29 décembre 2024

SIMON & GARFUNKEL : Mrs Robinson


Acquis d'occasion en Angleterre vers les années 2000
Réf : EP 6400 -- Édité par CBS en Angleterre en 1968
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Mrs Robinson -- April come she will -/- Scarborough Fair / Canticle -- The sound of silence

J'ai lu récemment plusieurs articles sur Simon & Garfunkel et je me suis fait la réflexion qu'ils avaient créé un bon nombre d'excellentes chansons. Comme je fredonnais Mrs Robinson (il suffit d'y penser pour commencer à la fredonner), j'ai repensé à ce bel EP anglais, qui contient justement deux de leurs classiques.
Ce n'est pas avec ces chansons que j'ai connu le duo : dans les années 1970, ma tante et ma cousine avaient l'album Bridge over troubled water, que j'ai vu ensuite chez pas mal de copains, et c'est surtout la chanson-titre, Cecilia et El condor pasa qui représentaient le groupe pour moi.

Mrs Robinson
a été numéro 1 des ventes aux États-Unis et s'est très bien vendu en Angleterre aussi. Peu de temps auparavant, la bande originale du film The Graduate, qui contenait plusieurs chansons de S & G, avait également connu un très grand succès. Les deux disques sont sur le même label et ce qui est étonnant c'est qu'il n'y a sur la pochette et le disque du EP absolument aucune référence à The graduate, alors que le point commun entre ces quatre chansons c'est qu'on en trouve une version  dans la bande originale du film !
Pour ma part, ce qui m'a particulièrement intéressé c'est la gestation compliquée des deux plus grands succès de ce 45 tours.

Intéressons-nous d'abord à la chanson la plus ancienne ici, la magistrale The sound of silence (j'en avais touché deux mots ici en chroniquant une compilation de 1966). C'est après l'avoir jouée en audition  qu'il avaient signé chez Columbia. La version originale, avec un "s" à la fin de Sounds, figure sur leur premier album, Wednesday morning, 3 AM, produit par Tom Wilson et sorti en octobre 1964. L'album a fait un tel four que le duo s'est, de fait, séparé. Paul Simon est parti en Europe, où il s'est impliqué dans la scène folk anglaise. En août 1965, il a publié un album, The Paul Simon songbook, où l'on trouve une version solo de cette chanson, tout aussi acoustique,.
Ce que Paul Simon ne savait pas, c'est que, au cours des mois précédents, certaines stations de radio diffusaient The sounds of silence. C'est venu aux oreilles de Tom Wilson, qui  a pris sur lui de muscler la chanson pour lui donner un plus grand potentiel commercial. Le 15 juin 1965, à l'issue de l'une des sessions d'enregistrement de Like a rolling stone (ça ne s'invente pas...), il a demandé au guitariste et au batteur de rester et, avec deux autres musiciens, ils ont "électrifié" la version originale. Cette version "remixée" est sortie en single en septembre 1965 et elle a grimpé tout en haut des classements de vente, sans que Simon et Garfunkel aient été informés de ce ré-enregistrement ni de cette sortie !
Il n'empêche, c'est à cette version qu'ils doivent la suite de leur parcours en duo. Réunis en urgence, ils ont enregistré un album sorti en janvier 1966, Sounds of silence, où l'on retrouve la version du tube, dans le plus pur style folk-rock à la Byrds.

La genèse de la chanson Mrs Robinson est à peine moins compliquée.
En 1967, Paul Simon s'était engagé à écrire des titres pour la bande originale du film The graduate (Le lauréat). Le réalisateur a d'abord refusé deux propositions, avant de sélectionner une toute nouvelle composition pas encore terminée, à propos de Mrs Roosevelt et du joueur de baseball Joe DiMaggio. Il a simplement demandé que le nom soit changé pour coller avec celui du personnage du film, même si c'est le seul lien entre les deux. On trouve donc sur la bande originale du film deux ébauches de Mrs Robinson d'une minute dix chacune. Pour la première, outre la guitare acoustique, Simon & Garfunkel ne font que des "Dee dee dee" et des "Doo doo doo". Pour la deuxième, il y a un refrain chanté.
La bande originale du film a été un très grand succès. Simon & Garfunkel ont de leur côté complété et enregistré la version complète de Mrs Robinson, publiée également avec beaucoup de succès en avril 1968, en 45 tours et sur l'album Bookends.

