20 juillet 2020

GRAND MAQUIS : AFRICAN MUSIC EXTRAORDINAIRE


Acquis chez Emmaüs à Tours-sur-Marne le 19 juin 2020
Réf : SP70 / SZ 1566-2 -- Édité par Section Zouk / Sushiraw en France en 2005
Support : CD 12 cm
14 titres

Chez Emmaüs à Tours, ils ont complètement renouvelé leur stock de CD pendant le confinement. Il y en a beaucoup moins qu'avant désormais, mais ils en rajoutent assez régulièrement.
J'ai eu un coup au cœur quand je suis tombé sur ce Grand maquis avec son sous-titre "African music extraordinaire", parce que j'ai cru qu'il s'agissait d'une compilation de l'Orchestre Les Grands Maquisards, dont j'avais vu passer le nom quelques jours plus tôt (dans les deux cas, le maquis fait sûrement référence aux restaurants-bars-dancings africains, souvent désignés comme petits ou grands).
Il m'a suffi de retourner le disque pour me rendre compte que ce n'était pas de la musique des années 1970, mais ma déception est vite passée car après tout ça m'intéressait d'écouter ces productions contemporaines. Enfin, pas tout à fait contemporaines, même si elles sont du 21e siècle, étant donné que cette compilation a déjà quinze ans.
C'est marqué au recto de sa belle pochette, ce disque est produit par Kaysha, un artiste et producteur né au Zaïre, qui a visiblement beaucoup bourlingué et que je ne connaissais pas du tout. Seuls le premier et le dernier titre sont crédités à son nom, mais il a enregistré et mixé les quatorze titres et je pense que c'est lui aussi qui, en-dehors des quelques invités crédités, est responsable de l'ensemble des musiques. Et ce qui est marquant dans cette musique, d'un bout à l'autre de l'album, c'est la rythmique électro (je n'ose plus dire boite à rythmes, puisqu'il doit s'agir de sons séquencés sur ordinateur), sur laquelle se greffent souvent des sons "africains" (guitares, percussions,...).
Il semble y avoir un mélange Afrique/Antilles, qui se reflète dans les genres attribués aux productions de Kaysha : Kompa zîle  sur sa page Wikipedia, Électro Zouk pour le label qui sort cette compilation. Pour ma part, je me contenterai de parler d'Afro Électro, un peu dans la lignée du CD de 1989 Dancing in Soweto, que j'avais trouvé au même endroit il y a trois ans.
En tout cas, le lien Afrique/Antilles travaille aussi les groupes présents sur le disque. Comme Soundkillaz le dit dans Bordel,"On est né aux Antilles, on est né en Afrique, mais pour nous c'est pareil, on vient foutre le bordel"
C'est l'un des titres que j'aime bien sur le disque, mais mes deux préférés ont des filles au chant.
Le premier c'est Tous des mythos par Jess. Le réseau social mentionné dans les paroles est bien de son époque :

"Les gars ils disent toujours qu'ils sont célibataires
Ils disent toujours 'Mon cœur c'est toi la plus jolie'
Ils veulent te dire le premier jour 'Chérie je t'aime' 
Ils te disent 'bébé tu es la femme de ma vie'
Ils veulent jamais te présenter à leur maman
T'invitent au restaurant oublient la carte bleue

Les gars c'est tous des mythos

Ils disent tout le temps 'Ne t'inquiète pas c'est qu'une copine'
Mais quand tu vois son [boule] c'est bon t'as tout compris
Ils passent leur temps à tapoter sur MSN
Mais quand tu jettes un œil direct ils se déconnectent"

Sur la même musique, DJ Jacob nous propose On sait pas où on va. C'est bien, mais je préfère la version de Jess.
Mon autre titre préféré c'est Les garçons par Abégé avec Yzah.
Abégé est un duo antillais et Yzah est simplement invitée sur ce titre, mais c'est son intervention qui marque la chanson, dans le même esprit que celle de Jess ("Mon Papa m'a toujours dit de me méfier des garçons, ma maman m'a toujours dit de me méfier des garçons".
Il faut peut-être savourer la compilation à petites doses plutôt que d'un seul tenant, mais il y a d'autres titres qui me plaisent bien sur l'album, comme Yapi yapo par Boi Bre, Ca ka mache par Big Tom, Ça va chauffer par Grand Maquis All Stars, et aussi Tout va sauter par DJ Arafat et la version différente du même titre par
Kaysha, Enjaillement.
Aujourd'hui, Kaysha et son label Sushiraw restent très actifs, avec une musique aux angles arrondis et parfois sirupeuse. Les modes de diffusion de la musique ont bien changé aussi et je ne pense pas qu'ils produisent beaucoup de disques : les nouveautés sont publiées sur le site et sont disponibles en streaming, en téléchargement ou sur la chaîne YouTube de Kaysha.

