24 juin 2012

ELVIS PRESLEY : Re:mixes


Acquis chez Noz à Dizy le 14 juin 2012
Réf : EV09CD101 / 2630034569488 -- Edité par Everness en Italie en 2010
Support : 33 tours/CD 12 cm
Titres : One sided love affair + 14 titres + 1 vidéo

Voilà quelque chose de monstrueux, au sens propre du terme, et même de doublement monstrueux, musicalement et technologiquement. Et même si je n'ai pas acheté cet objet au prix fort dans le réseau "agitateur de curiosité" qui l'a distribué exclusivement en France à l'origine, c'est bien une curiosité forcément malsaine qui m'a poussé à acheter de disque de remixes de titres d'Elvis.
On évoquait la semaine dernière, à propos d'Henri Salvador, la carrière posthume des chanteurs. Dans ce domaine, Elvis Presley bat des records. Normal car il est le roi, et en plus, comme chacun sait, bien qu'officiellement mort Elvis est vivant et partout, comme Johnny et Jésus.
Je vous passe les classiques rééditions de disques et les inédits, les documentaires, le business Graceland, mais sachez quand même que, depuis 1997, Elvis the concert, c'est à dire des images d'Elvis sur grand écran accompagnées par ses musiciens des années 1970, tourne régulièrement. Et en ce mois de juin 2012, on annonce pour bientôt une tournée d'un hologramme d'Elvis !
Les remixes sont une autre façon de recycler éternellement la musique. Pour Elvis, il y a eu en 2002, 25 ans après sa mort, le remix d'A little less conversation par Junkie XL, d'abord utilisé pour une pub Nike avant de sortir en single (n° 1 des ventes en Angleterre) et d'être inclus sur l'album-compilation de numéros 1 Elv1s.
Depuis il y a eu deux autres "remixeurs officiel", agréés par Elvis Enterprises, Inc., qui gère les marques déposées Elvis ®  et Elvis Presley ®, Paul Oakenfold et le DJ italien Agostino Carollo, alias Spankox. Lui a d'abord remixé Baby let's play house (n° 1 en 2008) avant de sortir un premier album de remixes, Re:versions. Celui-ci est le deuxième.
Spankox passe donc à la moulinette 14 titres d'Elvis de Hound dog à Paralysed en passant par King Creole et A fool such as I. Quel que soit le genre musical concerné au départ, rockabilly ou gospel, le résultat est un brouet uniforme, une sorte de musique générique "dance" plutôt qu'électro, comme le revendiquait l'autocollant de la FNAC. Un album qui, au bout du compte, est une sorte de mégamix comme ceux qu'on pouvait entendre dans les promotions en grande surface ou sur les marchés, un truc parfait pour sonoriser une fête de la bière ou faire danser pendant 40 minutes toute la famille, du petit dernier au grand-père, à une communion ou un mariage.
Monstre musical, donc, mais aussi monstre technologique, puisque ce disque a la particularité d'être à la fois gravé sur une face comme CD (et même un CD multimédia sur lequel se trouve une vidéo d'un remix de Blue Moon of Kentucky) et sur l'autre face c'est un mini-33 tours avec un titre.
Ça fonctionne, à condition je pense de choisir son lecteur CD (Je ne me risquerais pas à glisser ce disque un peu plus épais que la moyenne dans la fente des lecteurs de mon ordinateur ou de mon auto-radio) mais au-delà du gadget, c'est sans intérêt, sauf que ça permet de faire un clin d'oeil au titre de la chanson choisie pour la face vinyl, One sided love affair...

21 juin 2012

PRINCE OF WALES STARS : Al Capone


Acquis sur le vide-grenier de Roches-sur-Marne le 10 juin 2012
Réf : EP 1115 -- Edité par Disc'AZ en France en 1967
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Al Capone -- Very original -/- I was Kaiser Bill's batman -- A lion may be beholden to a mouse (On a toujours besoin d'un plus petit que soi)