L'histoire est un peu plus simple pour les deux autres chansons.
Paul Simon a écrit April come she will quand il vivait à Londres et il l'a publiée pour la première fois sur The Paul Simon songbook. Elle a été ré-enregistrée quelques mois plus tard pour l'album Sounds of silence. Je n'ai pas l'impression qu'on entend beaucoup Art Garfunkel sur cette version, qui est incluse dans la BO de The graduate, et aussi en face B du 45 tours Scarborough fair.

Cette dernière chanson est à l'origine d'une ballade traditionnelle anglaise. Pour leur version Scarborough fair / Canticle, parue en 1966 sur l'album Paisley, sage, rosemary and thyme, des paroles de la chanson de The Paul Simon songbook The side of a hill ont été intercalées. C'est en février 1968, à la suite du succès de The graduate, que la chanson est sortie en 45 tours.

Simon et Garfunkel se sont séparés en pleine gloire en 1970, après Bridge over troubled water. Ils se sont retrouvés plusieurs fois, notamment pour un immense concert à New York le 19 septembre 1981. On trouve des versions de quatre chansons de cet EP sur l'album qui le documente, The concert in Central Park.

Paul Simon et Art Garfunkel ont tous les deux été bien actifs en 2024 avec un nouvel album pour chacun, respectivement Seven psalms et Father and son, qui porte bien son titre (repris de Cat Stevens), puisqu'il est enregistré en duo avec le fiston Art Jr.


Simon & Garfunkel, The sound of silence, en direct à la télévision en 1965.


Simon & Garfunkel, The sound of silence, en direct au pied des remparts de Provins. Diffusé dans l'émission Music-hall de France le 2 juillet 1966.


Simon & Garfunkel, Mrs Robinson, à la télévision en 1968.


Simon & Garfunkel avec Andy Williams, Scarborough fair / Canticle, en direct à la télévision le 28 avril 1968.


Simon & Garfunkel, Scarborough fair, en direct à la télévision en 1968.


L'extrait du film The graduate où l'on entend April come she will de Simon & Garfunkel.

22 décembre 2024

THE ASSEMBLY : Never never


Acquis neuf probablement à Châlons-sur-Marne en 1983 ou 1984
Réf : 101848 -- Édité par Mute en France en 1983
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Never never -/- Stop / start

Vince Clarke était un vrai feu follet dans les premiers temps de son parcours musical : deux ans avec Depeche Mode (qui ont produit le premier album et trois singles, dont New life et Just can't get enough), puis moins de deux ans avec Yazoo, sachant qu'il aurait voulu arrêter après le premier album, qui a produit deux grands succès avec Only you et Don't go, mais là il s'est laissé convaincre d'en faire un deuxième.
Depuis 1985, Clarke est beaucoup plus stable et se consacre principalement au groupe Erasure, avec le chanteur Andy Bell. Mais en 1983, juste après la séparation de Yazoo, il s'était lancé dans The Assembly, en collaboration avec Eric C. Radcliffe.
Le nom de Radcliffe, les fans du label Mute le connaissent bien, puisque la plupart des premiers disques du label ont été fabriqués dans son Blackwing Studio, et il a enregistré, produit voire joué sur des disques de Fad Gadget, Silicon Teens, mais aussi Missing Scientists, Patrik Fitzgerald et Robert Rental.

