14 septembre 2024

DAOUDA : Gbakas


Acquis par correspondance via Ebay en septembre 2024
Réf : MOY.451 -- Édité par Moya en France en 1976
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Gbaka -/- Lola

Parmi toutes les chaînes accessibles sur la box télé de mon fournisseur internet, il n'y en a guère que deux susceptibles de m'intéresser, BBC News et Melody d'Afrique, un robinet à musique nostalgique entièrement dédié à la musique africaine des années 1960 à 1990.
L'autre jour, en allumant l'appareil resté réglé sur Melody d'Afrique la fois précédente, j'ai entendu quelques notes de musique qui m'ont tout de suite accroché l'oreille. Je me suis donc mis à regarder l'émission et j'ai passé un excellent moment.
J'ai vite compris que l'artiste s'appelle Daouda. Dans cette émission Pour une fête, enregistrée en public en 1986, il interprétait à la guitare acoustique ses plus grands succès, avec des paroles principalement en français, accompagné uniquement par un percussionniste au jeu léger et inventif. Ce style de "chanson africaine", douce et acoustique, m'a instantanément fait penser à G.G. Vikey, et je suis loin d'être le premier à faire ce rapprochement.
Après l'émission, j'ai voulu en savoir plus sur Daouda, et surtout j'ai cherché à commander un disque pour pouvoir en parler ici. J'en ai trouvé un assez vite, en bon état et pas cher, même avec le port. Ce n'est qu'après l'avoir reçu que j'ai su qu'il s'agit en fait du premier disque publié par Daouda, dont il avait joué les deux faces lors de l'émission.

Tout dans ce 45 tours indique que c'est une édition "française" : il y a le tampon SACEM, l'imprimeur est français. Mais comme souvent avec les disques d'Afrique ou des Antilles, je suis à peu près persuadé que l'essentiel du tirage a été distribué hors de l'hexagone, en Côte d'Ivoire dans ce cas précis. L'enregistrement, lui, s'est fait au Nigeria avec un orchestre de Lagos.

Daouda Koné
est né en 1951. On l'a surnommé "Le sentimental" d'après le titre de l'un de ses succès. Parmi ses autres titres de référence, on trouve La femme de mon patron, Le villageois, Le margouillat et Match nul. Contrôleur technique à la Radio Télévision Ivoirienne, sa carrière a été lancée quand ses collègues qui l'entendaient souvent chanter ont alerté les animateurs de la station. C'est le directeur des programmes Georges T. Benson, un grand nom de l'audiovisuel ivoirien, qui l'a mis à l'antenne et lui a proposé d'enregistrer ce premier 45 tours.

Comme l'explique Soro Solo chez #AuxSons, Gbaka est une chanson d'actualité. Les gbakas (ainsi nommés en raison du bruit qu'il font en brinquebalant) sont les minibus privés et pirates qui assurent une bonne partie des transports en commun à Abidjan, dont la SOTRA, Société des Transports Abidjanais, est censée avoir l'exclusivité. L'insécurité routière étant forte, le ministère des transports a publié en 1976 une proposition de loi pour interdire les transports informels, pourtant très utiles à la population, dont Daouda, qui en a fait une chanson/tranche de vie qui met en scène un trajet en gbaka. La popularité de la chanson a alimenté la contestation contre cette mesure. Au bout du compte, la présidence l'a suspendue et les gbakas ont simplement été soumis à un contrôle technique.

La pochette est très réussie. On note que le gbaka est nommé "Petit SOTRA", en référence à la SOTRA officielle, et qu'il vient de Blokosso, un village de la commune de Cocody, celle dont Daouda est originaire; ça ne peut pas être un hasard.
Le dessin est signé G. Ferrant, qui a fait au moins une autre pochette, celle d'un album du Conjunto Estrellas Africanas. Il s'agit en fait de Gilles Ferrant, qui s'y connaît en dessin de transport puisqu'il est l'auteur en 1971 de la première série non-publicitaire publiée en Cote d'Ivoire, Yapi, Yapo et Pipo, dont l'un des héros, Yapi, est chauffeur de taxi.

Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive (la fois précédente c'était avec les Chambers Brothers je crois) : il m'a fallu un bon moment pour me rendre compte que les versions des chansons qui sont en ligne, même quand elles reprennent la pochette en illustration, ne sont pas celles de mon 45 tours. Je les ai donc numérisées pour que vous puissiez faire la différence.

Sur le 45 tours, l'Orchestre Melodia est une formation électrique. Gbaka dure 5'15, sur un tempo assez lent, avec des arrangements délicats. Il y a des chœurs et, à partir de 2'45, une partie instrumentale à la guitare de plus d'une minute.
Daouda a enregistré plusieurs autres version de Gbaka. La plus courante en ligne est celle qui dure 4'45, qui doit être tirée de l'album Le sentimental de 1978 et reprise sur la compilation Le margouillat. Elle est plus acoustique et sans chœurs.
Il y a aussi une version sur un album en 1986 et une autre en 2009 sur un album qui a connu deux éditions, La misère et la mer et C'est pas ma faute.