Allez, après Howard Werth et Henri Salvador, voici l'une des plus belles trouvailles faites à Roches-sur-Marne.
Déjà, la pochette est très réussie. On ne sait pas qui l'a réalisée, mais il est quand même précisé que c'est un Ektachrome "d'après 'Le cauchemar de magritte' ". Tu m'étonnes.
En tout cas, ça donne une bonne indication de ce que ce disque représente ce, car on a en fait à faire à un cas particulièrement élaboré (et réussi) de parasitisme discographique. C'est un type de disque très courant, mais je crois bien que la dernière fois que j'étais tombé sur un cas d'école aussi intéressant, c'était pour le Whiter shade of pale de Pro Cromagnum (Sapiens).
Alors, examinons la méthode pour tenter d'aspirer efficacement les ventes d'un succès du disque. D'abord, on met le titre, Al Capone, en très gros sur la pochette. En effet, si un pékin moyen a entendu le morceau original à la radio, c'est probablement le titre de celui-ci qu'il aura retenu et qu'il cherchera chez le disquaire (aparté pour ceux qui n'ont pas connu ça : les disquaires étaient des magasins qu'on trouvait dans les villes grandes et petites, où une grande partie de la population dépensait de l'argent pour acheter de la musique enregistrée sur des antiquités qui se sont successivement appelées 78 tours, 45 tours, 33 tours, cassette et CD...).
Pour assurer le coup, nommez le deuxième titre Very original. Comme ça, en le plaçant en encadré sous le premier, le pigeon inattentif, pourra croire avoir lu "Version originale" !
Ensuite, le nom de l'artiste. C'est un pseudo bidon qui ne servira qu'une seule fois, mais autant le choisir habilement, des fois que le client ait aussi entendu ou lu le nom de l'artiste original. Dans ce cas précis, c'était Prince Buster's All Stars, alors va pour Prince of Wales Stars, ça commence par Prince et ça finit par Stars ! (Je vous dis, c'est très élaboré).
Et pour finir, au cas où le consommateur aurait aperçu la pochette originale du disque dans une revue ou chez un autre disquaire, on a mis au dos une cible de tir comme sur la pochette originale du EP français Al Capone de Prince Buster.
Je ne sais pas si Prince Buster a de bons avocats, mais si c'est le cas ils ont dû avoir des honoraires conséquents en tentant au fil des années de protéger ses droits sur cet instrumental publié pour la première fois en 1965.
Les gens de ma génération, qui ont vécu en plein la seconde vague du ska lancée par 2-Tone en 1979-80, ont longtemps connu Al Capone sans le savoir. En effet, au moment où Gangsters, le premier single des Specials, se vendait comme des petits pains, on avait très peu d'occasions d'écouter Al Capone, le disque n'étant alors quasiment plus distribué. Pourtant, quand enfin on a l'occasion de comparer les deux titres, la filiation est plus qu'évidente : certes, les Specials ont fait de l'instrumental de départ une vraie chanson, avec des couplets chantés qui ont peu à voir avec le titre original, mais tout ce qui est mémorable dans Al Capone est utilisé tout au long de Gangsters, de l'accroche instrumentale aux quelques exclamations façon "Don't argue" ou "Don't call me scarface". Je n'ai jamais compris comment un fan de musique comme Jerry Dammers avait pu sortir ce titre sans créditer son idole. D'un autre côté, il ne s'attendait sûrement pas à ce que sa face de 45 tours auto-produit fasse le tour du monde. Les reprises ultérieures de Prince Buster par Madness ou The Specials ont correctement crédité Cecil Campbell, alias le Prince.
Je viens de le découvrir, mais quatre ans plus tôt, en 1975, un autre succès était une resucée d'Al Capone. Il s'agit de Do you wanna bump ?, le tout premier single signé Boney M, qui est en fait une version disco (non créditée) d'Al Capone, dont le succès a poussé son créateur Frank Farian à recruter un groupe pour incarner Boney M...
Même une fois que j'ai su, au tout début des années 1980, queGangsters était en fait Al Capone, je n'ai jamais imaginé que ce morceau avait pu avoir du succès en France à l'époque, ni même qu'il avait pu y être édité. Eh bien, j'avais tort ! C'est début 1967 que le 45 tours s'est classé parmi les meilleures ventes en Angleterre, et c'est à ce moment que le disque est sorti en France, en EP avec pochette illustrée et en 45 tours deux titres avec comme mention  au verso "La seule version originale. Car il y avait de la concurrence. Outre celle des Prince of Wales Stars, au moins une autre version était disponible, celle du groupe de jazz Nouvelle-Orléans Les Haricots Rouges. Le 30 mars 1967, à la télévision dans Le palmarès des chansons, le groupe a interprété ce titre, sur lequel Régine dansait sa nouvelle danse, le "skate". Le skate, et pourquoi pas tout simplement le ska ? On se le demande car le Jackson de Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, emblématique du skate, n'avait rien à voir avec le ska. Régine a peut-être confondu les deux, mais en tout cas Disc'AZ était à l'affût et n'a pas manqué d'apposer la mention "Spécial 'skate' " bien en vue sur le disque des Prince of Wales Stars.
