23 avril 2022

JUNIORE : La fin du monde


Acquis par correspondance chez Entreprise en février 2022
Réf : ENTRE12V -- Édité par Entreprise en France en 2014
Support : 45 tours 17 cm
Titres : La fin du monde -/- Marche

Depuis quelques mois, je contribue au webzine Casbah avec une chronique où, à partir d'une thématique donnée, je me lance dans l'exploration de Bandcamp jusqu'à ce que je découvre quelque chose qui me plaît et qui m'intéresse.
J'ai choisi Bandcamp car depuis quelques années c'est le site idéal pour découvrir des productions musicales récentes (ou moins récentes, d'ailleurs) et pour y acheter de la musique directement auprès des artistes ou des labels indépendants, en version numérique ou sur support.

Ce que je fais chez Casbah, où je chronique de la musique en ligne que je ne possède pas, est à l'opposé de ce que je fais ici, où je chronique des disques (la plupart du temps; il y a des exceptions) que je possède (systématiquement, sans exception).
Mais en fait les chroniques Bandcamp-Casbah font très souvent écho à ce qui se passe ici car je n'ai aucune intention de me refaire côté passions musicales et ce que je cherche sur Bandcamp est de fait presque toujours en lien avec ce que je chronique ici. Par exemple, dans les thématiques qui m'ont servi de point de départ, il y a "jonathan richman" (tiens, tiens, quelle surprise !), mais aussi "les combinaisons", puisque mes amis Les Combinaisons ont sorti un album pour lequel j'ai rédigé un texte de présentation, ou la fange, en référence à l'album de Pensées Nocturnes.

Voici la liste des chroniques déjà parues chez Casbah :
Au bout de quelques mois de ce petit jeu là, est arrivé ce qui devait bien finir par arriver : Ma chronique Casbah de février sur La fin du monde de Juniore faisait écho à ma chronique Vivonzeureux! de janvier de The fin du monde de Soundforce. Mais la chanson de Juniore m'est tellement restée en tête que, l'édition en 45 tours étant disponible, j'ai décidé de l'acheter, et de le chroniquer ici, en double écho si je compte bien à ma chronique initiale. Et si je n'y prête garde, tout ça va finir par du feedback !

Je vous laisse aller lire chez Casbah ce que La fin du monde m'a inspiré initialement. Ce qui m'a agréablement surpris, c'est que ce que j'avais classé à première écoute comme une chansonnette pop aux accents rétro s'est révélée bien plus intéressante que ça au fil du temps. J'ai même fini par faire des parallèles avec le Final day de Young Marble Giants, c'est dire !

Sur ce disque, Juniore était un duo composé d'Anna Jean et Samy Osta (qui, par ailleurs, produit des disques, notamment pour La Femme ou Feu! Chatterton). Les pochettes au graphisme très distinctif du groupe sont dues à Anna Jean.
Les paroles sont généralement écrites par Anna Jean, mais pour la face B du 45 tours, Marche, elle a collaboré avec Jérôme Echenoz, qui a sorti en 2012 sur le même label Entreprise Le chrome et le coton, un maxi sur lequel on retrouve Anna et Samy, et qui a d'autres activités musicales sous le nom de Tacteel.
Dans une veine proche de La fin du monde, Marche est une très bonne face B !

La sortie des quatre premiers singles de Juniore (celui-ci est le deuxième) s'est étalée de 2013 à 2016. Aucun n'a ensuite été repris sur Ouh là là, le premier album, paru en 2017.
Un deuxième album, Un deux trois, est sorti en 2020. Malheureusement, la tournée de Juniore initialement annoncée pour ce printemps 2022 a dû être reportée.

Le 45 tours La fin du monde est annoncé comme épuisé sur Bandcamp, mais il en reste encore des exemplaires chez Entreprise, là où je l'ai acheté, qui sont même actuellement soldés.