Le projet de The Assembly ressemblait fort à celui lancé peu de temps auparavant par les ex-Human League Martyn Ware et Ian Craig Marsh avec leur British Electric Foundation : écrire et produire la musique et faire appel à des chanteurs et musiciens différents pour chacun des disques.
Celui-ci est le premier, comme le confirme la pochette, avec le bas de la patte du "A" d'Assembly, qui se transforme en "1" gris, sur lequel est mentionné "Uno". Mais il n'y a jamais eu de "Dos" ni de "Due" : les questions de contrat/d'exclusivité/de rivalités ont rendu les choses difficiles et The Assembly s'est auto-dissoute fin 1984, sa chaîne de production n'ayant produit qu'un unique disque, cet excellent Never never.

J'étais à Londres quand ce single est sorti fin 1983. Ce fut est un assez grand succès (le disque est monté à la quatrième place du classement national des ventes) et, quand le jeudi et l'heure de Top of the Pops venaient, c'était l'une de mes chansons préférées parmi les tubes du moment, comme Karma chameleon de Culture Club, Come back and stay et Love of the common people de Paul Young, Uptown girl de Billy Joel ou Red red wine de UB40. Pourtant, j'ai attendu d'être de retour en France pour acheter ce disque, je ne sais pas trop pourquoi. En tout cas, ça me vaut d'avoir la mention "Original version" ajoutée sur la pochette, et pour le coup, Vogue semble avoir fait du zèle. En effet, ce genre de mention est généralement utilisé pour écarter la concurrence un peu parasite, ou à l'inverse de manière un peu déloyale pour piquer des parts de marché à l'éditeur d'un tube, mais là il n'y avait aucune raison de préciser que c'est la version originale, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a pas eu de reprise ni d'adaptation française à l'époque; on note juste, bizarrement, deux versions différentes en suédois en 1984 !

Never never est une excellente chanson. Vince et Eric se chargent de la musique, à base de synthé, de boite à rythmes et de sampler (c'était les débuts du Fairlight), dans la veine électronique et mélodique initiée par Kraftwerk. Vince fait aussi des chœurs (en tout cas je crois que c'est lui) et ils ont fait appel à un musicien pour ajouter de la guitare, Clem Clempson, un gars qui avait de la bouteille, ancien de Colosseum et Humble Pie.
Les paroles sont grosso modo du blues (Je voudrais être avec toi mais je suis tout seul, l'amour c'est jamais pour moi, l'amour est une porte fermée et il n'y a pas de clé), mais en même temps les couplets semblent indiquer que le narrateur fait tout ce qu'il faut pour se retrouver dans cette situation : "I know just what to say, it's just a game I play" ou "I know my every line, it's just a waste of time".
Le coup de maître de The Assembly, c'est d'avoir fait appel pour chanter Never never à Feargal Sharkey, tout juste libéré de son poste de chanteur des Undertones. C'est vraiment un chanteur que j'apprécie énormément, avec une voix et un style de chant très particuliers.
Une version allongée est sortie en maxi et, pour une fois c'est une réussite : pas de percussions ou de son discothèque, juste une longue introduction de deux minutes qui permet de mieux apprécier tous les sons du disque.
C'est une pure coïncidence, mais j'ai dernièrement eu l'occasion d'écouter la version démo d'Enjoy the silence par son auteur Martin L. Gore (elle figure sur ma dernière compilation en date, Ma sélection n'est pas commerciale). Il y a une forme de cousinage entre ces chansons des deux ex-compères de Depeche Mode et je regrette de ne pas les avoir enchaînées.

La face B, Stop start, est un instrumental, plus rythmé, typique des compositions de Vince Clarke. Pas mal, mais il lui manque sûrement un Dave Gahan, une Alison Moyet, un Feargal Sharkey ou un Andy Bell pour passer à la dimension supérieure.

Après The Assembly, Feargal Sharkey s'est lancé dans une carrière solo et il a eu beaucoup de succès en Angleterre. En 1986, accompagné par Kevin Armstrong (ex-Local Heroes SW9), il interprétait Never never sur scène. Il est ensuite passé de l'autre côté de la barrière et a eu un parcours remarquable dans l'industrie musicale. En 2011, il a exceptionnellement rejoint Erasure sur scène pour refaire Never never (voir ci-dessous). Ces derniers temps, il est de nouveau dans l'actualité pour son militantisme en faveur de la qualité des eaux de rivière et notamment contre les rejets d'eaux usées.
Quant à Erasure, le groupe est toujours actif. Son dernier album en date, Day-glo, est sorti en 2022.