Tiens, justement il est grand temps d'y jeter une oreille, à ce disque.
D'abord, notons qu'Al Capone est peut-être le titre le moins intéressant du lot. La version est plutôt molle, pas très ska, sans trop d'intérêt. L'autre reprise, I was Kaiser Bill's batman, un succès en 1967 pour Whistling Jack Smith, est un titre sifflé, justement, très léger mais très sympathique.
Les deux autres titres sont des originaux crédités à l'improbable Mike David Sutton. Je n'ai trouvé aucune référence à cette personne probablement fictive, au patronyme anglo-saxon mais dont je soupçonne qu'elle cache un musicien français sous pseudonyme.
En tout cas, Very original est un titre intéressant, un instrumental assez typique de l'époque, façon musique de film quasi-psyché, avec des bongos et une bonne guitare électrique saturée. Beaucoup  plus léger mais tout aussi réjouissant, A lion may be beholden to a mouse (On a toujours besoin d'un plus petit que soi) enchaîne des extraits de comptines entrecoupés de phrases en français dites par une voix féminine.
Ce 45 tours de Prince of Wales Stars est assez recherché par certains collectionneurs, pour Very original, mais aussi et surtout pour la version d'Al Capone, qui compte un invité vedette crédité au verso de la pochette, Mike Pasternak. Sous son vrai nom, cet animateur de radio américain, qui a inspiré l'un des personnages du sympathique mais au bout du compte plutôt décevant film Good morning England, est peu connu, mais sous son nom de radio, c'est une légende, qui lui vaut des titres différents dans le monde anglo-saxon, où il l'est Emperor Rosko, et en France où on le connait comme le Président Rosko. Sa carrière française, il l'a d'abord faite chez Barclay et sur les radios Europe 1 et RMC, mais au moment où il a participé à l'enregistrement de ce disque il présentait l'émission Minimax sur RTL. Cette même année 1967, Rosko était l'animateur de la tournée Stax/Volt en Europe et c'est lui qu'on entend annoncer les groupes sur les enregistrements de ces concerts.
Rosko a enregistré quelques disques au fil de sa carrière et il semble bien que le titre auquel on l'associe le plus est justement Al Capone. Pas tellement à cause de ce 45 tours des Prince of Wales Stars, plutôt parce qu'en fait Al Capone a aussi été édité en Angleterre sous le nom d'Emperor Rosko, chez Trojan, s'il vous plait ! En fait, Trojan a même sorti ce titre trois fois : en 1970 (référence TR-7758) et deux en fois en 1975 (référence TR-7949 avec en face B Anna par The Main Men et référence TRO 9059 avec en face B Phoenix City de Roland Alphonso).
Toutes les sources, à commencer par le livre Young gifted and black : The story of Trojan Records, indiquent que les disques de 1975 sont une réédition de celui de 1970. Je pense que c'est faux et qu'on a à faire à  deux versions différentes.
La version de 1975 (je pense que c'est la même dans les deux éditions) est excellente, très roots et très dynamique, avec une forte présence de Rosko. Il est indiqué que c'est une production Alted.
La version de 1970, très honnêtement je ne l'ai pas écoutée car je ne l'ai pas trouvée en ligne, mais mon petit doigt me dit qu'il s'agit tout bonnement de la version des Prince of Wales Stars. Pourquoi ? Pour deux raisons : la face B est Kaiser Bill, ce qui me rappelle quelque chose, et le producteur mentionné est français, c'est même un producteur très réputé puisqu'il s'agit de Michel Colombier !!
Voilà une info très intéressante, qui nous ouvre des perspectives. Sachant en plus que Colombier a produit de nombreux EP pour Disc'AZ dans les années 1960, je pense qu'elle permet d'avancer sans trop se risquer que les Prince of Wales Stars sont en fait Michel Colombier et son Orchestre et que Mike David Sutton n'est autre que Michel Colombier lui-même...
A confirmer, mais voilà une bonne raison de plus pour les collectionneurs de chercher ce disque (je conseille plutôt aux fans de ska de chercher une édition Trojan de 1975). Quant à moi, des découvertes comme celles-ci compensent largement les heures perdues sur les vide-greniers à se salir les doigts à fureter dans des piles de disques sans intérêt...