Pour la face B, Lola, une autre excellente chanson, dont je n'ai trouvé que deux versions. Je ne veux pas dire de bêtises, mais celle du 45 tours sonne un peu rumba congolaise à mes oreilles. Et là encore, celle de 1978 et de Le Margouillat fait trente secondes de moins et est plus dépouillée et acoustique.

Au final, vous vous en doutez, je ne regrette pas du tout d'avoir allumé la télé ce soir-là !

A écouter :
Daouda : Gbaka
Daouda : Lola



Daouda et son orchestre interprètent Gbaka en direct dans une émission de la RTI vers 1977-78. Une excellente version, dans la veine de celle du 45 tours.


Daouda, Le sentimental, bande annonce de l'émission Pour une fête, rediffusée par Melody d'Afrique.


Survol du parcours de Daouda en trois minutes de morceaux choisis, dont des extraits de l'émission Pour une fête.


Emission spéciale Daouda de C'Midi du 15 février 2019. Il y raconte notamment ses débuts et fait une explication de texte de certaines paroles de Gbaka.

07 septembre 2024

NME's BIG FOUR


Acquis probablement d'occasion à Londres en 1986
Réf : GIV 3 -- Édité par NME en Angleterre en 1986 -- Given free with NME Feb '86 -- Not for sale
Support : 33 tours 17 cm
Titres : TOM WAITS : Downtown train (NME version) -- THE JESUS & MARY CHAIN : Some candy talking -/- HUSKER DÜ : Ticket to ride -- TROUBLE FUNK : Let's get small

J'ai lu plusieurs articles sur Tom Waits ces derniers temps dans Mojo/Uncut suite à la réédition de ses albums chez Island. Du coup, j'avais ressorti son 45 tours Downtown train pour éventuellement le chroniquer, vu que le cas In the neighborhood a déjà été abordé en 2008.
Par ailleurs, on parle aussi pas mal de The Jesus and Mary Chain, avec un nouvel album il y a quelques mois et un livre autobiographique, Never understood, qui vient de paraître.
C'est alors que j'ai repensé à ce 45 tours diffusé par le NME avec son numéro du 1er février 1986. Il y a toujours eu à boire et à manger avec les enregistrements offerts par des journaux et magazines (45 tours, parfois souples, cassettes ou CD selon les époques). Mais là, comme avec le Sounds waves 3 qui contenait deux inédits des Pixies, on est dans le haut du panier.

A l'époque, c'était la croix et la bannière pour récupérer à Reims ces "cadeaux" des hebdos anglais. Déjà, les magazines arrivaient de façon aléatoire. Plus d'une fois, j'ai fait la demi-heure de marche aller-retour à pied depuis chez moi pour rien car ils n'avaient pas été livrés. Et ensuite, quand il y avait un disque, c'était la loterie. Parfois le disque était bien là et en bon état. Parfois, il avait disparu en route et il ne restait que la trace du scotch. Souvent, il n'y avait rien, sauf une mention expliquant que le disque pouvait ne pas être disponible dans certains territoires pour des questions de droits.
Celui-ci, je pensais bien l'avoir eu comme d'autres chez Guerlin-Martin à Reims, mais en retrouvant les quelques pages du magazine que j'ai conservées, j'ai su que ce n'était pas le cas.
En effet, voici la couverture du NME en question trouvée chez Discogs :



Or, pour mon exemplaire, l'illustration est pleine page, le titre Ten years on est en gros et toute la partie de gauche sur le "Free E.P." est absente. Ça signifie qu'il y eu une couverture spéciale pour l'Europe continentale et que le 45 tours n'y a pas été diffusé. J'en déduis que je l'ai acheté par la suite lors d'un séjour à Londres : ces 45 tours étaient diffusés à tant de milliers d'exemplaires qu'on les trouvait généralement d'occasion facilement et pour pas cher.

Au fil des années, j'ai viré à peu près tous mes hebdos anglais, après y avoir découpé ce qui, sur le moment pouvait m'intéresser. Je n'ai gardé que 3 ou 4 numéros entiers, et quelques dizaines d'articles pleine page. Quand j'ai revu la couverture, ça m'a rappelé des souvenirs et je me suis dit que j'avais peut-être conservé ce numéro précis pour l'article sur Mary Chain qu'il devait contenir. En fait, c'est pour une autre raison que je l'ai gardé : c'est précisément dans ce numéro que j'ai eu mon millionième de seconde de gloire : dans les NME charts, c'est ma sélection du moment que j'avais envoyée qui a été publiée dans le Dancefloor 20 ! :



C'est une sélection dont je ne suis pas mécontent encore aujourd'hui. On voit bien que j'ai tenté d'y placer un maximum de mes obsessions musicales, celles du moment et celles sur un plus long terme. Avec le recul, le seul choix qui me laisse perplexe c'est celui d'Imperial bedroom d'Elvis Costello. Certes, comme il s'agit de chansons individuelles plutôt que de disques, c'est à la face B du single Party party que je pensais, pas à l'album. Je l'aime bien et je la chante souvent, mais je m'étonne de ne pas avoir sélectionné un de ses nombreux autres titres qui me tiennent plus à cœur.

