26 juin 2021

THE MODERN LOVERS : The morning of our lives


Offert par Dorian Feller à Villedommange le 14 décembre 2020
Réf : BZZ7 -- Édité par Beserkley en Angleterre en 1978
Support : 45 tours 17 cm
Titres : The morning of our lives -/- Roadrunner (Thrice)

Je viens de publier un nouveau livre, Notre temps c'est maintenant : Une farandole de chansons de Jonathan Richman, qui propose à travers une trentaine de chroniques un panorama d'un demi-siècle de chansons du fondateur des Modern Lovers, de la première parue, The new teller en 1975, à l'une des plus récentes, Cold pizza en 2020.

Pour marquer le coup, j'ai ressorti ce 45 tours, que l'ami Dorian Feller m'a fort opportunément et très gentiment offert il y a quelques mois (il a acheté cet exemplaire en parfait état dans une bourse aux disques, je crois).
J'avais déjà un autre exemplaire depuis longtemps, mais il était assez pourri et surtout sans pochette. Non que cette pochette soit particulièrement remarquable, avec ses photos en noir et blanc prises lors des concerts qui ont donné lieu à l'album Modern Lovers 'live', dont la face A est extraite. La pochette de l'autre single extrait de l'album, New England, qui m'a aussi été offert par Dorian, n'était pas mieux.
Sur la pochette, le crédit est à The Modern Lovers, comme sur l'album live, mais c'est Jonathan Richman & the Modern Lovers qui est indiqué sur le rond central du disque, comme pour les deux premiers albums studio officiels parus précédemment. Sur ce rond central, toujours, il y a la mention "© 1977", mais on était à la fin d'une année discographiquement très chargée pour Jonathan Richman (single Roadrunner, album Rock 'n' roll with..., single Egyptian reggae, album live) et selon certaines sources ce 45 tours serait plutôt sorti début janvier 1978.
J'aime bien le slogan publicitaire qu'on trouve au dos de la pochette, "The most fun you can have with your clothes on". En plus sage, il fait penser aux fameux slogans de Stiff Records à la même époque.

La face B de ce 45 tours, Roadrunner (Thrice), ne figure pas sur l'album, tout comme les faces B live de New England et Buzz buzz buzz que j'ai déjà eu l'occasion de chroniquer ici. Mais même Roadrunner (Thrice), je l'ai déjà chroniquée puisqu'elle est aussi en face B de My little Kookenhaken, un 45 tours paru uniquement au Benelux.
Quant à The morning of our lives, c'est une chanson qui compte beaucoup pour moi. Ce n'est pas un hasard si le titre du livre reprend une partie du refrain de cette chanson !
Plutôt que de me répéter, je reproduis ci-dessous les deux chapitres du livre dédiés à The morning of our lives et Roadrunner.
Quant au livre lui-même, comme les précédents il est disponible gratuitement en téléchargement. Seule la version imprimée est en vente (11€ port compris pour la France). Pour les non-francophones, il existe une version en anglais, Our time is now.



The morning of our lives

Parutions :
Modern Lovers live (1977)
Morning of our lives single (1978)


Cette chanson n'a été publiée que dans une version en public, mais celle-ci est parfaite.
Je n'ai pas recours pas aux livres sur le bien-être ni aux séminaires de motivation personnelle ou aux manuels pour savoir comment conduire sa vie. Il y a peu de chance que je le fasse un jour puisque, à elle seule cette chanson peut remplir toutes ces fonctions. Elle a d'ailleurs été l'un des piliers essentiels de la hip-pop optimiste, le pseudo-concept philosophico-musical élaboré autour de mon émission de radio Vivons heureux ! (en attendant la mort…).

On est en fin de concert, sûrement même au moment du dernier rappel (Jonathan lance un "Goodnight" à la fin, et le titre a été placé à la toute fin de l'album).
La chanson démarre lentement, le rythme est donné par la guitare, des petits coups de baguette, des notes de basse isolées. L'instrumentation est minimale mais parfaitement dosée et, dès le début, on entend au loin que le public accompagne le groupe en claquant des mains en rythme.

