25 mars 2023

RACHID TAHA : Ida


Acquis par correspondance via Ebay en février 2023
Réf : 567244-2 -- Édité par Barclay en France en 1998
Support : CD 12 cm
Titres : Ida -- El h'mane -- Girls name

Je me suis procuré récemment un exemplaire de Diwân de Rachid Taha, un album hommage au patrimoine de la musique arabe sorti en 1998. Il s'ouvre avec l'un de ses grands succès, Ya rayah, mais le titre qui m'a accroché d'emblée c'est le suivant, Ida, qui est avec Aiya aiya la seule composition originale de ce disque constitué avant tout de reprises. Quand j'ai vu que ce titre avait été sorti en single, j'en ai traqué un exemplaire.

Qu'est-ce qui m'a plu dans Ida ? Eh bien d'abord, c'est une chanson très accrocheuse, avec un petit riff (de trompette ?) qui reste bien en tête pour les couplets, et un autre tout aussi efficace sur les refrains. Et puis c'est un cocktail très réussi, de la guitare saturée aux ambiances arabes, emblématique de ce que Rachid Taha avait commencé à faire dès les années 1980 avec Carte de Séjour et qu'il revendiquait haut et fort : "Même si je m’appelle Rachid Taha, je peux aussi bien faire du rock’n’roll que de la techno. La culture, elle est universelle. Mon but c’est ça.". Là, c'est parfaitement dosé et une grande réussite.
Les notes de pochette de Diwân par Rabah Mezouane nous en disent plus sur Ida, dont le titre se traduit en français par Si... :
"Du raï des champs au raï des villes, dans les années 60, le raï connaît sa première forme de modernisation à travers la trompette de Messaoud Bellemou, ancien membre d'une fanfare municipale. Le refrain évoque cette époque tandis que les couplets rendent hommage aux Cheikhs et aux Cheikhates via le "guellal" (percussion longiligne) et la "gasha" (flûte en roseau"), la guitare saturée étant une allusion aux années 80-90. A l'arrivée, un condensé de l'histoire du raï qui a plus de 60 ans d'âge."
Diwân, comme la plupart des albums de Rachid Taha, est produit par l'ex-Gong Steve Hillage, qui avait travaillé aussi dans les années 1980 avec Simple Minds ou Nash the Slash, et c'est lui-même qui tient la guitare ici. Je me demande s'il n'était pas sur scène le jour où j'ai vu Rachid Taha en concert, au Printemps de Bourges le 23 avril 1994 (un jour faste où j'ai aussi vu The Breeders et Les Thugs). En effet, dans la nuit, le projet System 7 de Hillage et Miquette Giraudy était à l'affiche de la partie rave du festival, Hillage devait donc bien être présent à Bourges ce jour-là.

Le deuxième titre, El h'mane (Le ramier), est un autre extrait de Diwân, et pour le coup, c'est une reprise, de Mohammed El Anka.
Voilà ce qu'en disent les notes de pochette de l'album : "Cheikh El Hadj Mohamed El Anka (mort en 1978) avait été le fondateur du chaâbi algérois, né dans les années 20-30 au milieu des venelles de la Casbah. Blues urbain au phrasé particulier, le chaâbi (littéralement : populaire) se différencie de l'arabo-andalou par son propos plus proche du réel et des mélodies plus accessibles au profane. El h'mane, en ce sens, est un chef d’œuvre musical et poétique, avec ses mots profonds, inspirés par la douleur et le désespoir : Le ramier que j'ai élevé m'a abandonné / Je n'entendrai plus sa voix en ma demeure... / Si je contais mes tourments aux mers / elles déchaîneraient des tempêtes... / Si je contais mes malheurs aux muets / Ils retrouveraient la parole."
Excellente reprise. Si on veut comparer, on peut voir Mohammed El Anka interpréter cette chanson ici ou .

Le troisième et dernier titre, Girls name, ne figure pas sur l'album, mais il avait déjà été publié l'année précédente au dos de Ya rayah. Le rythme est enlevé, avec la présence remarquée d'un banjo. Malgré le titre, j'ai bien l'impression que les paroles sont en arabe, pas en anglais, mais qu'elles citent bien des prénoms féminins. Cette chanson méritait mieux que d'être reléguée en face B de single.

On ne peut pas dire que j'ai complètement ignoré les productions de Rachid Taha avant sa mort en 2018 à presque soixante ans, mais en me plongeant dans ses disques depuis quelques semaines je me dis que j'aurais dû m'y intéresser de plus près et plus tôt.

A écouter :
Rachid Taha : Girls name





Rachid Taha, Ida, en direct dans l'émission Faxculture la Radio Télévision Suisse le 11 juin 1998.