A lire, une longue interview d'Emperor Rosko chez Soundscapes.


17 juin 2012

HENRI SALVADOR : Ahh !!! La garantie foncière


Acquis sur le vide-grenier de Roches-sur-Marne le 10 juin 2012
Réf : RI 10 080 -- Edité par Rigolo en France en 1971
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Ahh !!! La garantie foncière -/- Sex-man

Au stand où j'ai acheté l'album de Howard Werth, j'ai dû récolter une vingtaine de 45 tours à 10 centimes pièce. Quand c'est à ce prix-là et en état correct, je ramasse très large : dès que le nom me dit quelque chose ou qu'un détail attire mon attention, je prends et je trie après. Pour ce qui est d'Henri Salvador, c'est particulier. Le personnage a ses bons et ses mauvais côtés mais, pour ce qui est de ses (très nombreux) disques, surtout les EP des années cinquante et soixante, il y a presque toujours un ou plusieurs titres intéressants, que ce soit une adaptation en français d'un titre anglo-saxon ou un original bizarroïde ou rigolo.
Là, il s'agit d'un deux titres, je savais donc que c'était un peu plus tardif, mais je crois n'avoir jamais vu ce disque auparavant, et le Sex-man de la face B semblait plein de promesses.
Au bout du compte, si elles ne font pas partie de ses plus grandes réussites, ces deux chansons sont plutôt dans la bonne moyenne des productions de Salvador.
En face A, Ahh !!! La garantie foncière évoque un gros scandale politico-financier qui a éclaté fin 1971 (pour en savoir plus à ce sujet, rendez-vous ici ou ). Le chant de Salvador sur ce titre me ferait presque penser à Nino Ferrer...!
Sex-man, une galéjade dont les paroles sont signées Bernard Michel, un collaborateur très régulier de Salvador, a plus à voir avec l'indicatif de la série télé Batman qu'avec James Brown ou le funk.
Un 45 tours honnête, donc, qui ne figure pas parmi les très gros succès de Monsieur Henri, mais qui m'a surpris et intéressé pour un aspect particulier : sa production musicale. Ahh !!! La garantie foncière a une ambiance très jazzy, avec une très grosse basse et du piano, mais la grosse surprise c'est que la batterie c'est de la boite à rythmes (en 1972 !) et sur le refrain il y a une sorte de bruitage étrange (une guitare saturée ? du synthé ?). Au total, le rythme étant enlevé, on a une sorte de heavy jazz détonant. La face B est dans la même veine : les premières notes sont un riff de guitare saturée !!! (là, c'est sûr), la boite à rythmes est encore plus en évidence, et la basse est également toujours présente.
On sait que Henri Salvador a été l'un des premiers chanteurs français à créer, dès 1962, son propre label (Disques Salvador, puis Rigolo). Il avait aussi sa propre maison d'édition et même, pendant un temps, sa propre société de distribution. Comme expliqué sur le site très complet de Sitesalve dédié à sa discographie, "à partir de 1969, Salvador travaille seul à l'élaboration, l'enregistrement et le mixage de ses disques. Le résultat est parfois surprenant, mais sa liberté est totale." Ailleurs, à propos de Petit lapin, sorti aussi en 1972, il est précisé qu'il "commence à dominer les contraintes techniques de l'enregistrement et vu le matériel de l'époque c'est un sacré travail (les boites à rythmes, les réverbes à ressorts, les multipistes et le début des programmations)." Toutes ces remarques s'appliquent parfaitement  aux deux faces de Ahh !!! La garantie foncière, et j'aime particulièrement cette notion de "réverbe à ressort" !! 
Je ne le savais pas en achetant ce disque la semaine dernière mais, quatre ans après sa mort, Henri Salvador revient brusquement à la pointe de l'actualité puisque sort demain Tant de temps, un album posthume reprenant des enregistrements voix réalisés entre 1991 et 1999 réorchestrés pour l'occasion.
Il y a bien des façons de garder vivante la mémoire d'un musicien décédé. La plus simple, c'est de réécouter les disques qu'il a fait de son vivant. On peut comme moi fureter dans les vide-greniers, mais le rôle des labels serait de rééditer  correctement ces enregistrements : j'ai été surpris de constater qu'il n'existe aucun coffret rétrospectif couvrant de façon cohérente et à peu près intégrale la production de la période la plus populaire de Salvador. Ça signifie que, sauf erreur de ma part, les deux faces de ce disque n'ont jamais été rééditées depuis leur parution en 1972 et ne sont actuellement disponibles nulle part.
Et puis, quitte à sortir des inédits posthumes, on pourrait d'abord piocher dans des enregistrements terminés avant d'aller trafiquer des choses inabouties. En tout cas, la grande machine promotionnelle est en marche pour Tant de temps, avec cahier spécial 4 pages dans Le Figaro de ce week-end, et des allégations mensongères dans la promo presse : on va entendre et lire partout que "Le disque présente la seule chanson dont Henri Salvador ait jamais signé texte et musique, Mon amour, une perle de 1962." Je ne suis absolument pas un spécialiste de la discographie de Salvador, mais je sais fort bien que c'est faux. Même si mon scan de l'étiquette ci-dessous est de piètre qualité, il y est inscrit à propos de Ahh !!! La garantie foncière : "Paroles et musique : Henri Salvador"...