Juniore, La fin du monde, filmé en basse-fidélité sûrement au téléphone au Glazart à Paris le 7 août 2014.

16 avril 2022

LES LEOPARDS : Maïs


Acquis par correspondance via Discogs en avril 2022
Réf : GR 112 -- Édité par Hit Parade en France vers 1973
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Maïs -/- Mal palan

La pochette est importante pour un disque, et parfois une photographie bien choisie peut en dire beaucoup.
Celle-ci, prise par Paul Roy-Camille, nous place directement au cœur du sujet et elle est parfaitement mise en valeur puisque, à part le logo du label et la référence, elle est libre de toute mention du groupe ou des chansons, façon New Order/Factory.
Et que nous dit cette photo ? Eh bien, que le ciel de Martinique est d'un azur parfait et que le maïs qui y pousse, et qui occupe ici toute la diagonale de la pochette, est d'une qualité incomparable.
On distingue sur cette photo l'extrémité d'un membre. Prise dans les "cheveux de maïs", on suppose qu'il s'agit de la main d'un paysan qui exhibe fièrement son plus bel épi.
Le maïs en métropole c'est une engeance car il faut l'irriguer et ça épuise les nappes phréatiques. Mais là où il pousse naturellement, comme en Martinique, c'est une richesse, comme d'autre productions locales emblématiques telles que la banane et la canne à sucre. On est loin de la Gaule !

Pour ma part, le maïs me rappelle les cours de sciences naturelles au lycée, avec cette pauvre prof qui avait bien du mal à tenir ses classes et qui était un peu le souffre-douleur de ses élèves. Et encore, quand elle abordait les lois de Mendel avec des épis de maïs aux grains noirs et jaunes, ça pouvait aller, mais quand il s'agissait de disséquer une souris ou de stimuler électriquement une grenouille pour déclencher une réponse réflexe, c'était vraiment le chantier.

Maïs est extrait du cinquième album des Léopards, groupe originaire de Saint-Pierre en Martinique. C'est le premier sorti après le grand succès rencontré en 1972 avec D'leau coco, qui est resté depuis leur titre emblématique.
Je connais mieux les labels Célini/Aux Ondes et Debs, mais au bout du compte je finis aussi par avoir pas mal de disques de Hit Parade et 3A, les deux principaux labels successifs des Léopards, tous deux basés en Martinique.
En 1972, et sûrement encore en 1973, Les Léopards étaient composés de Guy Francisque, Max Ransay, Albert Nadeau, Casino, Baby Fidel, Marcel Charles, Alex Martine, Alain Joséphine. L'instrument qui donnait alors sa couleur au groupe, c'était l'orgue, très présent sur beaucoup de leurs titres. C'est bien le cas sur l'excellent Maïs, un tumbélé, genre importé aux Antilles par Ryco Jazz, un groupe proche des Léopards (ils ont eu un membre en commun, Casino, et ont partagé l'affiche sur deux disques, un album et un 45 tours). C'est vrai aussi pour la face B Mal palan, qui est dans le style compas direct d'Haiti.

Je n'ai pas trouvé en ligne de biographie détaillée des Léopards, qui ont quand même sorti une trentaine d'albums, mais si vous voulez en savoir plus vous pouvez écouter l'émission de radio spéciale d'A la recherche du groove perdu, dans laquelle on entend notamment des extraits d'une émission de Zouk TV, visible intégralement sur YouTube.