Rachid Taha, Ida, lors du concert 1, 2, 3 soleils au Palais Omnisports de Bercy le 26 septembre 1998.


Rachid Taha, Ida, en concert à l'Ancienne Belgique à Bruxelles le 11 mars 2001.

19 mars 2023

យិន-ឌីកាន : ប្រាប់មកចុះ (YIN DIKAN : Dis-le moi)


Offert par Philippe R. à Saint-Nazaire le 5 mars 2023
Réf : 45-8812 -- Édité par Wat-Phnom au Cambodge vers la fin des années 1960
Support : 45 tours 17 cm
Titres : ប្រាប់មកចុះ (Dis-le moi) -/- ញញឹម ញញឹម (Souris souris)

Philippe m'a fait un très beau cadeau, puisqu'il m'a laissé choisir quatre disques dans sa collection de 45 tours, constituée depuis les années 1960 (avec des hauts et des bas puisque, au fil des années, une bonne partie de ses disques a quitté la collection pour une raison ou une autre). De la chine de grand luxe !!
Sans trop de surprise vus mes intérêts actuels, je n'ai sélectionné aucun disque de "rock", alors que pourtant il y avait de quoi.

Le premier de ces quatre disques que je vous présente est un superbe 45 tours cambodgien. Très beau portrait en pochette, qui est en état neuf, disque qui racle juste un peu mais qui passe bien. Je n'ai pas demandé à Philippe comment il se l'était procuré, mais j'imagine que c'est sur un vide-grenier ou chez un Emmaüs de Loire-Atlantique au cours des vingt dernières années.

J'ai déjà chroniqué ici deux disques cambodgiens, de Chhun Vanna et im Song Soeum et du label Tepnimit (on voit au verso de ce disque de Yin Dikan trois reproductions de pochette, de Chhun Vanna et de la grande vedette Sinn Sisamouth). Ces disques ont quelque chose de particulièrement poignant car on sait que la plupart des artistes qui les ont enregistrés sont morts sous le régime Khmer Rouge (on estime que seuls 10% des artistes ont survécu à cette période). Ceci explique en partie pourquoi les disques du Cambodge que je possède sont sur Discogs parmi les plus recherchés de ma collection.

On trouve très peu d'informations sur Yin Dikan. En fait, le seul site qui m'a vraiment été utile, c'est le blog Wat-Phnom Records de Borisot Khmer, qui s'est arrêté en 2014.
On apprend que Yin Dikan serait mort à la fin de l'année 1980, qu'il était surtout connu comme auteur-compositeur et qu'il a enregistré deux albums en 1975, Bachelor with a red car et Golden flower love. Il y a sur YouTube une émission de 35 mn qui retrace le parcours de Yin Dikan, mais elle est en khmer...
C'est Borisot Khmer qui date ce 45 tours de la fin des années 1960 ou du début des années 1970.

La face A, Dis-le moi, est indiquée comme étant dans le style chronchong, un genre qui semble inconnu par ailleurs et que Borisot rapproche de la bossa nova.
A la première écoute avec Philippe, ma réaction a été : "C'est du yéyé cambodgien". Ça ne m'a plus paru aussi clair par la suite, mais ce qui est évident c'est que, avec cette instrumentation (Guitare, basse, percussions, violon, piano,...) et cet arrangement, on a un mélange d'influences khmères et occidentales, avec un court solo de guitare presque à la Shadows.

Pour la face B, Souris souris, c'est plus simple, c'est indiqué comme du boléro cha cha. Dans le style, c'est parfaitement arrangé et interprété, avec cette fois un travail intéressant entre les cuivres et les percussions. Après le disque congolais de la semaine dernière, enregistré à la même époque, on a une fois de plus la confirmation de l'influence de la musique cubaine sur la planète entière pendant des décennies.

Un peu de tristesse à l'écoute de ce disque, donc, en pensant au sort de ses interprètes, mais beaucoup de joie de vivre également. Et bien sûr un grand merci à Philippe pour cette pépite.