13 juillet 2020

THE BERMUDA STROLLERS : Bermuda Strollers '73


Acquis par correspondance via Discogs en juin 2020
Réf : ELPS 1122 -- Édité par Edmar aux Bermudes en 1973
Support : 33 tours 30 cm
10 titres

J'ai réécouté récemment le Monologue about Bermuda de Jonathan Richman qu'on trouve sur l'album Having a party with Jonathan Richman. C'est particulier pour lui car d'habitude il privilégie l'improvisation sur scène, ne sachant pas d'avance ce qu'il va jouer, mais là il a construit ce qui est quasiment un sketch qu'il a interprété plusieurs fois quasiment à l'identique lors de ses concerts vers 1991-1992, notamment à Reims le 19 mars 1992.
Il commence par chanter sa chanson Down in Bermuda, de l'album Rockin' and Romance, avant de s'interrompre pour expliquer dans le détail, démonstrations musicales à l'appui, comment ce séjour l'a incité à changer en lui permettant de se rendre compte que la musique de son groupe The Modern Lovers était trop raide et coincée. C'est drôle et parfaitement interprété : avec juste sa guitare, il réussit parfaitement à évoquer - pour s'en moquer - le son des Modern Lovers première période.
Ce qui l'a vraiment marqué au cours de ce séjour, c'est le groupe vedette de l'île, The Bermuda Strollers, des "vieux" d'une quarantaine d'années qui jouaient du calypso. Et, dans le monologue, Jonathan explicite son propos en jouant quelques mesures de leur version de Bang bang Lulu.
Je n'y avais jamais pensé, mais après avoir réécouté ça j'ai eu l'idée d'aller écouter le Bang bang Lulu des Bermuda Strollers. Je ne l'ai pas trouvé en ligne, mais sur Discogs il y avait sept albums listés pour les Bermuda Strollers, dont l'un, celui de 1973, avec une pochette qui claque, contenait la chanson qui m'intéressait. Et comme un vendeur français le proposait à un prix tout à fait correct, je me le suis offert.
Je me suis toujours demandé comment The Modern Lovers s'étaient retrouvés à jouer aux Bermudes. En fait, l'archipel est l'une des destinations du "Spring break", les vacances ultra-festives des étudiants américains. Et il se trouve que les propriétaires de l'Inverurie Hotel aux Bermudes étaient de Cambridge, Massachusetts. Comme ils recherchaient un groupe pour y animer la semaine en 1973, un voisin, Charlie Giuliano, a proposé à leur fils d'embaucher un groupe du coin, les Modern Lovers.
Après un début de semaine difficile, les Modern Lovers ont étoffé leur public petit à petit, mais les vraies vedettes en ville, qui jouaient pour des foules énormes, c'était le groupe officiel de la semaine, The Bermuda Strollers.


Un documentaire d'époque sur le Spring break aux Bermudes.

The Bermuda Strollers ont démarré en 1958. Au fil des années, ils sont devenus les ambassadeurs des Bermudes. Comme souvent dans les zones touristiques (Marcel Bianchi sur la Côte d'Azur ou en croisière, les groupes à Tahiti, Hawaï, en Guadeloupe ou en Martinique), ils jouaient surtout dans les hôtels, les restaurants ou sur les plages.
Le groupe, qui se présentait parfois comme jouant du Calypso rock, était mené par le guitariste Ted Ming et comprenait aussi à cette époque le bassiste Lawrence Minors, qui est mort à 73 ans en 2016. Dans son Monologue, Jonathan faisait la démonstration de la qualité de leur jeu. Le groupe comprenait aussi le frère de Ted John Ming, le batteur Ridgley Darrell et Rudy Ford. Il y aussi une section de cuivres.
C'est Ted Ming qui a dédicacé mon exemplaire du disque avec la mention "To Rosetta, Happy day always".
Les disques que les Bermuda Strollers enregistraient régulièrement, étaient avant tout destinés à être des souvenirs pour les touristes. Ils reflétaient donc le répertoire du groupe, mélange de succès du moment et de classiques locaux incontournables. C'est ainsi que la plupart des douze chansons qu'on trouve sur l'album de 1973 ont été enregistrées plusieurs fois, à commencer par leur hymne Wings of a dove (sur 4 albums), mais aussi Bermuda is another world et Archie - Go down Moses (3) et Ride your donkey, Yellow bird et La Bamba (2).
On sent à l'écoute que les Bermuda Strollers était un groupe chargé de mettre de l'ambiance dans les soirées. le titre d'ouverture Bermuda is another world, reprise d'une des vedettes du calypso Hubert Smith, est une carte postale pour touristes assez insupportable, mais dès le deuxième titre Show me le tempo est assez frénétique et il y a quand même des choses très intéressantes sur le disque.
Parmi les versions de tubes du moment, on trouve le slow Rainy night in Georgia (qui devient Rainy night in Bermuda, bien sûr) et Help me make it through the night. Et pour les classiques des îles, il y a donc Wings of a dove, enchaîné avec Ob-la-di, Ob-la-da, Island in the Sun et Yellow bird (également connu sous le titre Choucoune)
Archie et Ride your donkey, reprise d'un rock steady de 1968 des Tennors, sont deux de mes titres préférés.
Et puis bien sûr il y a Bang bang Lulu, version d'un traditionnel assez grivois prise elle aussi à un rythme d'enfer. C'est assez impressionnant de voir que, des années après, Jonathan Richman en rendait parfaitement l'ambiance en quelques notes. Un procédé comique assez courant est utilisé pour les paroles : les rimes des couplets nous laissent attendre des fins assez salées ("Ass", "Fuck her", "Dick"), mais le refrain reprend avant que ces mots soient prononcés.
L'influence des Bermuda Strollers sur Jonathan Richman a été forte. Non seulement, son attitude par rapport à la musique a été changée, ce qui a précipité la fin des Modern Lovers première époque, mais il s'est aussi mis à écouter du calypso et, comme il a eu l'occasion de l'expliquer lui-même sur scène à Binghamton dans une version un peu différente du Monologue, il s'en est inspiré en pompant et modifiant le rythme du calypso pour écrire des chansons comme Here come the Martian Martians ou Abominable snowman in the market.
Et cette influence est ressentie jusqu'en Australie, où un groupe  de reprises de Jonathan Richman s'est baptisé The Bermuda Strollers !