The Assembly, Never never, dans l'émission The tube en 1983. La musique est celle du disque, mais le chant de Feargal Sharkey semble en direct.


The Assembly, Never never, dans l'émission Formel Eins en 1983.


Erasure, Never never, avec Feargal Sharkey en invité au chant pour ce rappel, en concert à The Roundhouse à Londres le 14 mai 2011 dans le cadre du festival Mute at Short Circuit.

14 décembre 2024

MOMUS : Hippopotamomus


Acquis par correspondance via Discogs en novembre 2024
Réf : CRECD 097 -- Édité par Creation en Angleterre en 1991 -- Distribué par Intercord Record Service en Allemagne -- PR-Copy
Support : CD 12 cm
11 titres

Momus s'est lancé depuis septembre dans l'aventure Patreon, où il propose à des fans de le patronner : contre un abonnement payant, ceux-ci ont accès à des contenus rares ou inédits. Parmi ceux-ci, il y a deux sessions acoustiques en direct sur l'antenne de Radio Primitive à Reims en février 1988 : 3 chansons pour Rock comptines, l'émission que j'animais avec Phil Sex et Raoul Ketchup, et une pour Formules magiques.
Au cours de cette tournée française entamée en première partie de Biff Bang Pow !, Momus s'est aussi produit à la télévision, avec une chanson en direct pour Décibels enregistrée à Rennes et la participation à l'émission 3 Première de FR3 Champagne-Ardenne, où il avait mimé Sex for the disabled et où j'avais joué l'interprète pendant l'entretien qui avait précédé. Malheureusement, cette dernière émission reste pour l'heure confinée dans les archives de l'INA.

Suite à cette diffusion d'archives, je me suis replongé dans mes disques de Momus et j'ai décidé de compléter ma collection en commandant un exemplaire de son cinquième album.
Si je ne l'avais pas déjà, c'est parce que j'ai raté le coche à sa sortie. On l'avait reçu en nouveauté à la radio et je l'avais copié sur cassette, il n'y avait donc pas d'urgence. Sauf qu'après, il était trop tard : Michelin ayant menacé de porter plainte, Creation avait accepté pour limiter la casse financière de retirer du commerce tous les exemplaires de l'édition originale. L'album est ressorti ensuite avec une pochette modifiée, sans Bibendum, et un titre en moins, Michelin man.
Je m'étais toujours dit que, si j'achetais un jour ce disque, ce serait son édition originale et complète. L'exemplaire que j'ai trouvé à un prix tout à fait correct (à peine le prix d'un CD neuf à l'époque) est le pressage anglais, mais il a été diffusé en Allemagne par Intercord Record Service, qui a apposé un autocollant promo au recto, un code-barres au verso, et dans la boite il reste la copie du communiqué de presse allemand de l'époque.

Les titres enregistrés par Momus en appartement en 1991 devaient à l'origine constituer un double album, moitié chansons rigolotes, plutôt pour les fans, moitié chansons plus commerciales, un peu à la Pet Shop Boys, mais au bout du compte elles sont sorties en deux albums deux ans de suite, Hippopotamomus et Voyager.

Pour tout savoir sur cet album, je vous renvoie vers la longue analyse de John Harrison sur son blog Fifteen people (reprise en 2021 dans le livre Famous for fifteen people : The songs of Momus 1982-1995)
Une des figures marquantes du disque est Serge Gainsbourg : l'album lui est dédié (il était décédé quelques semaines plus tôt), le mot-valise du titre de l'album fait écho à L'hippopodame de Vu de l'extérieur (1973) et le motif de piano de Song in contravention rappelle La ballade de Johnny-Jane.
Pour ma part, j'apprécie beaucoup la tonalité générale du disque, effectivement synthétique et rigolote; on pourrait appeler ça du synthétoc.
Michelin man fait partie de mes chansons préférées, il aurait été dommage de s'en priver. Chez Michelin ils ne devaient pas s'attendre à ce qu'on assimile leur mascotte à une poupée gonflable d'autant plus dure et rigide qu'elle est bien gonflée ! Hippopotamomus est dans une veine similaire.
Pour Marquis of sadness, Momus se met en retrait pour jouer le rôle d'un écrivain en résidence dans une université. Les étudiantes, interprétées par Vicky Cassidy et Tammy Yoseloff au chant et aux chœurs, sont au premier plan, tandis que lui se réjouit de leur "bad but intimate poetry".