12 mars 2023

ROCHEREAU ET L'ORCHESTRE AFRICAN FIESTA NATIONAL (LE PEUPLE) : Izeidi seyni kay fonema


Acquis sur le vide-grenier du Jard à Épernay le 19 février 2023
Réf : J. 5153 -- Édité par Ngoma en France vers 1969
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Izeidi seyni kay fonema -/- Los problas

Le temps était très agréable pour la saison en ce dimanche matin, alors on a décidé de sortir pour notre première brocante de l'année.
On aurait pu y aller plus tôt dans l'hiver, étant donné que, à la mauvaise saison, ce vide-grenier se tient toutes les deux semaines avec surtout des vendeurs professionnels, mais je suis frileux et je n'ai aucune envie d'aller chiner des disques dans la bise et le froid.
En tout cas, on est arrivé sur place largement après 10 heures, surtout pour se balader, la probabilité la plus forte étant que je quitte les lieux bredouille, comme c'est arrivé très souvent ces deux dernières années.
Sauf que, un monsieur un peu âgé avait étalé du bric-à-brac sur le parking, parmi lequel deux cartons de 33 tours et deux de 45 tours. Rien d'intéressant dans la première caisse de singles, mais j'ai demandé le prix (50 centimes) quand je suis d'abord tombé dans la deuxième sur un disque de Maxine Brown. Belle trouvaille, disque en parfait état, mais il ne reste que 80% du recto de la pochette, recollé sur du bristol. Dommage, mais quelques instants plus tard, je n'en ai pas cru mes yeux : alors que rien dans le contexte ne m'y préparait (aucun autre disque africain ou typique), je vois apparaître une pochette aux couleurs vives, bien brillante, en parfait état, avec écrit dessus "Rochereau". Bingo !

Jusque-là, j'avais deux albums de Tabu Ley Rochereau (1940-2013), mais aucun 45 tours. Si vous ne le connaissez pas, c'est simple, c'est l'un des monuments de la rumba congolaise, avec notamment Franco.

Avec ces disques d'artistes africains, j'ai toujours du mal à déterminer si on a affaire à une édition française ou non. Celui-ci est produit par Vita à Kinshasa et le label Ngoma était l'un des plus gros labels congolais. On penche donc pour une édition congolaise. Mais le disque est visiblement pressé en France, tout comme la pochette y est imprimée, et il y a la mention d'une distribution par CEDDI pour la France.
Mon idée a toujours été que les infrastructures de production en France étaient utilisées pour des raisons à la fois pratiques et économiques, mais que le gros de la production était destiné aux marchés africains.
Cela semble être confirmé par Flemming Harrev pour Afrodisc, qui explique que, au début des années 1960, le patron du label Nikis Cavvadias a dû quitter le Congo en raison de sa situation politique instable pour s'installer en France, où il gérait sa propre usine de pressage (créée dès les années 1940) et sa société de distribution.

Dans ces années-là, Rochereau était très productif. On sait que son orchestre a été nommé L'Orchestre African Fiesta National (Le peuple) à partir de la fin 1966. Afrodisc nous indique que mon 45 tours date de 1969. Au dos de la pochette, il y a pas moins de huit 45 tours de l'orchestre qui sont listés, ainsi qu'un album qui compile la moitié de ces titres.

La face A de mon 45 tours, Izeidi seyni kay fonema, est annoncée sur l'étiquette comme une rumba, mais sénégalaise plutôt que congolaise. Étonnant. L'explication nous en est donnée par Worldservice, un blog que je suivais quotidiennement jusqu'à ce qu'il s'arrête en 2019. Il s'agit d'une reprise d'une chanson de Laba Sosseh.
La version originale de Seiny kay fonema par Laba Sosseh & Super Star de Dakar est déjà très bien, avec une performance d'une minute au saxophone en introduction. La version Rochereau me semble un peu plus lente, avec une production et des arrangements de grande qualité, que ce soit pour les guitares, les cuivres (surtout) et les voix.
On note que Rochereau a ajouté le mot "Izeidi" au début du titre. C'est probablement une référence à Roger Izeidi, qui a beaucoup collaboré avec Rochereau, mais même Worldservice ne sait pas si c'est une erreur ou bien un hommage à son travail particulier sur ce titre.
On trouve une version en public de Seiny kay fonema sur l'album L'intégral de l'Olympia (publié en 2006, enregistré je ne sais pas quand). Malheureusement, ce titre est mal référencé en ligne. On entend bien l'annonce à la fin de Munyenge ma ngando , mais quand on veut l'écouter, on entend une version de Pitié à la place.

La face B, Los problas, est annoncée comme étant de la pachanga. On est donc à fond dans un style de musique cubaine, avec des paroles en espagnol (sûrement du yaourt). Il n'y a pas d'auteur-compositeur indiqué, mais il s'agit à coup sûr d'une reprise, avec Rochereau crédité aux arrangements. Là encore, l'ensemble est d'une grande qualité.
 
Ce disque est une très belle trouvaille. Si je peux faire des bonnes pioches comme ça sur chacun des vide-grenier de cette année, je signe tout de suite !

A télécharger :
Les deux faces du 45 tours.
Rochereau :
Izeidi seyni kay fonema.

