14 janvier 2018

ENSEMBLE DE DANSE ET ORCHESTRE EMY DE PRADINES : Vaudou - Musique de Haïti


Acquis à Ay le 9 mai 2014
Réf : CR 300 -- Edité par Concerteum en France en 1956
Support : 33 tours 30 cm
10 titres

Haïti a été dans l'actualité cette semaine parce qu'une sous-merde puissante l'a traité, ainsi que d'autres, de "pays de merde". Il n'y a pourtant pas à étudier longtemps la question pour savoir que, de tous temps, si les gens quittent en masse une région pour se réfugier ailleurs c'est tout simplement parce qu'ils sont dans la merde. Et la seule chose à faire c'est de les accueillir et leur porter secours.
Si je me suis replongé dans la musique d'Haïti cette semaine, c'est pour une autre triste raison : j'ai appris par un message diffusé par Stéphane Deschamps la mort à 99 ans le 4 janvier d'Émerante de Pradines Morse.
Et là, j'ai très vite eu des regrets. En effet, j'ai ce disque d'elle depuis 2014, et j'ai failli le chroniquer au moins deux fois. La première, quand je l'ai acheté, mais j'ai fait alors le choix de me pencher sur le 25 cm de Sir Lancelot, acquis le même jour, qui a la même illustration de pochette. Et l'année suivante, encore, j'ai acheté et chroniqué le disque de Martha Jean Claude, qui a deux chansons en commun avec celui-ci. Je l'ai alors ressorti et réécouté, mais pas chroniqué, notamment pour ne pas faire trop doublon avec le Martha Jean Claude.
Pas un instant je n'ai pensé à me renseigner sur Emy de Pradines et à vérifier si elle était vivante. Avec un disque enregistré en 1953, j'ai dû penser que la probabilité était qu'elle était décédée depuis longtemps. Grave erreur, car elle était vivante, et bien vivante, comme le montre par exemple le documentaire ci-dessous. Et je m'en veux car, à tout prendre, je préfère chroniquer des disques de mes contemporains plutôt que de m'en servir comme des notices nécrologiques !
"Emy de Pradines est la fille d'un compositeur et poète haïtien très populaire qui écrivit des vers et de la musique sous le nom de Candiau. Bien qu'elle ait chanté et dansé depuis l'âge de trois ans, elle ne sait pas lire les notes. Ce qu'elle chante, elle l'a appris par tradition. Elle connaît admirablement son île natale, dont elle a visité les endroits les moins explorés."
C'est la présentation qu'on peut lire au dos de la pochette de ce disque. 
Le nom de son père était Auguste de Pradines. Son nom d'artiste s'écrit aussi Ti Candio ou Kandjo. Au-delà de ce disque, Emerante de Pradines, qui a épousé un historien américain, Richard McGee Morse, a eu un parcours artistique des plus variés, résumé dans le titre d'une brochure biographique qui lui a été dédiée en 2016 par Florienne Saintil, Emerantes de Pradines Morse : Chantѐz, dansѐz, aktris. Elle a aussi fondé avec son mari l'Institut haïtien de l'Amérique Latine et des Caraïbes, dont le but est l'étude de la culture et des institutions de la Caraïbe.
La lignée se poursuit, puisque son fils Richard Auguste Morse a fondé en 1990 avec son épouse Lunise le groupe de "vaudou rock" RAM.
Cet album a initialement été publié aux États-Unis en 1953. En-dehors des enregistrements collectés lors de cérémonies, je crois que la particularité de ce disque est d'être l'un des premiers enregistrements en studio de musiques et chants vaudou.
Voici la présentation qui en est donnée dans les notes de pochette :
"L'histoire des airs et danses enregistrés sur le présent disque commence en décembre 1492, lorsque Christophe Colomb fonda une petite colonie dans l'île de Haïti, au sud-est de Cuba. Haïti comptait alors quelque 400.000 habitants, en majorité des indiens Arowak. Cinquante ans plus tard, le régime d'exploitation espagnol avait réduit les indiens à 200; il fallut repeupler la colonie et, pour ce faire, on fit venir des Noirs africains. On en fit venir de partout, du Congo comme du Dahomey, d'Ibo comme de Nago, de Mandingue comme de Rada. Bientôt, la population noire dépassa des Blancs et ce qui restait des Peaux-Rouges. Les diverses cultures se confondirent. La civilisation haïtienne d'aujourd'hui est à prédominance africaine, mais fortement influencée par les Français. Ces mêmes caractéristiques se retrouvent dans les danses et la musique de l'île. Il est bon de rappeler à cette occasion que c'est le français qu'on parle à Haïti."
On trouve sur ce disque la première version sur disque de Choucoune enregistrée par un chanteur haïtien, avant la version de Martha Jean Claude, donc. Les paroles, adaptées d'un poème d'Oswald Durant, sont très belles (poème en français). La version qui en est donnée ici est très émouvante.
C'est l'un des sommets du disque, mais les grands moments sont nombreux, à commencer par Erzulie, une version d'Erzulie nennen o, une chanson composée par son père. Conformément au souhait de son père, Emy n'a commencé à chanter Erzulie qu'après le décès de celui-ci. La première partie de la chanson est calme, puis le rythme s'emballe. Pas étonnant, puisque la chanteuse a été possédée par la déesse Erzulie, comme expliqué en note : "Erzulie est la déesse de l'amour spirituel. Elle est bonne et ne fait de mal à personne. La chanteuse invoque la déesse jusqu'à ce que celle-ci entre en elle et la possède. Alors, vêtue de ses plus beaux habits, parée de tous ses bijoux et parfumée, la "possédée" essaie d'imiter Erzulie".
Beaucoup plus calme, il y a en ouverture de la face B, la berceuse Dodo titi maman. C'est Emerante de Pradines elle-même qui l'accompagne à la guitare, comme elle le fait sur tout le disque. Parmi les autres titres, j'aime beaucoup aussi Negress Quartier-Morin, I man man man et Panamam tombé.
Je n'ai pas trouvé en ligne d'extraits de cet album. Choucoune a été inclus par le label Frémeaux sur la compilation Haiti - Meringue & Kompa 1952-1962. Sur le même label, cinq autres titres de l'album sont sur Haiti Vodou, folk trance possession - Ritual music from the first black Republic 1937-1962. Espérons que, parmi les manifestations qui étaient d'ores et déjà prévues pour marquer le centenaire de la naissance d'Emerante de Pradines en septembre 2018 pourra se glisser la réédition complète de ses deux albums parus en 1953, le deuxième étant Original meringues.

Cet album a été réédité en France dans les années 1950 par Lafayette Records, sous le titre Magie des Caraïbes et attribué à Moune de Saint-Domingue et son Ensemble.



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