Pour cette chanson, Jonathan s'adresse à une amie et cherche à l'encourager et à lui donner confiance : "J'ai foi en toi. Parfois toi-même tu ne crois pas en toi, mais j'ai foi en toi. Et notre temps c'est maintenant, maintenant on peut faire tout ce qu'on veut vraiment faire, notre temps c'est maintenant, là au matin de notre vie".
A ce moment, il appelle en renfort à ses amis du groupe, Leroy, Asa et D. Sharpe pour qu'ils lui disent en chœur de ne pas avoir peur, que tout va bien et qu'ils l'aiment aussi.
Il se passe quelque chose d'extraordinaire au cours de la dernière minute de cette chanson assez longue. A la fin du dernier refrain, il y a comme une micro-pause, et on sent comme une explosion du public, qui réagit ("Yeah !" et applaudissements) et reprend plus fortement les claquements de mains pour un coda au cours duquel le chanteur s'adresse visiblement désormais à tout le public et pas juste à une amie : "Nous sommes jeunes maintenant… Maintenant il est temps pour nous d'avoir foi en ce que nous pouvons faire. Aucune raison d'avoir peur.".
C'est puissant et émouvant, le genre de moment de joie et d'émotion collectives qui n'est pas rare dans un concert de Jonathan Richman mais qui est habituellement difficile à faire revivre sur un enregistrement.
Le plus étonnant dans tout ça c'est que cette très belle chanson, qui n'a rien d'une pépite pop, a été choisie comme face A du premier 45 tours extrait de l'album en Angleterre, avant même le plus évident New England. Dans la foulée du succès d'Egyptian reggae, le titre a même été classé, très brièvement, dans les 30 meilleures ventes du pays.

J'ai choisi dans ce livre de me concentrer sur les versions des chansons parues officiellement, mais pour cette chanson particulièrement importante qu'est Morning of our lives j'ai décidé de faire une exception. Certes, l'excellente version en public se suffit à elle-même mais, sans les publier, Jonathan Richman en a enregistré d'autres versions dans la période entre les albums Back in your life (1979) et Jonathan sings ! (1983), et ces versions, qui circulent parmi les fans, sont intéressantes.
A l'écoute, on y apprend un détail (l'amie à laquelle il s'adresse se nomme Carol) et surtout que Maurice Chevalier a été l'une des inspirations de cette chanson. Sur la scène du Left Bank en 1981, il explique qu'il a lu un livre de Maurice Chevalier (je n'ai pas retrouvé la source en feuilletant le livre, mais il est possible que ce soit son recueil de mémoires Ma route et mes chansons) dans lequel il expliquait que, quand il voyait de jeunes amoureux s'embrasser dans les rues de Paris, il aimait les regarder car ils prenaient du bon temps et il avait envie d'aller leur dire quelque chose comme, "Mes amis, profitez-en tant que vous pouvez". C'est ce qui a inspiré un couplet supplémentaire de la chanson.
Dans une session studio inédite vers 1981, ça donne "If Maurice Chevalier were here today, he'd take us all by the hand and say : Enjoy it while you can. For me, it is the twilight, but for you it's the morning, ladies and gentlemen. Our time is maintenant, le time to do les choses, comment dit-on, tu vraiment veux, oui, le temps est maintenant, le matin de notre vie. (...) Nous avons la jeunesse maintenant.". Formulé un peu différemment, mais toujours en français dans le texte, ça donnait dans une session à la maison de Jonathan Richman avec Andy Paley vers 1979, "Le temps est maintenant, le temps de faire les choses que vous vraiment aimez. Notre temps est maintenant, dans le matin de notre vie.". Comme ça, vous savez d'où vient le titre de ce livre...
S'il y a une autre chanson du même calibre que j'associe à celle-ci, c'est Affection. Pour vérifier que le concept de jeunesse est relatif, on peut aussi se reporter à Just about seventeen : quel que soit son âge, à chaque écoute de The Morning of our lives on se sent jeune, prêt à prendre un nouveau départ et suffisamment plein de vie pour, par exemple, entonner une autre chanson de Jonathan Richman, l'hyper énergétique et entraînante I'm just beginning to live (1985), dont les principales paroles à part "Je commence juste à vivre" sont "Wang a dang a dang a do a dang dang".
Mais il ne faut pas se leurrer. Avec la mort en janvier 2021 de Leroy Radcliffe, qui suit celle d'Asa Brebner en 2019 et de D. Sharpe en 1987, il n'y aurait plus personne pour répondre à Jonathan s'il chantait Morning of our lives aujourd’hui. On a une pensée pour eux, en méditant sur le fait que le matin de nos vies est toujours trop court.

Roadrunner
Parutions :
Beserkley Chartbusters Volume 1 (1975) (Version Once)
The Modern Lovers (1976) (Version Twice)
Roadrunner single (1977) (Versions Once et Twice)
Morning of our lives single (1978) (Version Thrice)
The original Modern Lovers (1981) (Versions # 1 et # 2)
Live at the Longranch Saloon (1992)