07 mars 2023

DUPONT ET PONDU : Chauffe Marcel


Acquis chez Récup'R à Dizy le 28 janvier 2023
Réf : FX 1515 M -- Édité par Festival en France en 1967
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Chauffe Marcel -- Le professeur qu'on nous a donné -/- J'voudrais être un beatnik -- Alléluia

J'avais prévu de chroniquer ce disque avant son décès le 13 février à 91 ans, mais du coup cette chronique est l'occasion de rendre hommage à Alain Goraguer, crédité ici aux arrangements et à la direction d'orchestre. L'an dernier, on s'était bien amusé avec son Orgogoriental.

Un lot de 45 tours était arrivé ce jour-là à la ressourcerie et j'en ai acheté plus de 25. Quand j'ai vu celui-ci, j'ai cru qu'il s'agissait d'un autre disque de l'accordéoniste Dupont, dont je venais de mettre un 45 tours sur ma pile, mais non, le duo comique Dupont et Pondu n'a rien à voir avec lui.
Je ne les connaissais pas du tout, mais il n'y avait aucune chance que je laisse passer un 45 tours en parfait état à 10 centimes dont l'un des titres est J'voudrais être un beatnik !!!

C'était aussi étonnant de tomber sur ce Chauffe Marcel le lendemain même du jour où j'avais discuté avec Alig et Philippe R. du Vesoul de Jacques Brel, l'occasion d'en découvrir une excellente version en public à la télévision en décembre 1968.

L'expression "Chauffe Marcel", on la connaît surtout en musique comme le sous-titre du premier 45 tours des Charlots, Je dis n'importe quoi et je fais tout ce qu'on me dit (1966), et donc comme l'encouragement de Brel à Marcel Azzola dans Vesoul (1968).
Mais il s'avère que ceux qui ont popularisé cette expression dans des cabarets parisiens et lors d'une apparition télévisée, ce sont bel et bien Dupont et Pondu.
Pour replacer les choses dans leur contexte, et Luis Rego l'explique très bien dans le numéro de février 2023 de Rock & Folk, les Problèmes/Charlots n'ont jamais eu l'intention de bâtir une carrière à partir de ce titre. Tout est parti d'une émission radio d'Europe 1, pour laquelle ils ont parodié Je dis ce que je pense et je vis comme je veux d'Antoine, et c'est bien là effectivement que Gérard Rinaldi a pompé l'expression de Dupont et Pondu. Mais c'était normalement un truc sans lendemain. Sauf que la chanson a plu au producteur Christian Fechner, qui l'a incluse sur une compilation Vogue. Elle a eu du succès, et pof !, le groupe rock Les Problèmes s'est transformé en groupe parodique Les Charlots.
Alors, en 1967, Dupont et Pondu ont décidé de répliquer et ont sorti leur propre Chauffe Marcel.
Sur un ton pécore, qui fait penser dernièrement aux Frères Goyette, il est clair que les paroles s'adressent aux Charlots et à Fechner :
"On est des artistes rurals et quand on souffle dans notre biniou
On pourrait faire danser des chevals, même qu'à Paris ils sont jaloux
Y a un directeur artistique qui nous a dit qu' c'était très bien
Il a écouté notr' musique, il nous a fauché notre refrain
Oh ben faut rien laisser traîner, hein
Chauffe Marcel, chauffe mon gars, yé yé yé
A Paris, sont point gênés, y s' contentent plus d' croquer nos pommes
Maintenant v'là qu'y croquent nos idées, on n'en a pourtant pas des tonnes
J'ai entendu dans la radio cinq gars qui faisaient un trio
Ça m'avait l'air pas mal du tout, ils chantaient les mêmes trucs que nous
"
Sur l'autre face, J'voudrais être un beatnik poursuit dans la même veine. On est loin du freakbeat, mais on apprécie d'entendre une guitare saturée sur ces deux titres.

Le professeur qu'on nous a donné, avec des enfants qui chantent le refrain, raconte l'histoire d'un repris de justice qui se retrouve enseignant. On est dans une ambiance à la Pierre Perret.

Quant à Alléluia, il s'agit tout simplement d'une reprise d'un titre alors récent de Jean Ferrat, sorti en 45 tours et interprété à la télévision. C'est l'histoire assez classique d'un enterrement suivi au bistrot plutôt qu'à l'église. Avec le même arrangeur et le même orchestre, cette version est assez fidèle à l'originale, avec la présence remarquée de l'orgue. Après A Santiago, cela fait deux fois que je surprends Ferrat à faire dans la chanson plutôt légère, et c'est très bien ainsi !

J'ai très rarement voire jamais vu des disques de ce duo et je suis bien content de cette première bonne trouvaille de l'année.