16 juin 2012

HOWARD WERTH : Six of one and half a dozen of the other



Acquis sur le vide-grenier de Roches-sur-Marne le 10 juin 2012
Réf : SIXOF 1 -- Edité par Metabop en Angleterre en 1982
Support : 33 tours 30 cm
12 titres

Comme prévu, j'ai pris la route dimanche dernier pour aller voir à Chaumont l'exposition White noise : Quand le graphisme fait du bruit.
J'étais tout à fait disposé à faire ces plus de 150 km pour voir exposées plus d'une centaine de productions de Barney Bubbles, mais il n'y a pas de mal à amortir ses frais d'essence alors, aidé du calendrier des brocantes, je m'étais fait un programme serré de vide-greniers égrenés à rebours de la vallée de la Marne. Coup de chance, la météo était de la partie, mais ma première étape fut un fiasco : le vide-grenier de quartier annoncé à Châlons avait visiblement été annulé. A Vitry-le-François, la brocante prévue sous et autour de la Halle avait bien lieu. J'y ai fait quelques achats, mais mes meilleures emplettes du jour c'est passé Saint-Dizier, dans le rural vide-grenier qui fait le tour du lotissement de Roches-sur-Marne, que je les ai faites.
Là aussi, j'ai d'abord trouvé quelques disques isolés assez intéressants, mais le gros de mes achats je l'ai fait à un stand qui proposait plusieurs caisses de 33 tours à 1, 2 ou 4 €, plus des maxis 45 tours à 50 centimes, des 45 tours à 10 centimes et même des CD singles à 50 centimes les 10 !!!
Tous les prix n'étaient pas affichés, alors j'ai commencé par les 33 tours à 1 €. J'en ai sélectionné quatre, Kris Kristofferson, Raôul Duguay, Henry Kaiser Band et celui qui m'a vraiment mis en joie, cet album de 1982 de Howard Werth.
Je crois que, en furetant dans le bac, j'ai abordé cette pochette par la face verso, celle où le nom de l'artiste est bien lisible. Elle n'est pas des plus caractéristiques, mais mon attention a tout de suite été éveillée. Ça m'a peut-être fait penser à certaines pochettes de Nick Lowe. J'ai retourné la pochette, et j'ai vu l'illustration sur fond bleu, le Howard Werth épelé dans des petits ronds rouges étoilés, la façon d'écrire "6ix" et "1ne", et surtout l'indication que Metabop Records était une filiale de Demon, un label co-fondé par le manager d'Elvis Costello. Là, plus aucun doute : même s'il était réputé pour rarement signer ses productions, sauf sous des pseudonymes des plus improbables, je savais que je venais de mettre la main sur une pochette réalisée par Barney Bubbles, la vedette de l'exposition qui était le but ultime de mon voyage ! Il s'agit d'un disque plutôt rare, j'imagine, par un chanteur dont je n'avais absolument jamais entendu parler.
En pochette intérieure, le portrait en gros plan de Werth avec des mains à la place de grandes oreilles et l'inscription "CRAZY/U=LOVE" dans la bouche, est lui aussi caractéristique du travail de Barney Bubbles.
Muni de ce viatique, j'ai repris la route pour Chaumont. Le Festival de l'affiche et du graphisme de la ville a beau être "international" et j'avais beau avoir pris mes précautions en consultant un plan au préalable, il m'a fallu plusieurs tentatives pour aboutir au lieu de l'exposition White noise, l'ancien entrepôt militaire des Subsistances. Certes, on était en tout début d'après-midi un dimanche, le dernier jour du festival, mais il est clair qu'en-dehors des week-ends d'inauguration et des visites en groupes, le festival passe à peu près inaperçu en ville. Les Silos, maison du livre et de l'affiche, étaient déserts à faire peur. Je n'ai vu absolument aucun panneau indiquant le chemin vers les Subsistances, situés dans un quartier un peu à l'écart et, malgré les indications données, je m'y suis pris à deux fois pour enfin accéder au but de ma visite, dans un lieu à peu près aussi déserté que le premier.