Même au complet avec Michelin man, c'est un album court. Pour la deuxième édition, Creation n'a pas remplacé le titre supprimé. Pourtant, il y avait de la matière, comme on l'a découvert quand le coffret Create 2 : Recreate sorti en 2018 : quatre inédits complètent Hippopotamomus, dont le surprenant car on y parle de rock and roll Life of an office worker et aussi The mechanical arm, dont le titre est peut-être inspiré par Le bras mécanique de Dutronc et Gainsbourg.

La morale de cet album, c'est peut-être que la grenouille Momus a voulu se faire aussi grosse qu'un hippopotame mais qu'elle s'est fait dégonfler par le bonhomme Michelin !

Momus n'en avait pas fini avec les affaires judiciaires. En 1998, son album The little red songbook contenait une chanson intitulée Walter Carlos, qui a fortement déplu à l'artiste Wendy Carlos. Les menaces de poursuite avec une demande de 22 millions de dollars de dommages et intérêts ont donné lieu à une transaction avant procès et l'album a été réédité sans cette chanson, mais il y a eu un coût de 30 000 $ pour le label. Pour le financer, Momus a fait appel à son public : 30 personnes ont versé 1000 $ chacune pour que Momus compose un portrait musical en leur honneur, publié en 1999 sur l'album Stars forever.

Momus reste très actif et très productif musicalement, avec au moins un album par an. Il y en a eu deux cette année, Yikes! et, il y a quelques semaines, Ballyhoo.


Pour son film sur Momus Man of letters (1994), Hannu Pottonen a réalisé en 1993 une vidéo pour Marquis of Sadness. A voir ci-dessus, intégralement et en mauvaise qualité, et ci-dessous dans la version du film, en extraits mais de meilleure qualité.




Un orchestre de bonshommes Michelin. Photo trouvée ici. Apparemment, l'orchestre jouait pour la première de l'émission Michelin hour radio show sur le réseau NBC, en 1928.
Voilà qui aurait fait une pochette parfaite pour le single Michelin man, si jamais il y en avait eu un.


06 décembre 2024

RAYMOND SANGARIA ET SON ENSEMBLE : Chansons créoles


Acquis chez Happy Cash à Dizy le 9 novembre 2024
Réf : E P 22 -- Édité par Discomad à Madagascar vers la fin des années 1950
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Caf' pas vilain manière -- Sans chemise, sans pantalon -/- Ma mère c'est ta belle-mère -- Si vous avez des cornes

Ce jour-là, quand je suis passé faire mon petit tour d'inspection chez Happy Cash quelques indices m'ont fait penser que des disques avaient été ajoutés au rayon depuis ma dernière visite. J'ai échantillonné quelques piles, qui contenaient presque exclusivement de la drouille, jusqu'à ce que je tombe sur ce bel EP de Chansons créoles. Là, c'était plus la même histoire. Bien obligé, j'ai passé en revue tous les 45 tours un par un, et j'ai bien fait puisque j'ai trouvé les Chansons malgaches n° 3 de Fidimala, ainsi que trois autres bricoles. Deux disques de l'Océan Indien, j'aurais préféré une douzaine mais c'est toujours bien mieux qu'aucun !