A écouter :
The Bermuda Strollers : Bang bang Lulu
The Bermuda Strollers : Ride your donkey

04 juillet 2020

JEAN CLAUDE RÉMY : Jean Claude Rémy


Acquis par correspondance via Discogs en juin 2020
Réf : AD 39.521 -- Édité par Adèle en France en 1977
Support : 33 tours 30 cm
12 titres

Voici un bout de la présentation de la dernière BD de Tronchet, Le chanteur perdu, sur le site de l'éditeur :
"Lorsqu'il fait un burn-out, Jean, bibliothécaire qui semble être passé à côté de sa vie, décide de retrouver Rémy-Bé, le chanteur de sa jeunesse (lorsqu'il se voyait encore révolutionnaire et contestataire). Fasciné par la désinvolture et la liberté de ton des chansons, Jean voit dans cette recherche improbable l'occasion de renouer avec le personnage qu'il n'a pas osé être.
Enregistrés sur une vieille cassette audio, les morceaux l'ont suivi pendant des années, seul vestige du passé. D'ailleurs, personne ne semble se souvenir de ce chanteur, l'aurait-il inventé ? Sa seule piste : la pochette du disque avec le viaduc de Morlaix en arrière-fond. L'indice est maigre, mais Jean pourra dénouer le fil de manière surprenante, avec le seul secours des paroles de la douzaine de chansons, qui sont comme un puzzle mystérieux. Au bout du chemin, il y a le fantôme du chanteur perdu que Jean pense connaître par cœur."
En lisant cette présentation, j'ai eu l'impression que cette histoire de recherche d'un chanteur à partir de ses disques, j'aurais pu la vivre. Elle est du même style que celles que je raconte pour une bonne partie des disques que je chronique ici depuis bientôt quinze ans : essayer de reconstituer un parcours discographique à partir de la pochette et d'indices trouvés à l'écoute des chansons ou en ligne... Évidemment, je me suis précipité à la librairie pour acheter le livre.
Dans la lignée d'autre projets comme le documentaire Sugar Man sur Sixto Rodriguez, Tronchet et son héros ne se sont pas contentés de (ré)écouter des disques : ils sont partis dans une enquête qui leur fait sillonner la France et les a emmenés jusqu'à Madagascar.
Mes propres aventures avec Tronchet remontent à loin. C'est l'ami et grand spécialiste de BD Raoul Ketchup qui me l'a fait découvrir en 1987 (il avait même le tout premier livre paru chez Bédéfil).
Avec Ketchup et aussi Phil Sex, nous avions dans notre émission Rock comptines sur Radio Primitive décidé de mener campagne pour faire élire Raymond Calbuth à l'élection présidentielle de 1988. On s'était amusé à fabriquer des slogans déclinés en jingles et affiches !
Cela fait un bon moment que je n'achète plus tous les livres de Tronchet à leur sortie, mais je continue à les lire presque tous grâce à la Médiathèque. Je conseille très fortement Le chanteur perdu à tous les fans de musique ou de BD. En complément, vous pouvez aussi lire Robinsons, père et fils, qui relate d'autres aspects du séjour de Tronchet sur l'Île aux Nattes, sur la côte Est de Madagascar.