Heureusement, je n'ai pas été déçu par l'exposition White noise elle-même. Je me suis surtout concentré sur la partie dédiée à Barney Bubbles et j'y ai notamment retrouvé, dans les vitrines, la pochette de Six of one and half a dozen of the other, ainsi que celle de 4D man, le 45 tours qui a été extrait de cet album. On trouve des photos de l'exposition sur le site de Paul Gorman, l'auteur du livre sur Barney Bubbles Reasons to be cheerful et l'un des commissaires de l'exposition.
Il y a du beau monde sur ce disque, presque un who's who de la bande des pub-rockeux proches des labels Stiff et F-Beat, avec des membres de The Attractions, The Rumour, Rockpile, Blanket of Secrecy, et aussi Lu Edmonds (futur 3 Mustaphas 3 et PIL) et Carlene Carter (mariée à Nick Lowe à l'époque), dont la plupart, ce n'est pas une surprise, ont eu droit à des pochettes de Bubbles qui figuraient dans l'expo de Chaumont.
Pour sa part, Howard Werth est connu pour avoir fait partie dans les années 1970 du groupe Audience. C'est un chanteur qui a du coffre et un auteur-compositeur bien mis en valeur sur la première face du disque. On est en 1982 et le son du disque comporte d'assez nombreuses touches new wave, mais c'est suffisamment léger et bien fait pour bien se marier au style pop et rock des chansons et pour avoir bien vieilli. Plus que le single tout à fait honnête 4D man, mon titre préféré est celui qui ouvre l'album, Hovering, excellent dans un style proche de celui du Jesus of cool de Nick Lowe. Astro logic est aussi très bien.
Le titre de l'album (Six de cette sorte et une demie-douzaine de l'autre) s'explique quand on constate en retournant le disque que la face B ne contient que des reprises. Là aussi, le son est un peu modernisé, mais les interprétations de titres des Isley Brothers, Howling Wolf, Marvin Gaye ou James Brown sont réjouissantes, particulièrement Respectable et Little bitty pretty one, un classique mineur créé par Bobby Day en 1957. Au total, voilà un disque plus qu'agréable, dont l'intérêt ne se limite pas à sa pochette.
En cherchant des informations pour préparer ce billet je suis tombé sur une autre pochette de disque, superbe, visiblement créée par Barney Bubbles pour Howard Werth (même si cette information n'a pas encore été "officialisée" par Paul Gorman). Il s'agit de celle de l'excellent 45 tours Obsolete, écrit en une demie-heure et sorti par le label américain Dangerhouse en 1978.
Ma journée aura définitivement été placée sous le signe de Barney Bubbles puisque, en sortant de l'exposition, je me suis rendu boulevard Gambetta à Chaumont où se trouvait le dernier vide-grenier à mon programme du jour. Et, outre un 45 tours Stax d'Albert King où il interprète deux titres d'Elvis Presley (alléchant, mais malheureusement un peu décevant à l'écoute), j'ai trouvé pour 1 € le pressage français en bon état de The Parkerilla, l'album live de 1978 de Graham Parker and the Rumour, dont la pochette est, vous l'avez deviné, due à Barney Bubbles. 