09 avril 2022

JACK WHITE & ELINOR BLAKE : We're going to be friends


Acquis par correspondance chez Momox en février 2022
Réf : TMB-017 / 978-0-9964016-9-2 -- Édité par Third Man Books aux États-Unis en 2017
Support : 32 pages 26 cm + 4 fichiers MP3
Titres : THE WHITE STRIPES : We're going to be friends -- APRIL MARCH : We're going to be friends -- APRIL MARCH : Amis pour la vie -- WOODSTATION ELEMENTARY SCHOOL SINGERS : We're going to be friends

J'ai acheté récemment le premier album des White Stripes pour compléter ma collection de leurs disques studio. La réécoute m'a confirmé dans l'opinion que c'est l'un des plus grands groupes de rock and roll des années 2000. Même si, n'étant pas moi-même un pur rocker, mes chansons préférées des Bandes Blanches sont toutes plus ou moins des ballades : You're pretty goog looking (for a girl), Sugar never tasted so good, Well it's true that we love one another et We're going to be friends.
Ayant envie de chroniquer l'une d'entre elles, j'ai épluché leur discographie et je me suis rendu compte qu'aucune n'a été sortie en face A de single, même si, pour la dernière nommée, il y a eu un CD promo et même une "vidéo officielle".
Mais à cette occasion j'ai découvert l'existence de ce livre de 2017, un "album jeunesse" dont le texte est constitué des paroles de We're going to be friends, illustrées par Elinor Blake et accompagné de quatre versions différentes de la chanson.
Il existe une édition très limitée du livre avec un 45 tours, mais du coup elle est très dure à trouver et à un prix inabordable. Mais j'ai pu me procurer le livre d'occasion à un prix très correct. Comme c'est presque à chaque fois le cas, même après juste quelques années, le code pour télécharger les MP3 est déjà périmé, mais j'avais repéré à l'avance que les chansons sont toutes sur YouTube...

We're going to be friends est évidemment un bon choix pour un album jeunesse, puisque cette chanson raconte la journée de rentrée des classes de deux enfants qui se rencontrent et se lient d'amitié sur le chemin de l'école. La petite fille est nommée, Suzy Lee. Ce nom revient à plusieurs reprises dans les paroles des White Stripes, et elle a même eu droit à sa chanson, Suzy Lee tout simplement, sur le premier album.
Les commentaires sur YouTube sont rarement utiles, mais pour une fois j'y ai pêché une citation intéressante, qui fait bien écho à l'humeur de la chanson. Elle serait tirée de Winnie l'ourson : "On ne se rendait pas compte qu'on se fabriquait des souvenirs, on savait juste qu'on s'amusait bien". Mais surtout, cette chanson est sûrement celle de Jack White qui évoque le plus l'esprit de Jonathan Richman, et That Summer feeling en particulier. Dans cet esprit, c'était une bonne idée d'enregistrer une version de la chanson avec la chorale de l'école élémentaire Woodstation de Nashville, là où Jack White est installé depuis des années.

C'est son premier livre illustré, mais Elinor Blake a une longue expérience dans le film d'animation. Ici elle mêle des dessins et des photos (de Lou Doillon et Son House, entre autres), du noir et blanc et de la couleur rouge, comme il se doit avec les White Stripes. C'est très réussi.
Sans le savoir, je connaissais Elinor Blake, mais sous l'identité de la plus francophile des chanteuses américaines, April March.
Grâce à elle, ce projet prend une coloration française, puisque les deux autres titres associés à ce livre sont des versions de la chanson par April March, qu'elle a enregistrées à Paris avec Mehdi Zannad (Fugu) aux arrangements. Il y a la version en anglais, et surtout celle avec des paroles en français, Amis pour la vie (la musique est la même). Une fois de plus, c'est quelqu'un dont le français n'est pas la langue de naissance qui prouve d'une façon éclatante que les paroles en anglais c'est pas automatique, et qu'une reprise par des francophones est tout de suite plus intéressante et moins servile si on prend la peine d'adapter les paroles en français. Mais ça, une grande partie des "jeunes artistes français" a du mal à l'entendre...
Du coup, comme les paroles sont déjà traduites (par April et Mehdi), on pourrait facilement imaginer une édition française pour cet album jeunesse, non ?
Et sinon, en attendant, on peut écouter le dernier album en date d'April March, In cinerama, co-écrit et co-produit avec Mehdi Zannad, qui vient de ressortir après une première diffusion lors du Record Store Day 2021.


