
Acquis chez Emmaüs à Courtisols le 17 décembre 2025
Réf : С62 20251 004 -- Édité par Мелодия (Melodiya) en U.R.S.S. en 1983
Support : 33 tours 17 cm
Titres : Парафраза на темы песен [Paraphrase sur les thèmes des chansons] -/- Воспоминание (Лето 42-го)[Souvenir (Été 42)]
Il faisait très sombre en milieu d'après-midi, avec un crachin déprimant. Depuis Châlons, il faut rouler au moins 7 km jusqu'à la basilique de L’Épine, puis encore au moins 5 km à dérouler dans le village de Courtisols, réputé pour être celui le plus étalé en longueur de France. Tout ça pour atterrir sur un parking bien boueux. Bref, ceci explique pourquoi je fais rarement le déplacement jusqu'à cet Emmaüs, juste environ une fois par an, et même moins vu que la fois précédente c'était 18 mois plus tôt.
Je devrais quand même faire des efforts, puisque la fois précédente j'avais trouvé un superbe 45 tours Aux Ondes des Juniors, et cette fois-ci encore il y avait un beau rayon disques, bien rangé et pratique à consulter, avec des prix qui permettent toutes les audaces : 1 € les 5 45 tours ou les 2 33 tours. C'est le seul Emmaüs de la Marne qui pratique encore des prix de découverte.
Il serait sûrement d'en mon intérêt de faire plus souvent l'effort de me déplacer à Courtisols : j'en suis reparti avec une quinzaine de 45 tours, un CD/DVD d'Idir et quatre 33 tours, dont un double de Nina Simone.
En passant en revue les 45 tours un par un, j'avais vu à un moment deux ou trois disques à la pochette entièrement en russe. Je les avais passés très rapidement sans chercher à en savoir plus. La découverte, c'est bien, mais prendre un disque dont on ne sait absolument rien, qui a toutes les chances de s'avérer être du classique ou du folklore, je ne m'y risque qu'en période de forte disette.
Mais quand je suis arrivé à celui-ci, j'ai tout de suite remarqué la mention en alphabet latin "Surprise for Monsieur Legrand", puis en l'examinant de plus près, le nom même de Michel Legrand sur l'adresse du destinataire en haut à gauche de la pochette-enveloppe, et au verso le "42" dans le titre de la face B, qui laissait fortement penser que c'était une reprise d'un titre de la bande originale du film Un été 42, composée par Michel Legrand.
Ce disque, un simple qui tourne en 33 tours, a été édité par Melodiya, le label officiel de l'Union Soviétique. Il est daté de 1983. Je ne savais vraiment pas à quoi m'attendre quand je l'ai mis sur la platine.
J'avais entraperçu sur la fiche Discogs du groupe que ses membres avaient plus l'air de rockers que de musiciens de jazz ou de classique. Je n'ai donc pas été surpris que le titre de la face A, Парафраза на темы песен, débute avec de la guitare électrique. Là où j'ai été étonné, c'est que ça enchaîne ensuite directement avec du chant en français. Certes, Michel Legrand était français, mais il a fait une carrière internationale, avec beaucoup de musiques de film pas toujours chantées. S'agissant d'une production soviétique, rien n'indiquait d'avance que le disque pourrait être chanté dans notre langue. Ne la connaissant pas particulièrement bien, je n'ai pas instantanément identifié un couplet de la chanson Les parapluies de Cherbourg, du film de 1964 du même titre de Jacques Demy.
Par contre, quand le rythme a changé et s'est accéléré pour prendre des accents disco, j'ai eu un coup au cœur : effectivement, on est passé à une version d'une de mes compositions préférées de Michel Legrand, Les moulins de mon cœur, chanson créée sous le titre The windmills of your mind pour le film L'affaire Thomas Crown de 1968, qui a reçu l'Oscar de la meilleure chanson originale en 1969. Je regrette d'avoir égaré depuis longtemps la petite boite à musique mécanique que j'avais qui jouais cet air-là, probablement un souvenir acquis au musée Baud à L'Auberson, en Suisse.