Tout semblait indiquer que le chanteur perdu de la BD de Tronchet était un chanteur fictif mais, après avoir lu les premières pages et leurs extraits de chansons, j'ai quand même fait une recherche dans Discogs pour voir si j'y trouvais une trace d'un certain Rémy Bé. Il n'y en avait pas.
Et puis, dans le livre, après la fin de la BD, j'ai découvert avec surprise et grand plaisir un dossier intitulé La véritable histoire du chanteur perdu. On y apprend que Tronchet s'est bel et bien inspiré d'un chanteur réel, Jean-Claude Rémy, dont il a connu les chansons dans les années 1970, et qu'il a fini par le rencontrer là où il vit, sur l'Île aux Nattes.
C'est peut-être le seul reproche que je ferais à Tronchet à propos de ce projet : celui d'avoir donné un nom fictif au héros de l'histoire. Certes, sa BD est romancée et sa quête ne s'est pas exactement passée comme il le décrit, mais les extraits de paroles proviennent bien des chansons de Jean-Claude Rémy et il me semble que presque tout ce qui concerne le parcours du chanteur, y compris sa signature sur le label de Pierre Perret Adèle, correspond à la réalité. Cela aurait pu justifier de lui conserver son identité, si lui-même en était d'accord.
En tout cas, pour ma part, j'avais à peine refermé le livre que j'étais à nouveau sur Discogs, où j'ai eu la confirmation que Jean-Claude Rémy a sorti deux albums, sans titre, mais le premier, sorti en 1975, est généralement dénommé La pariade, et le second, de 1977, Les corniauds. Il y a eu aussi en 1978 le 45 tours La ballade du pauvre Francis. La lettre de félicitations envoyée par Brassens à Jean-Claude Rémy à propos de sa face B Marion est, comme Jean-Claude Rémy le raconte lui-même, l'un des motifs qui l'ont décidé à quitter le monde professionnel de la chanson, un an tout juste avant de se voir attribuer un Prix de la SACEM !
Évidemment, il me fallait un disque de Jean-Claude Rémy pour le chroniquer ici. Les disques étaient à prix correct sur Discogs (5 € plus le port) et mon choix s'est porté sur le deuxième album, parce qu'il contient la chanson Les corniauds, sur son père et sa famille, une des chansons importantes de la BD.
Voici en 1977 un Jean-Claude Rémy très ému qui interprète en direct Les corniauds, sous l’œil de son parrain en chanson Pierre Perret :


Jean-Claude Rémy, Les corniauds, en direct dans l'émission Musique & music présentée par Jacques Martin, le 1er mai 1977.

Tronchet avait prévenu : la production et les arrangements des disques de Jean Claude Rémy, dus à Bernard Gérard, sont typiques de la chanson française traditionnelle. Le style de chant de Jean-Claude Rémy également.
Ce n'est pas le genre musical que je fréquente le plus souvent (à part les disques de Jean Arnulf et Pierre Dudan, on n'en trouve pas beaucoup d'exemples ici), mais ça ne m'empêche pas d'apprécier la grande qualité des chansons de l'album.
Et puis, il y a de bonnes surprises, comme les sons bizarres et la flûte de la chanson d'ouverture, Tête au large et pieds dans l'eau, ou bien Nine, jeune ménagère qui se donne du plaisir dans le tiède lit conjugal, après avoir regardé s'assoupir le corps de son petit mari.
Il y a aussi la plate Sologne de Près de Romorantin et les chœurs et les violons de Mourir cigale. Ou encore Don Juan, que Jean-Claude Rémy et Tronchet se sont essayé à reprendre en duo en 2019 :


Jean-Claude Rémy et Tronchet, Don Juan, en duo en 2019.

Ça fait chaud au cœur de les voir ensemble, et c'est la conclusion heureuse d'une très belle histoire.

L'album peut être téléchargé gratuitement sur le site de Jean-Claude Rémy (cliquer sur la disquette).
Sur le site officiel de Tronchet, outre le dossier, on trouve une sélection de chansons en lien avec la BD, un concert inédit de 1982 et des chansons récentes. Et aussi, on peut télécharger gratuitement La chanson fantôme, version roman de cette histoire.
Sur la chaîne YouTube de Jean-Claude Rémy, on peut écouter des dizaines de ses chansons récentes, dont une nouvelle version, de 2014, de Les corniauds.
Gaston, fils de Jean Claude Rémy, est lui aussi auteur de bandes dessinées. Il a publié en début d'année, Sur la vie de ma mère, qui raconte l'histoire de sa famille.


Jean-Claude Rémy, Bidon tu sais, un titre du premier album, de 1975.