La bande-annonce du livre.


The White Stripes, We're going to be friends. La meilleure de toutes les versions pusiqu'elle est chantée en direct par Jack ET par Meg, en 2009, pour la dernière de l'émission Late night with Conan O'Brien. Ce fut aussi l'ultime performance en public des White Stripes.




The White Stripes, We're going to be friends, en direct dans un studio de la BBC à Maida Vale.


The White Stripes, We're going to be friends, en direct dans l'émission Saturday Night Live.

03 avril 2022

ORGOGORIENTAL : A Santiago


Offert par Fabienne M. à Mareuil sur Ay le 15 mars 2022
Réf : 10 001 -- Édité par Meys en France en 1968
Support : 45 tours 17 cm
Titres : A Santiago -/- Ne tirez pas sur l'organiste

(Cette chronique est la suite de celle-ci, que je vous conseille de lire d'abord)

Je connais l'excellente face B de ce disque Ne tirez pas sur l'organiste depuis 2013 environ, quand Variété Underground l'a proposée en téléchargement.
Je savais qu'Alain Goraguer était impliqué dans ce disque (Gogo est l'un de ses surnoms), mais je n'avais pas prêté attention au fait que cette face B est co-signée avec Jean Ferrat. Et ce n'est que récemment, après l'avoir réécoutée, que je me suis avisé que je n'avais jamais entendu la face A, A Santiago. Je ne l'ai pas trouvée en ligne, mais j'ai vite compris qu'il s'agissait d'une version d'une chanson enregistrée par Jean Ferrat en décembre 1967, d'où l'achat et la chronique précédente. Mais il me manquait la version Orgogoriental et j'ai profité de mon anniversaire pour me faire offrir ce très beau 45 tours, probablement peu diffusé à l'époque, donc rare et recherché.

Je connais Alain Goraguer depuis longtemps, surtout pour son travail avec Vian et Gainsbourg. Je ne savais pas par contre qu'il avait longtemps collaboré avec Bobby Lapointe. Et surtout, avec Jean Ferrat et Gérard Meys (éditeur et directeur artistique), il a formé un trio inséparable de 1960 à la fin de la carrière de Ferrat.

Mais d'où vient ce nom bizarre, Orgogoriental ? Eh bien, un indice figure dans les paroles mêmes d'A Santiago : "Le carnaval nous entraîne, quatre nuits sans perdre haleine, l'orgue oriental se déchaîne".
De la musique orientale à Cuba ? Ça m'a intrigué un moment, d'autant que la chanson n'a rien d'"oriental". Mais quel que soit le point du globe où l'on se trouve, on est toujours à l'est d'un autre point, et j'ai fini par comprendre que cet oriental faisait référence à l'est de Cuba, une région justement nommée l'Oriente !
Et si l'órgano oriental, comme les cubains le nomment, est devenu populaire dans cette région, les colons français y sont pour quelque chose. Ce sont notamment eux qui ont importé au XIXe siècle des orgues mécaniques, pneumatiques à carton (ces orgues qu'on appelle génériquement en France des limonaires, du nom de l'un des facteurs les plus célèbres, comme on appelait frigidaire un réfrigérateur).
Ces orgues sont devenus populaires à Cuba, certaines familles sont même venues se former en France pour savoir comment les fabriquer ou les réparer. On peut voir ici l'órgano oriental Hermanos Peñas et ci-dessous un reportage sur l'órgano oriental de Camagüey :



Dans l'Oriente, notamment à Manzanillo, l'orgue oriental a été intégré à la tradition du carnaval. Il est reconnu comme un élément important du patrimoine culturel de la nation cubaine et une candidature a été déposée à l'UNESCO en 2020 pour le faire inscrire sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

La pochette de ce disque est une réussite. Les photos sont disposées de telle façon qu'il y a presque deux rectos pour la pochette, puisque l'ouverture est à droite pour les deux. Mais on détermine un verso car les indications techniques (enregistrement en février 1968, ingénieur du son Claude Achallé) ne figurent que sur l'un des côtés.

