01 février 2025

THE RUTS : Jah war


Acquis neuf en solde probablement chez A La Clé de Sol à Châlons-sur-Marne ou à Reims au début des années 1980
Réf : 2141 248 -- Édité par Virgin en France en 1979
Support : 45 tours 30 cm
Titres : Jah war -/- S.U.S.

Parmi ses multiples rééditions, Cherry Red vient de sortir Roots rock rebels, un coffret triple-CD sous-titré Quand le punk a rencontré le reggae 1975-1982. Parmi les 54 titres, il y en a une bonne partie que je connais et apprécie, dont beaucoup sont dans mes étagères.
Le livret est préfacé par Don Letts, l'homme incontournable sur la question. Il a notamment publié deux volumes de compilations Dread meets punk rockers uptown en 2001 et 2015, co-réalisé le documentaire Two sevens clash : Dread meets punk rockers en 2017. Mais surtout, en tant que DJ au Roxy à la grande époque du punk et proche de The Clash, il a probablement été un élément déclencheur du rapprochement entre punk et reggae, qui se concrétise notamment en 1977 par la reprise de Police and thieves par The Clash sur leur premier album, le single Punky reggae party de Bob Marley & the Wailers produit par Lee Perry, puis la rencontre entre Clash et Lee Perry pour l'assez décevant 45 tours Complete control.
Après ça, ce fut une explosion, entre reprises (Johnny was des Wailers par Stiff Little Fingers) et originaux imbibés de reggae, dont Watching the detectives de Costello, pour aboutir fin 1979-début 1980 à ce qu'on a appelé le "reggae blanc", et aussi à la vague ska 2-Tone.
Les punks de The Ruts notamment ont eu des liens particuliers avec le reggae. Actifs au sein de Rock Against Racism et proches de Misty In Roots, ils ont sorti leur premier single sur le label du groupe People Unite.

J'ai dû découvrir les Ruts et entendre pour la première fois Jah war le 3 janvier 1980, lors de la diffusion de leur prestation au Théâtre de l'Empire pour Chorus. Le groupe venait alors de sortir son premier album, The crack, qui n'aura jamais de successeur puisque, six mois plus tard, le chanteur Malcolm Owen était mort (l'héroïne, c'est dangereux...). A l'époque, j'ai acheté d'occasion Grin and bear it,la compilation "posthume" du groupe, et aussi ce maxi, soldé à 15 francs.

Jah war est le quatrième single de The Ruts, l'une de leurs grandes réussites avec le très clashien Babylon's burning. Il est tiré de l'album et est sorti à l'automne 1979.
La chanson rend compte d'une journée très particulière, celle du 23 avril 1979 à Southall, une banlieue de l'ouest de Londres. A l'initiative entre autres de l'Anti-Nazi League, une grosse manifestation a été organisée contre la tenue à l'hôtel de ville d'un meeting du National Front. La répression brutale de la manifestation a fait un mort, Blair Peach (Reggae fi peach de Linton Kwesi Johnson) lui est dédiée). Le siège de People Unite, qui se situait dans le quartier et qui servait ce jour-là de poste de premiers secours, a été investi et ravagé par la police. Le matériel technique de Misty In Roots a été détruit, de nombreux occupants ont été blessés, dont leur manager Clarence Baker, cité dans la chanson, qui est resté cinq mois dans le coma.
La chanson déroule son rythme sur près de sept minutes, dans une excellente ambiance reggae avec chœurs et cuivres, qui passe légèrement au dub dans la deuxième partie.

En Angleterre, ce single n'est sorti qu'en petit 45 tours. Jah war a été réduite de moitié pour l'occasion. Sur la face B, on trouve une bonne chanson punky inédite par ailleurs, I ain't sofisticated.
Polydor, qui distribuait Virgin en France à l'époque, en a fait voir des vertes et des pas mûres aux fans de New Wave, à commencer par les pochettes de Go 2 et de This is pop d'XTC.
Pour l'édition française en petit 45 tours de Jah war, pas de problème, Polydor a reproduit fidèlement le 7" anglais. Mais visiblement ils souhaitaient particulièrement soutenir les Ruts et ils ont décidé de sortir une version maxi-45 tours de ce single (c'est le seul pays au monde à l'avoir fait). Très bien.
Pour la face A, pas besoin de concocter une quelconque version "spécial club", la version de l'album pour remplacer la version raccourcie s'imposait.
Pour la face B, ces cons-là, au lieu de tout simplement d'ajouter un titre bonus à I ain't sofisticated, il y avait largement la place, ils ont choisi de la remplacer par S.U.S. Ce qui fait qu'on se retrouve avec deux titres de l'album et aucune rareté !

S.U.S.
fait référence à la loi SUS, une loi anti-vagabondage de 1824 facilitant les interpellations et les fouilles pour simple suspicion de délit, que la police utilisait bien sûr à la fin des années 1970 pour harceler particulièrement les noirs et les asiatiques.
Pour le coup, c'est une bonne idée thématiquement d'associer S.U.S. et Jah war. Et il y a un autre lien avec LKJ, puisque sa terrible Sonny's lettah est sous-titrée Poème anti-Sus.

Après la mort de leur chanteur, les membres de The Ruts ont eu un parcours tout à fait honorable sous le nom de Ruts DC. Ils ont même enregistré et tourné avec Valérie Lagrange en 1981 !


The Ruts en concert au Théâtre de l'Empire à Paris pour l'émission Chorus diffusée le 3 janvier 1980. Le premier titre est Jah war.


The Ruts en direct dans l'émission de la télévision belge Follies en janvier 1980. Le premier titre est Jah war.