28 septembre 2025

BEBEY : Je suis venu chercher du travail


Acquis chez My Little Sound Shop à Reims le 20 septembre 2025
Réf : 121.329 -- Édité par Riviera en France en 1970
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Je suis venu chercher du travail -/- I came to you

Cela fait bien longtemps que je ne fréquente plus les disquaires, ou ce qu'il en reste près de chez moi. Je n'achète quasiment plus de nouveautés et celles que je cherche ne sont pas dans les rayons, encore moins en CD, qui est le format qui m'intéresse. Je préfère les commander directement au groupe ou au label. Les curiosités, bizarreries et surprises qui m'intéressent, je les trouve plutôt dans les ressourceries ou Emmaüs ou sur les vide-greniers.
Mais je passais dans le coin et on m'avait dit du bien de la boutique My Little Sound Shop à Reims, alors, j'y suis passé. Le lieu est effectivement sympathique et on y est très bien accueilli. Évidemment, et logiquement, les prix ne sont pas ceux d'une ressourcerie, mais j'en suis reparti avec deux disques, celui-ci et un autre 45 tours en cadeau, dont on aura l'occasion de reparler, pour grosso modo le prix d'un demi-paquet de cigarettes.

Pourquoi ce disque ? Parce qu'il s'agit de Francis Bebey, que la pochette est réussie et en parfait état, et aussi et surtout, parce que j'ai carrément été ému quand j'ai écouté pour la première fois il y a quelques mois la chanson Je suis venu chercher du travail.

J'ai découvert Francis Bebey (1929-2001) grâce à des CD de la Médiathèque d’Épernay, avant que sa superbe collection ne soit dilapidée. Il y a d'abord eu la compilation L'Afrique enchantée : Entrez dans le bois sacré, avec la chanson-histoire drôle Cousin Assini, puis la rétrospective African electronic music 1975-1982 de Born Bad, avec notamment les chansons La condition masculine et Agatha.
J'ai donc d'abord connu et apprécié Francis Bebey comme auteur de chansons pleines d'humour, mais il a eu un parcours très riche, comme
journaliste, écrivain (lauréat du Grand Prix littéraire de l'Afrique Noire en 1968 pour son roman Le Fils d’Agatha Moundio) ou directeur du département Musique de l'UNESCO.
Le disque qui m'a fait découvrir Je suis venu chercher du travail, c'est la compilation CD de 2005 Original masters vol. 1, achetée l'an dernier. En préparant ma chronique, j'ai été surpris de constater que c'est la seule fois où cette chanson a été rééditée. Quant à I came to you, de ce que je vois, elle n'a jamais été rééditée, et aucune des deux faces du 45 tours n'est écoutable en ligne

Je serais bien incapable de donner une définition d'une pochette de disque réussie, mais je sais quand j'en vois une, et celle-ci en est un très bel exemple. Pas de photo de l'artiste, pas d'illustration directe du thème, mais cette vue d'une rue pavée assez pourrie d'un village ou une petite ville est pourtant parfaitement dans le ton.
Cette photo est due à Alain Marouani, qui travaillait beaucoup pour la galaxie de labels Barclay. Il est crédité sur Discogs sur une centaine de parutions rien que pour l'année 1970, dont des disques de Vigon et Zanini et la très belle pochette de Blue Memphis de Memphis Slim. Mais il n'était pas que photographe, il était proche d'Eddie Barclay, au point d'être présenté comme son "bras droit".

Ce 45 tours de 1970 se situe encore dans les débuts de sa longue discographie de Francis Bebey. C'est son seul disque publié sur la filiale de Barclay Riviera. Il a été enregistré sous la direction musicale de Bernard Estardy. Après avoir lu Le géant : Itinéraire d'un génie du son, je pense qu'il est probable que l'orgue est tenu par Estardy lui-même. Il y a eu des moyens pour cette session, avec des cordes et des ponctuations de cuivres.

Comme le titre l'annonce, Je suis venu chercher du travail donne la parole à un travailleur émigré. Les choses sont dites simplement et rappellent ce qui devrait être une évidence : l'exil, quelques soient ses raisons, est un arrachement et un drame. Et même pendant les Trente Glorieuses, à une époque où la France suscitait l'immigration de travail, l'accueil fait à ces travailleurs n'étaient pas à la hauteur. D'une voix qui tremble, Francis Bebey rend compte de la situation. C'est poignant quand il en vient à justifier de la faim et de la tenue du narrateur par un "Je suis seulement pauvre".
Il n'y a pas tant de chansons qui donnent le point de vue de celui qui se trouve du mauvais côté du manche. Il ne m'est venu qu'un exemple évident, la Chanson pour l'Auvergnat de Georges Brassens.
Cette chanson reste évidemment d'actualité, et le moins qu'on puisse dire c'est que, dans le demi-siècle écoulé depuis sa parution, la tendance n'a pas été à proposer un meilleur accueil aux émigrés, boucs émissaires tout trouvés contre qui nous multiplions les lois.
Si on cherchait à se mettre à la place des autres plutôt qu'à protéger la sienne, à tendre la main plutôt qu'ériger des barrières, la situation pourrait être toute autre.

Les paroles de cette chanson sont régulièrement qualifiées de poème. Elles ont été publiés en livre au moins deux fois, en 1987 dans le manuel scolaire Mon livre unique de français : CM2 et en 1988 dans Anthologie africaine II : Poésie, des textes réunis par Jacques Chevrier, où le texte est situé dans le chapitre L'exil du dehors.
Dans les textes qu'on trouve en ligne, il y a deux vers absents de la version chantée : "J’ai parcouru de longs jours de voyage pour venir jusqu’ici, ne m’a-t-on pas assuré d’un accueil qui vaudrait bien cette peine ?".

En face B, I came to you est une version anglaise de Je suis venu chercher du travail. Mais ce n'est pas juste la piste vocale qui a été changée, c'est une autre prise, avec des différences dans les arrangements : pas de guitare en introduction, plus de percussions et d'orgue... Le chant est également différent, plus parlé. Du coup, l'atmosphère de l'ensemble se rapproche des grands "slows" de l'époque.

Francis Bebey est loin d'être tombé dans l'oubli depuis sa mort il y a presque un quart de siècle, au contraire, mais ce disque est la preuve qu'il y a encore du travail pour faire découvrir toutes les facettes de son œuvre.

A écouter :
Francis Bebey : Je suis venu chercher du travail
Francis Bebey : I came to you



Le poème Je suis venu chercher du travail dans Mon livre unique de français : CM2 : 6e année des écoles primaires du Cameroun d'Alvine Ekotto Ebolo (Clé/EDICEF, 1987).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

les marouani à eux seuls c'est une confrérie dans le monde de la musique! C'est à l'honneur de la maison Barclay d'avoir sorti ce disque avec une si belle pochette (c'est plutôt rare une pochette qui colle autant au texte sans faire bidon) d'autant plus que si le texte est une réussite totale je n'en dirais pas autant de la voix et des arrangements qu font vraiment slow à drague baveuse. belle pioche pour Bebey et pour l'objet.ph