Le beau dessin avec le chat surprend car il n'a a priori rien à voir avec la chanson A Santiago. Effectivement, mais il y a quand même un lien très fort avec Cuba car ce dessin est signé Wifredo Lam, un artiste cubain installé en Europe, qui était justement présent à Cuba fin juin 1967 pour y présenter une exposition d'art contemporain. Les dates du voyage à Cuba de Ferrat sont données comme mai-juin 1967. Ils y étaient donc à peu près au même moment et ont pu se rencontrer là-bas ou à Paris.
L'illustration du verso m'a intrigué pendant un bon moment. Je n'arrivais pas à saisir ce que représentait la photo. Jusqu'à ce que j'ai une illumination et que je me dise que ça ne pouvait être, tout bonnement, qu'un meuble d'órgano oriental, un peu comme celui qu'on voit ici.

Pour ce qui est de l'explication de la sortie de ce disque, je pense que Goraguer, Ferrat et Meys ont sûrement eu envie de continuer à s'amuser avec A Santiago, peut-être pour pour en prolonger le succès. Cette reprise est sortie sur les disques Meys, mais l'éditeur du disque de Ferrat Barclay n'y a probablement pas trouvé à redire, sachant que c'est sa Compagnie Phonographie Française qui le distribuait.

La version d'A Santiago par Orgogoriental est principalement instrumentale. Il y a une voix, visiblement pas celle de Ferrat, qui dit quelques mots en introduction, chante le titre "A Santiago de Cuba" et les "C'est très dur", mais c'est tout. Ça reste très bien, mais au bout du compte, même si la musique elle-même est pleine d'humour, ce n'est pas aussi rigolo que la version originale.

Justement, j'expliquais que j'avais été surpris de voir Ferrat faire preuve d'humour et d'auto-dérision avec A Santiago. Eh bien, il récidive avec Ne tirez pas sur l'organiste, puisqu'il est crédité en premier avant Alain Goraguer pour ce titre, ce qui indique généralement qu'il en a signé les paroles. Des paroles ultra-minimales, qui se résument au titre et à "Ils ont tiré sur l'organiste". Le tout est accompagné de bruitages sur un rythme afro-cubain typique, avec l'orgue pneumatique qui finit par se dégonfler après avoir été touché par une balle perdue !
C'est une réussite de bout en bout et, autant que je sache, une chanson originale, pas la reprise d'un titre pré-existant.

Pour ma part, il me reste quelques mois pour réfléchir à quel autre excellent disque je pourrais bien me faire offrir pour mon prochain anniversaire !

A écouter :
Orgogoriental : A Santiago
Orgogoriental : Ne tirez pas sur l'organiste


01 avril 2022

JEAN FERRAT : A Santiago


Acquis par correspondance via Rakuten en mars 2022
Réf : 71 238 -- Édité par Barclay en France en 1968
Support : 45 tours 17 cm
Titres : A Santiago -- Ce qu'on est bien mon amour -/- Cuba si -- Indien

Je connais Jean Ferrat comme tous les gens de ma génération, puisqu'il a accompagné toute ma jeunesse en fond sonore. Il fait partie des grands de la chanson française "traditionnelle" et j'apprécie certains de ses classiques. Bref, il est à la montagne ce que Trenet est à la mer ! Mais c'est tout. J'ai un tout petit nombre de ses disques (moins d'une poignée) et pour la plupart je les ai récupérés plutôt qu'achetés.
Cependant, j'ai voulu me procurer ce disque en particulier car j'ai été tout surpris récemment de découvrir que, au moins une fois dans son parcours, Jean Ferrat avait fait preuve de beaucoup d'humour et d'auto-dérision ! Ce parcours, je ne le connais pas bien, juste son image publique et sa réputation, mais il y a une chose dont je suis sûr, c'est qu'on l'associe rarement à la gaudriole.
Et ce moment particulier de légèreté, c'est A Santiago, presque une pochade, une chanson volontairement con-con, qui accumule les clichés dans une ambiance de carnaval/fête foraine avec orgue à flonflons. Mais aussi une rengaine efficace que j'ai eu en tête plusieurs jours après l'avoir écoutée.