J'avais déjà un 45 tours de Raymond Sangaria (1936-2020), qui est né à Madagascar et qui a longtemps vécu à La Réunion et dans l'Hexagone.
La pochette, qui illustre au moins trois des chansons, est signée Gauvillé et Slita. Je ne sais pas qui des deux dessine et qui fait la maquette, mais ils ont fait plusieurs autres pochettes Discomad, par exemple pour le Trio Jokary et Odeam Rakoto.

Quand j'ai examiné le verso de la pochette, un titre en particulier a attiré mon attention, Sans chemise, sans pantalon. Si j'ai connue cette chanson avec le tube de Rika Zaraï en 1975, je sais depuis un moment qu'elle est associée à Gérard La Viny, qui l'a créée sur disque en 1958. Elle est donc plutôt associée aux Antilles qu'à Madagascar, où ce disque a été fabriqué et édité.
Je suis donc allé voir sur Discogs le 45 tours d'origine de La Viny, où la chanson est présentée comme du Folklore antillais et créditée à La Viny et André "Sylvio" Siobud. Après, il m'a fallu un petit moment pour m'en rendre compte, j'ai douté, vérifié et j'ai fini par me rendre à l'évidence : ce n'est pas seulement Sans chemise, sans pantalon que Raymond Sangaria reprend de La Viny, mais bel et bien les quatre titres de son EP !!
Je collectionne depuis un moment les reprises "parasites" de grands succès, comme celles chroniquées ici par Big Tears and the Crocodiles, The Hills, The Michels, Prince of Wales Star ou Yankee Horse, mais je crois bien que c'est la première fois que je tombe sur un disque complètement dupliqué par un autre artiste, en-dehors peut-être des recopies pas chères qui étaient vendues sur les marchés.

Il n'y a aucune mention de La Viny sur le disque. Raymond et son compère Roland Raelison ne se sont pas attribués la paternité des chansons, ils se créditent juste pour les arrangements, mais les quatre titres sont indiqués comme étant du "Folklore", ce qui a souvent été un moyen bien pratique dans l'histoire de l'industrie du disque pour effacer les auteurs d'une œuvre.
Mais Raymond Sangaria ne s'est pas quand même pas contenté de reprendre telles quelles les paroles originales. Il les a visiblement transposées du créole antillais au créole réunionnais. Par exemple, Neg' ni mauvais' manier' de La Viny devient ici Caf' pas vilain manière, cafre désignant à La Réunion une personne supposée d'origine africaine.

Pour cette chanson d'ouverture comme pour tout le disque, l'orchestration est assez dépouillée, avec des percussions légères, de la guitare, une clarinette...
Si vous avez des cornes ("Portez-les fièrement"...) est une pochade sur l'infidélité.

Ma chanson préférée du lot, c'est Ma mère c'est ta belle mère. Je ne comprends que la partie des paroles qui est en français, dont "Tu te souviens l'année dernière, tu avais injurié ma mère. Cette année-ci, ma mère c'est ta belle-mère.". Ce n'est pas exactement le Scandale dans la famille, mais j'ai du mal à imaginer la situation qui a conduit à ce changement, à part peut-être si la mère du narrateur s'est remariée avec le père de celui à qui il s'adresse... (ou, comme on me le murmure, avec le sens le plus courant pour belle-mère, le narrateur peut tout simplement s'adresser à celle qui est devenue son épouse). Comme pour la version de Gérard La Viny, il y a une deuxième voix qui commente celle du chanteur.
Notons que les auteurs de cette chanson sont Gérard La Viny et Boris Vian, qui l'avait signé chez Fontana. Raymond Sangaria a repris plus tard sur un 45 tours également titré Chansons créoles la chanson Bon Dieu bon, également signée Vian-La Viny, mais cette fois-là les auteurs sont bien crédités. En 1982, c'est l'Olivier Franc Jazz Quintet qui a repris sur un album Caf' pas vilain manière.

Il n'y a pas d'album de Raymond Sangaria référencé sur Discogs, mais on trouve en ligne la mention d'un CD Best of qu'il avait édité et distribuait lui-même.


Le 45 tours de Gérard La Viny que Raymond Sangaria a dupliqué à la sauce réunionnaise.