J'étais dans le ton avec ma liste où figurent Tom Waits et The Jesus and Mary Chain, puisqu'ils venaient justement, selon les journalistes du NME, de produire dans cet ordre les deux meilleurs albums de 1985 avec Rain dogs et Psychocandy. C'est sûrement pour cette raison qu'on les retrouve en face A de ce disque.

A l'époque, quand on parlait des guitaristes invités sur Rain dogs, j'ai surtout retenu les noms de Keith Richards et Marc Ribot. Mais parmi ce beau monde il y avait aussi Chris Spedding, sur un titre, et Robert Quine, des Voidoids et de Lou Reed, sur deux chansons, dont Downtown train.
Downntown train sonne un peu à part, sur l'album, un peu plus "normale" que certains autres titres. Ce n'est pas un hasard si, à mes oreilles, elle sonne très Springsteenienne et si Rod Stewart en a fait un tube en 1990 (une version que je ne vous conseille pas particulièrement !). C'est le résultat de la volonté de Tom Waits, qui a fait appel à des musiciens différents pour cette session, notamment Tony Levin, un ancien de King Crimson et Peter Gabriel. L'autre guitariste est G.E. Smith, qui a notamment beaucoup joué avec Hall & Oates. Ce ne sont pas des références qu'on associerait d'emblée à Tom Waits !
La prise de cette version NME de Downtown train est différente de celle de l'album. Les variations ne sautent pas aux oreilles lors d'une écoute distraite, mais les écarts sont bien là, surtout dans la guitare et l'orgue. Je les différencie notamment avec la guitare vers 3'35, qui ne joue pas la même chose dans les deux cas.
En Angleterre, cette version NME n'est pas restée "exclusive", puisque c'est elle qui a été choisie comme face A du single en Angleterre, où il est bien précisé sur le rond central que la version est différente de celle de l'album. Mais ce n'est pas la cas partout : mon 45 tours français a la même pochette et la même face B, mais la face A est celle de l'album...
Parmi tout le catalogue de mon label de disques virtuels, une des références dont je suis le plus content est la compilation de Tom Waits Trained Gods, pour la sélection elle-même, mais aussi pour le titre et la pochette.

A l'entame de 1986, The Jesus and Mary Chain avait sorti quatre singles, dont trois figuraient sur leur premier album, qui a marqué les esprits à sa sortie à l'automne 1985. Avec cet album, et avec une Peel session entièrement acoustique en octobre, ils avaient amplement démontré qu'on ne pourrait pas longtemps réduire leur talent au bruit et à la furie. Il y avait deux chansons inédites sur quatre pour cette session, dont Some candy talking.
Cette excellente chanson n'était donc pas complètement inconnue des fans quand elle est arrivée sur ce 45 tours, mais cette version NME est le premier titre studio publié par le groupe après l'album et aussi la première version officielle de cette chanson qui, six mois plus tard, serait publiée en titre principal d'un EP, avant d'être incluse en bonus des éditions CD de Psychocandy.
Les deux versions sont différentes l'une de l'autre : musicalement, et aussi par le chant. Je ne l'aurais pas repéré par moi-même, mais c'est William plutôt que Jim qui fait la voix principale sur la version NME. Celle-ci est restée longtemps exclusive à ce 45 tours. Elle n'a été rééditée que sur la version Deluxe de Darklands, que je regrette de ne pas avoir achetée à sa sortie en 2011 car son prix s'est envolé depuis.

La face B est moins exceptionnelle, mais reste très intéressante.
Elle s'ouvre avec Husker Dü, qui s'attaque au bon vieux Ticket to ride des Beatles (par ailleurs, ils ont aussi fait un sort au Eight miles high des Byrds). De ce que je vois, cette version studio  est restée inédite par ailleurs. Par contre, on trouve en ligne une version en concert à Londres en 1985 (diffusée notamment sur l'émission Décibels de FR3 en 1986), qui nous permet de constater que c'est le batteur Grant Hart qui en assure le chant principal.

Le dernier titre du disque Let's get small, est une version en concert de 1983 d'un single de 1982 de Trouble Funk. Je ne suis généralement pas un grand fan de Go-Go music, mais là c'est entraînant, et surtout, ce son électro-funk semble bien en avance sur son temps. Une bonne façon de boucler un excellent petit disque en remuant son popotin !


Husker Dü, Ticket to ride, en concert au Camden Palace de Londres le 14 mai 1985.