colère monte, Gilles Tandy s'est illustré au sein de Gloires Locales (un 45 tours) et Les Rythmeurs (un mini-album). 39 ans après sa sortie initiale, le label Smap, repéré notamment ces dernières années pour sa campagne de rééditions de Warum Joe, vient de rééditer La colère monte, en 33 tours (avec deux faces B de 45 tours en bonus) et en CD (avec les mêmes faces B plus quatre titres en concert avec les Dogs à l'Exo7 de Rouen le 16 décembre 1986).
C'était l'occasion ou jamais de ressortir mon disque des étagères.

Les Olivensteins sont historiquement associés à Rouen, mais en fait Gilles Tandy a vécu une bonne partie à Sète. C'est là, au lycée, qu'il a fait la connaissance d'Hervé Di Rosa, qui signe la superbe pochette de l'album. Je n'y avais pas fait attention avant que Gilles Tandy le souligne ici, mais au verso les sept portraits de Gilles (photos de Marina Obradovic) illustrent chacun une des chansons originales du disque.

Si, comme à l'habitude pour Gilles Tandy, les paroles de l'album sont principalement signées par son frère Eric, un autre groupe de Rouen est très présent, puisque Dominique Laboubée et Antoine Masy-Perrier (alias Tony Truant) des Dogs se partagent équitablement la composition des musiques.
L'enregistrement et le mixage se sont faits au studio Mix-It à Paris sous la houlette de Dominique Laboubée, Eric Débris de Métal Urbain et Jean Labbé.

La colère monte est un bon exemple de réussite du rock français. Paroles et musiques sont intéressantes et le tout est lié par la façon de chanter de Gilles Tandy, avec une scansion particulière et une sorte d'indolence reconnaissables instantanément.

Le disque s'ouvre avec deux excellentes chansons, Le vampire, le premier titre à être extrait en 45 tours, et Disponibilité à toute heure, avec des plans sixties façon Byrds.
Ensuite, le tempo ralentit un peu pour Touriste ("dans une cité triste"...).
Avant d'écouter cette reprise par Gilles Tandy, je connaissais plein de chansons de Jacques Dutronc, mais pas Le responsable, sortie en 1969. J'ai tout de suite adoré la reprise, mais j'ai été surpris quand j'ai fini par écouter la version originale de découvrir qu'elle est presque aussi électrique et sauvage. Jamais Dutronc ne s'est autant approché du son des Rolling Stones.
Sachant qu'une des faces B de 45 tours est une reprise de Les crayons de couleur d'Hugues Aufray, on constate que ces sessions restent très marquées par le son des années soixante. Ce qui ne surprend pas trop quand on sait que les Dogs sont dans les parages !

Je sursaute à chaque fois que j'entends les premières notes d'A demain. Ça me l'a fait cette fois-ci, comme ça me l'a fait à la première écoute et à chaque fois que j'ai ressorti le disque entre-temps. La raison en est simple : cette intro est identique note pour note à She never understood de Biff Bang Pow ! et le reste de la chanson en est très proche aussi. Cette chanson, je la connais très bien, puisque j'étais présent lors des sessions d'enregistrement de l'album The girl who runs the beat hotel. J'ai pensé initialement que Dominique Laboubée, grand connaisseur de musique, avait pu s'inspirer de BBP!, mais ça ne colle pas au niveau des dates : les deux titres ont été enregistrés en 1986, en début d'année pour celui des français, en septembre pour celui des anglais. Le disque de Gilles Tandy est sorti courant 1986 et celui de BBP! début 1987 et je ne pense pas possible qu'un enregistrement ait influencé l'autre. Mais la proximité d'A demain avec BBP!, y compris avec la présence d'un harmonica, est impressionnante. Et le plus probable, c'était mon autre option, est que tous les deux ont puisé à la même source sixties, une source éventuelle que je n'ai pas réussi à identifier.
Indépendamment de cette proximité musicale, A demain est peut-être bien ma chanson préférée de l'album. J'aime beaucoup les paroles qui sont dues à Eric. Eric qui ? Bien malin qui peut le dire puisque, c'est Débris qui est crédité sur l'insert avec les paroles, et Tandy sur le rond central...! (maj suite à un commentaire : c'est bien Eric Tandy l'auteur des paroles).

Ces paroles sont à la fois datées (Minitel, 2001 dans le futur) et complètement d'actualité :

Les émissions d'informatique me rendent neurasthénique
Le langage publicitaire me donne mal à la tête
Tout se glace comme un clip, ça ne parle plus qu'en bips
Et tout autour de moi les robots dictent leur loi

Quand je dis à demain... Je ne pense pas 2001
Quand je dis à demain, je veux rester humain

Je n'aime pas les machines, il faut qu'on m'assassine
Je ne suis pas un mutant, j'aime tellement mon présent
Si c'est toi que j'appelle, ce n'est pas ton Minitel
Je veux garder mon âme, pas gagner un programme...


Arrive ensuite  la chanson-titre, La colère monte, qui est de loin la plus courte de l'album. C'est aussi la seule dans un style country et western et, à ce titre, elle annonce un peu Cowboy Joe, enregistrée l'année suivante pour la compilation Mon grand frère est un rocker par Gilles Tandy, son Frère et ses Amis.

Ostende sommeille, le deuxième 45 tours, est l'autre chanson un peu plus lente de l'album. On est dans une veine un peu plus chanson française (ou belge).
L'album se conclut en rock and roll et en beauté avec Le dealer est un ami.

Voilà donc un album compact de huit titres, excellent de bout en bout. Et maintenant qu'il a eu droit à sa réédition, on pourrait le considérer comme un classique du rock français. Il a sûrement influencé du monde, à commencer par Bingo de Bingo Bill Orchestra, qui a rencontré Gille Tandy en 2022 pour un entretien fleuve publié par Casbah Webzine.
Il a fallu attendre 1991 pour que Gilles Tandy sorte un deuxième album, accompagné par Les Rustics. Il faudrait que je le ressorte aussi, mais à l'époque il m'avait un peu déçu.

La réédition est limitée à 250 exemplaires par support. Il en reste apparemment moins de 50 de chaque.






Reportage télévisé de Gérard Bar-David, février 1987.