Howard Werth a réédité en CD Six of one and half a dozen of the other sur son label Luminous, avec quatre titres en plus, dont une reprise du Show me de Joe Tex et les deux faces d'Obsolete.


09 juin 2012

JACNO : Jacno


Acquis à La Clé de Sol à Châlons-sur-Marne en 1979 ou 1980
Réf : DOR 6001 -- Edité par Dorian en France en 1979
Support : 45 tours 30 cm
Titres : Rectangle -- Anne cherchait l'amour -/- Losange -- Cercle -- Triangle

J'ai dû acheter ce disque au moment où Rectangle démarrait son improbable parcours de tube instrumental concocté pour la bande originale du premier court-métrage d'Olivier Assayas par Jacno, dont le groupe punk Stinky Toys venait de se séparer.
Il s'agit de l'édition originale de ce premier disque de Jacno. Un vinyl grand format, bien lourd, qui tourne en 45 tours et compte 5 titres, édité par un label indépendant débutant, Dorian. La pochette est en carton relativement épais et la tranche est élégamment pincée aux deux extrémités. Les informations concernant le distributeur exclusif (Discodis) et le code prix (DIS 107) sont données par des étiquettes collées au verso de la pochette.
Certes, de Jean-Michel Jarre à Vangelis, les tubes synthétiques instrumentaux n'étaient pas rares à l'époque, mais j'imagine que Jacno a dû être le premier surpris du réel succès populaire de ce disque à petit budget et à production quasi-artisanale, surtout après l'échec complet quelques mois plus tôt du deuxième album des Stinky Toys, sur lequel Vogue avait beaucoup misé.
Ce sont les quatre titres instrumentaux, à commencer par le tube Rectangle, qui donnent le ton de ce disque. Ils sont minimaux et répétitifs, mais pas autant électroniques qu'on a bien voulu le dire ou l'écrire. Certes, les mélodies au synthé joué à un seul doigt ont le beau rôle, et une boite à rythmes plutôt discrète est bien présente, mais il y a également sur ce disque, entièrement interprété par Jacno, de la batterie, de la basse et surtout de la guitare électrique, son premier instrument. Interrogé par François Ducray pour les notes de pochette de la compilation Symphonies de poche en 1994, Jacno expliquait à propos de Rectangle : "Mon premier amour, c'est Mozart. Tout de suite après, Françoise Hardy ! Et puis le rock : les Stones, Iggy et les Stooges, les Kinks. Mais aussi Gainsbourg et Dutronc, Satie et Vian. A cette époque, j'étais branché Kraftwerk... alors j'ai voulu mettre en boîte mon premier amour avec leurs pincettes de robots !".
Mozart qui rencontre Kraftwerk, voilà une bonne description de ce disque, fournie par la personne la mieux placée pour en parler ! Pour Losange et Cercle, les deux titres dont la ligne mélodique principale est jouée à la guitare, on peut aussi penser aux interludes musicaux de la télé des années 1960, comme celui du Petit train rébus, ou même aux Young Marble Giants, qui enregistraient Colossal youth au fin fond du Pays de Galles à peu près en même temps que Jacno enregistrait son disque à Paris. A propos de Kraftwerk, je n'ai pas le livre sous la main pour vous narrer ça en détail, mais on trouve dans Jacno : l'amoureux solitaire une anecdote savoureuse à propos du fameux voyage en train de Paris à Reims organisé en 1977 par Alexis pour la promotion de l'album Trans Europe Express. Les Stinky Toys étaient de la partie, comme toute la fine fleur des branchés et du show-biz parisiens, et ont mis un tel souk que ça a ruiné un projet de contrat avec Pathé...
Outre les quatre instrumentaux, on trouve sur ce disque un titre tout aussi important pour moi, mais dont on parle beaucoup moins, Anne cherchait l'amour. Il s'agit ni plus ni moins de la première sortie du duo Elli et Jacno. Car, si ce disque solo est "écrit, produit et joué par Jacno", Elli Medeiros est bien présente : en photo en pied au verso de la pochette, d'abord, comme actrice dans le film Copyright aussi, et avec son "aimable participation" comme chanteuse d'Anne Cherchait l'amour,  la chanson du générique de fin du film (Je pense que Copyright a été très peu diffusé à l'époque, comme la majorité des court-métrages. Il ne semble pas être édité en DVD et n'est pas disponible en ligne. Les seules images que j'en ai vues sont dans le documentaire de 2012 Jacno, un héros français, où elles sont accompagnées d'un témoignage d'Olivier Assayas. En 1980, quelques mois après la sortie du disque, Olivier Assayas a réalisé deux vidéos pour Rectangle et Anne cherchait l'amour, à voir ci-dessous, qui sont différentes de Copyright).
J'ai toujours énormément apprécié Anne cherchait l'amour. Je sais que le chant un peu plat et peut-être limite d'Elli en agace beaucoup, mais cette chanson donne le ton de toutes les productions à suivre d'Elli et Jacno jusqu'à Le téléphone, Amoureux solitaires compris, bien sûr.
Les paroles, notamment, sont une réussite. L'omission de "pas" dans le premier vers ("Je n'ai eu le temps de t'aimer, il n'y a rien à faire oublier") donne au texte un ton intemporel. A certains moments ("J'aurais pu être la première, t'aimer, te faire souffrir" ou "Tu voulais te briser en moi j'aurai dû tout revoir pour toi"), j'ai presque l'impression d'entendre la réponse qu'aurait pu faire Louise à Lewis Furey...

Dès que le succès de Rectangle a commencé à se faire sentir, un 45 tours a été édité, avec Anne cherchait l'amour en face B. Ce disque a lui eu très vite droit à une deuxième édition, la plus courante, avec quelques différences. Si à première vue la pochette est la même, on note l'apparition du logo de Celluloid sous celui de Dorian, l'augmentation du prix (code DIS 214), qui est désormais imprimé, tout comme la mention de la distribution exclusive Discodis. Cette augmentation était sûrement "justifiée" par un tour de passe-passe : avec l'addition d'un sixième titre, la version instrumentale d'Anne cherchait l'amour, le maxi-45 tours Jacno est devenu un album, qui s'écoute en 33 tours !