Le titre de cette face A se traduit par Paraphrase sur les thèmes des chansons, et il s'agit bien d'un medley de ces deux chansons qui s'étend sur plus de 7 minutes, une durée rendue possible par la vitesse d'écoute en 33 tours.
la tension monte au fur et à mesure, tout comme la tonalité du chant, complété par des chœurs, jusqu'à être un peu "over the top" sur la fin. Mais bon, on ne peut pas se tromper avec Les moulins de mon cœur, et on a la preuve ici qu'une version disco de cette chanson aurait pu être un tube en boite de nuit.
Plus tôt cette année, on s'était intéressé à l'album disco de Martin Circus. 2025 aura été placée sous le signe du disco rock !
J'ai appris au passage que Michel Legrand s'est inspiré en partie pour cette composition du début de l'andante de la symphonie concertante K364 de Mozart.
Comme je l'avais pensé, la face B est une version du thème principal de la musique du film de 1971 Un été 42. Comme pour la version originale, j'apprécie le premier "mouvement", qui dure plus de deux minutes. Ça se gâte fortement ensuite après un changement de rythme, avec solo de guitare électrique et nappes de synthés sur fond de boite à rythmes et de basse glougloutante.
Les deux titres de ce simple sont extraits d'un album du même titre, avec quasiment la même pochette.
J'ai évidemment cherché à en savoir un peu plus sur ce Stas Namin Group. Notons d'abord qu'il est mentionné dans un article du Monde de 1985 sur une vague rock en U.R.S.S., où il est indiqué que l'hommage à Michel Legrand est très étonnant et qu'il rencontre beaucoup de succès.
On apprend aussi dans cet article que Stas Namin ne vient pas d'une famille anonyme : son grand-père Anastase Mikoïan était un révolutionnaire de la première heure, qui a survécu à Staline et a notamment présidé le Præsidium du Soviet suprême de l'URSS en 1964-1965.
Stas, lui, qui est né en 1951, a fondé dans les années 1970 le groupe Les Fleurs, qui a eu un très grand succès, mais qui a dû louvoyer au fil des années avec les interdictions et les évolutions parfois brusques du climat politique. Ce qui est surprenant malgré tout, c'est que le label officiel et unique Melodiya a malgré tout édité leurs disques.
Au début des années 1980, le groupe Les Fleurs était interdit pour avoir fait la promotion de l'idéologie occidentale et du mouvement hippie. C'est donc sous le nom de Stas Namin Group que le premier
premier album Hymn to the sun est sorti en 1980, dans une période de réchauffement qui a suivi les jeux olympiques de Moscou. Le groupe présente ses deux albums suivants, Reggae-disco-rock de 1982 et Surprise pour Monsieur Legrand comme des disques de commande.
La suite du parcours de Stas Namin est impressionnante. Je vous laisse prendre connaissance de son impressionnante "biographie créative". C'est visiblement un monument de la culture de son pays, actif dans la musique, le théâtre, le cinéma, la photographie, les arts plastiques, qui a multiplié les projets.
Pour ce qui concerne ses relations avec Michel Legrand, notons que celui-ci, avec d'autres artistes comme Mikis Theodorakis, lui a rendu visite en 1985 sans l'autorisation du KGB.
En 1997, Namin était l'un des organisateurs du Festival International du Film de Moscou. Il a programmé deux de ses amis pour les concerts associés à cet événement, Michel Legrand et Chuck Berry ! (Je n'aurais jamais pensé voir ces deux-là associés un jour...).
Un petit disque trouvé dans la vallée de Vesle qui nous emmène voguer sur la Moskova, portés par les compositions de Michel Legrand et des rythmes disco. C'est pour découvrir des bizarreries de ce genre que je continue à chiner, même en risquant d'avoir les pieds dans la boue.

Ci-dessus, le verso de la pochette de mon disque, et ci-dessous celui de l'album.
3 commentaires:
J'adore l'expression "basse glougloutante"
Je n'ai pas trouvé mieux pour décrire ce que j'entendais...
bonne pioche et je vois qu'en période d'intolérance en tous genres l'ami Dodu n'hésite pas à chroniquer un pur produit russe, bravo. C est vrai qu'une version pur disco du morceau aurait très bien marché je n'y aurais jamais pensé. Pour la face b le début est surprenant un peu jazz rock, un peu rock opera la voix est bonne l'ensemble commence bien dans le genre, ils savent jouer les gars après ben oui ça se gate! Ph
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