16 novembre 2025

REVEREND ROBERT BALLINGER : Gospel


Acquis chez Bell'Occas à Charleville-Mézières le 14 octobre 2025
Réf : MPO. 3104 -- Édité par Pop en France en 1962
Support : 45 tours 17 cm
Titres : The little black train -- Hold my body down -/- The King's highway -- There are days

Si le même jour, parmi les 45 tours à 1,50 € de Bell'Occas, j'ai pris le The Cats Meow en partie pour sa pochette générique, ce disque du Révérend Robert Ballinger, je l'ai pris principalement pour sa pochette très réussie. En effet, j'aime bien le gospel, mais je ne prends pas systématiquement tous les disques que je vois dans ce genre. J'aime bien aussi le label Disques Pop, une filiale de Vogue. J'en ai déjà chroniqué trois 45 tours (de Jack Hammer, Jacky Noguez et Willard Burton), mais les productions du label sont variées et inégales et je ne les collectionne pas systématiquement non plus.

Le graphisme de cette pochette est réussi et efficace. Mais sa force tient principalement à la photo choisie pour l'illustrer. De premier abord, on peut croire que le gamin au premier plan lève les mains car il est tenu en joue. En fait, en y regardant à deux fois, il est plus probable qu'il est en plein jeu avec ses copains. En examinant encore plus les détails, on note que, à jouer pieds nus dans l'herbe, le garçon au premier plan a les pieds tout verts.
Rien à voir a priori avec la musique gravée sur le disque, mais illustrer du gospel avec des enfants noirs probablement pauvres, ça a un certain sens.

Il y a un crédit pour cette photographie au verso de la pochette : Léon Cabat. Cette personne est créditée pour plus d'une quarantaine de photos de pochettes sur Discogs, dont la référence suivante du label, un autre disque de gospel avec une pochette très réussie, dans un style différent, et, pour rester dans la même veine, des disques de blues (avec les quatre mêmes gamins, je pense), de jazz ou de folklore.

Et comment Léon Cabat (1922-2005) s'est-il retrouvé à photographier autant de pochettes pour Vogue ? Eh bien, tout simplement parce qu'il est l'un des fondateurs du label, qu'il a dirigé pendant des années !
A lire, ici puis , un portrait de Léon Cabat dans le n° 314 de Nouvelles d'Arménie Magazine de février 2024.
Il devait être un homme discret. Si j'avais dû citer un nom pour la fondation des disques Vogue, j'aurais peut-être pensé à Charles Delaunay, critique musical et spécialiste de jazz (fils de Sonia, ce qui explique qu'elle a créé le logo du label utilisé pendant toutes les années 1970). Mais en fait ils étaient trois à lancer le label, avec le saxophoniste Albert Ferreri.
Léon Cabat a très peu fait parler de lui, mais il a joué un rôle essentiel pour Vogue, puisqu'il a dirigé la société de 1947 à 1985 !
Et il ne s'est pas retrouvé là par hasard, il devait être un grand fan de jazz et/ou de blues qui, ses photos le prouvent, a pas mal voyagé aux États-Unis. Les Nouvelles d'Arménie Magazine racontent que, dès 1948, il vendait des disques de jazz importés des États-Unis, acquis auprès de Nesuhi Ertegun, natif comme lui d'Istanbul.

Robert Ballinger (1921-1965) est né à Cincinatti et a fini par s'installer à Chicago. Devenu pasteur, c'est en lien avec cette activité principale qu'il a dû développer ses talents de pianiste et chanteur, avec une discographie de huit singles et deux albums.
Il a sorti ses premiers singles dans les années 1950 chez United, puis chez le légendaire label de Chicago Chess, où il a souvent été accompagné à la contrebasse par Willie Dixon et à la batterie par Odie Payne. Il signe ensuite chez Peacock, un label qui avait beaucoup de succès avec sa collection de gospel. Mais il y eu du grabuge car Peacock a attaqué Chess en justice en 1962 pour avoir enregistré des artistes que le label avait sous contrat, Robert Ballinger et les Five Blind Boys. L'affaire, longue et coûteuse pour les deux labels, était encore en appel en 1965, avec de multiples rebondissements.

Comme c'était souvent le cas, ce 45 tours quatre titres français compile deux singles Peacock de 1962. Le style de Robert Ballinger est un hybride de gospel et de blues. Dixon et Payne sont toujours présents, malgré le procès et bien que ce ne soit pas un disque Chess.
Outre la section rythmique, la formation de base sur ces quatre titres, c'est le piano et la voix rugueuse de Robert Ballinger, parfois complétée et adoucie par des chœurs.

La réussite du disque, c'est The little black train, dès l'intro avec quelques lignes de basse et les chœurs qui font le son du train. Les chœurs répondent ensuite aux "get on board" du révérend. On est en plein dans la veine du This train popularisé par Sister Rosetta Tharpe.
Les chœurs sont encore bien présents sur Hold my body down. Comme pour 
There are days, ce sont avant tout des chansons blues, l'aspect gospel étant surtout présent dans les paroles, comme quand le chanteur interpelle Jésus.
The King's highway, dans la même veine, est l'autre grand moment du disque, avec une intro basse piano batterie assez longue. 

Les titres de l'EP sont tous repris en 1963 sur le premier album, Little black train. Peacock sortira en 1964 un deuxième album, Swing down chariot, mais le révérend meurt quelques mois après sa sortie, à 43 ans. Comme il le chantait dans The King's highway, "won't be long, you're gonna look for me, I'll be gone".

S'il en était besoin, voici une preuve de l'importance de Robert Ballinger : en 2021, le label de référence Bear Family a choisi pour inaugurer sa nouvelle collection de gospel de publier The king's highway, une compilation qui doit reprendre à peut près l'intégrale de ses enregistrements.

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