Ce disque a été réédité en 2011 et est disponible en CD et en téléchargement. Il s'agit de la version 6 titres, sans aucun bonus donc, même pas la version live de 1980 de Losange et la version en italien d'Anne cherchait l'amour publiées sur Symphonies de poche.





02 juin 2012

HERMAN'S HERMITS : The London look


Offert par Philippe R. à Nantes le 27 mai 2012
Réf : SLE-15 -- Edité par Yardley en France en 1968 -- Promotion record not for sale
Support : 45 tours 17 cm
Titres : No milk today -- There's a kind of hush -/- Mrs. Brown you've got a lovely daughter -- London look

Voilà un très bel objet publicitaire que Philippe m'a offert la semaine dernière, un EP 4 titres (versions mono) édité par la boite anglaise de produits de maquillage Yardley. Ce disque, probablement offert aux clients de la marque, a été fabriqué en France, où il ne doit pas être excessivement rare puisque Philippe en avait déjà un exemplaire. Il en existe au moins un pressage anglais et un italien. Ce qui est très surprenant, c'est que personne n'a pris la peine de traduire le texte de présentation des Herman's Hermits au dos de la pochette, que l'immense majorité des consommateurs français ne devait pas comprendre dans le détail.
En tout cas, c'est bien le marché français qui était visé puisque, après avoir sorti le disque de sa pochette une bonne dizaine de fois en quelques jours, j'ai fini par trouver à l'intérieur une petite carte de publicité pour la version de London look sortie dans le commerce en 45 tours 2 titres (ce disque est sorti en France, avec une pochette différente, et aussi en Belgique, avec une pochette proche de celle de cet EP).




Le disque lui-même est presque un mini-Best of de Herman's Hermits. Il s'ouvre, naturellement, avec No milk today, la chanson de 1966 avec laquelle le groupe est éternellement associé. Sauf que, j'ai été très surpris de l'apprendre en préparant ce billet, l'équation HH=NMT est valable en France, et sûrement dans d'autres pays du monde, mais pas dans leur Angleterre natale, où ce titre est loin d'être leur plus gros succès, ni aux Etats-Unis, où il est d'abord sorti en face B d'une reprise du Dandy des Kinks.
Fort heureusement, c'est bien la version originale de ce classique pop qu'on entend ici, pas une version spécialement enregistrée pour la pub, du genre "Plus de lait aujourd'hui pour me démaquiller, faut que je fonce en Harley avec mon amoureux chez Yardley". Les paroles originales sont très réussies, une vignette typique de la société anglaise des années 1960 pour évoquer la fin d'une histoire d'amour. Apparemment, on a beaucoup associé cette chanson aux Beatles à l'époque, mais la référence aux Kinks de Waterloo sunset ou Sunny afternoon me parait tout autant sinon plus pertinente. Il y a eu plusieurs adaptations françaises de cette chanson, la plus intéressante étant probablement la plus franchouillarde et la plus avinée, j'ai nommé Du beaujolais (Pour oublier la nuit où est partie Marie…), sortie par Les Garçons Bouchers en 1989.
Cette chanson a été écrite par Graham Gouldman, dont l'importance dans l'histoire de la pop anglaise ne saurait se limiter à son statut de membre fondateur de 10 CC. Les arrangements sont de John Paul Jones, dont l'importance dans l'histoire de la pop anglaise ne saurait se limiter à son statut de bassiste de Led Zeppelin !
Les deux titres suivants sont extraits de la bande originale du film Mrs. brown you've got a lovely daughter, sorti en 1968, dans lequel le groupe joue. J'aime beaucoup There's a kind of hush, une reprise d'un titre de 1966 du New Vaudeville Band, qui a été un gros succès pour Herman's Hermits en 1967 avant d'être incluse dans la BO du film. La chanson Mrs. Brown you've got a lovely daughter, une reprise d'une chanson créée en 1963 pour la pièce télévisée The lads, a aussi été l'un des plus gros succès de Herman's Hermits, en 1965, mais la version qu'on entend ici est celle réenregistrée en 1968 pour le film.
La chanson London look a aussi été écrite par Graham Gouldman, mais elle est très anodine, surtout comparée aux trois autres du disque.