Comment en est-on arrivé là ? Eh bien tout est parti d'un voyage à Cuba et au Mexique que Jean Ferrat a fait en mai-juin 1967. Il comptait initialement y aller en touriste, mais a finalement accepté de s'y produire une dizaine de fois et a enregistré deux émissions de télévision, dont une retransmission de son spectacle. On trouve des récits de ce voyage ici et , et surtout on peut voir sur le site de l'INA un entretien de cinq minutes à ce sujet avec Denise Glaser dans Discorama.

De son voyage, Jean Ferrat a ramené plusieurs nouvelles chansons, qu'il a enregistrées en décembre 1967 pour son album Jean Ferrat.
Outre A Santiago, Indien, Cuba si, Mourir au soleil et Les guerilleros sont visiblement toutes inspirés par cette aventure. Cette dernière a été la première extraite en EP, avant A Santiago.

Apparemment, A Santiago a été pas mal diffusée sur les radios et a connu un certain succès. Sa légèreté dérangeait sûrement moins que les prises de position politiques de Ferrat à d'autres occasions.
Les paroles sont assez classiques dans un style comique, avec une insistance sur les qualificatifs désobligeants sur sa façon de danser, plus des commentaires entendus ("C'était dur", "C'était très dur"). Sa prestation télé dans l'émission Tilt en janvier 1968 est parfaitement dans le ton : il chante en souriant, esquisse quelques pas de danse et porte son tambourin en guise de sombrero.

Le reste du disque est beaucoup plus dans le style habituel de ce qu'on connaît de Ferrat, "dans la tradition des auteurs-compositeurs français qui font des chansons d'expression", comme il le dit-lui-même à Denise Glaser pour le définir. Dois-je préciser que c'est beaucoup moins dans mes goûts ? Même si, Ce qu'on est bien mon amour, Cuba si (avec des paroles d'Henri Gougaud) et Indien sont toutes les trois des chansons de qualité.

En plus des chansons, Jean Ferrat a rapporté un autre souvenir de Cuba : sa moustache ! Il est encore glabre sur les photos prises sur place qui ornent l'album et sur la pochette du 45 tours juke-box ci-dessous. Mais sur l'EP et à la télévision il a déjà sa moustache, et je crois bien qu'elle ne l'a plus quitté par la suite.

Et sinon, Jean Ferrat ne manquait pas de caractère, comme le prouve l'épisode du rachat de Barclay par Polygram à la fin des années 1970. Mécontent du sort de son catalogue des années 1960, il a entrepris avec ses compères et complices l'arrangeur et chef d'orchestre Alain Goraguer et l'éditeur et directeur artistique Gérard Meys de réenregistrer toutes ses chansons pour Temey, le label indépendant fondé en 1968 avec Gérard Meys (Temey = Te pour Tenenbaum, le nom de naissance de Ferrat, + mey pour Meys...). Ils ont essayé de rester fidèle au plus près des versions originales, et c'est vrai qu'il faut écouter attentivement pour repérer les différences quand on écoute la version Temey d'A Santiago.

A lire ici, une chronique complémentaire à celle-ci.



Jean Ferrat, A Santiago et Cuba si, dans l'émission Tilt en janvier 1968.





La pochette du 45 tours juke-box A Santiago. Une des dernières photos de Jean Ferrat sans moustache ?