Si le titre de Jonathan Richman qui s'est le mieux vendu est Egyptian reggae, celui qui est communément considéré comme un classique du rock est Roadrunner. Construite sur seulement deux accords, cette chanson est instantanément reconnaissable, que ce soit par le "One, two, three, four five six" compté d'entrée, le riff de trois notes, "Blang !, Blang !, Blang !", ou les "Roadrunner ! Roadrunner !" en défouloir dans le refrain.
Avec six versions différentes publiées, elle doit tenir le record parmi tous les titres enregistrés par Jonathan Richman, mais elle a été peu jouée sur scène depuis la fin des années 1970.
Depuis plusieurs années, certains militent pour faire de Roadrunner la chanson officielle de l’État du Massachusetts, mais certains élus lui préfèrent Dream on d'Aerosmith (Jonathan pense que sa chanson n'est pas assez bonne pour mériter tel honneur...). En tout état de cause, si Roadrunner est un hymne, c'est à la balade en voiture autour de Boston, seul la nuit, en écoutant la radio. Dans Roadrunner (Thrice), la version en public de 1977, le sentiment qui se trouve au cœur de la chanson est parfaitement résumé : "I wouldn't say I feel lonely. I would say that I feel alive, all alone. 'Cos I like this feeling of roaming around in the dark, and even though I'm alone out there, I don't mind, 'cos I'm in love with the world.".

Quand j'ai découvert cette chanson, avec l'achat de Beserkley chartbusters volume 1, j'ai souvent essayé d'en imaginer une version personnalisée, adaptée à mon mode de locomotion et à ma ville d'origine, Châlons-sur-Marne. Au lieu de croiser en voiture dans la banlieue, j'avais la Mobylette précédemment utilisée par mon père pour aller travailler en équipe à l'usine et qui m'avait été offerte pour mes quatorze ans, et j'imaginais des trajets dans le froid cinglant de l'hiver, du quartier Saint-Thiébaut au local de répétition du Ouane Brothers Band à Fagnières, ou de la maison des amis à Coupéville jusqu'à chez mes grands-parents rue des Martyrs de la Résistance.

Sister Ray du Velvet Underground est souvent citée comme un modèle pour Roadrunner. En me cantonnant à ce groupe, je penserais plutôt aux longues envolées avec orgue du Live 1969, ou encore un amalgame de deux titres enchaînés sur Loaded, Sweet Jane pour le riff et Rock & Roll pour l'amour de la radio et du rock.
Une influence non musicale est mentionnée par Jonathan lui-même dans un article d'ARTnews, celle d'Edward Hopper, notamment Essence (1940). Il explique que Roadrunner en particulier, une chanson sur les nuits solitaires sur des routes solitaires et sur la façon dont les lumières sont comme des amis dans la nuit, lui doit beaucoup.
Parmi toutes les versions disponibles, celle que je recommande en priorité c'est celle avec un son crade et un orgue saturé produite début 1972 par John Cale et publiée en 1976 sur The Modern Lovers. Elle est connue comme la version Twice depuis qu'elle a été mise en face B d'un 45 tours en 1977. Les autres versions de cette époque, en public ou produites par Kim Fowley, sont plus anecdotiques, y compris la Version 2 sur Original Modern Lovers, avec Mars Bonfire à la guitare à la place de Jonathan, qui date de l'automne 1973 et qui, en moins de trois minutes, est la plus ramassée. La version Once, avec le groupe Earth Quake, publiée en 1975 sur Beserkley Chartbusters Volume 1, est plus sage et sans orgue, les guitares y sont donc en valeur. La version Thrice, enregistrée à Londres en 1977 en même temps que Modern Lovers Live, est la plus longue et c'est très bien ainsi, surtout que c'est la seule enregistrée avec la formation de cette époque.

Elle est très différente musicalement, mais à la même époque The Modern Lovers avaient à leur répertoire une chanson très proche de Roadrunner par ses paroles, Ride down on the highway, sauf que là Jonathan n'était pas seul, mais accompagné d'une petite amie. Je n'en ai pas fait un inventaire exhaustif, mais Jonathan a composé de nombreuses chansons sur son Massachusetts natal, à commencer par New England : Fenway Park, The Fenway, Twilight in Boston, Winter afternoon by B. U. in Boston, As we walk to Fenway Park in Boston Town,...
Roadrunner a souvent été reprise, notamment, pour rester dans la galaxie Beserkley, par le Greg Kihn Band en 1979 et par Joan Jett en 1986. En 1984, The Jazz Butcher en a publié une version accélérée en face A de single. La version la plus réputée est sans contexte celle des Sex Pistols, enregistrée en répétition en 1976 et publiée en 1979 sur la bande originale du film La grande escroquerie du Rock 'n' Roll. Elle est enchaînée avec Johnny B. Goode de Chuck Berry et Johnny Rotten s'énerve car il ne connaît pas les paroles.
Pour ma part, le 5 février 1988, en Bretagne près de Morlaix, je me suis hissé à la hauteur de Johnny Rotten en rejoignant Biff Bang Pow ! sur scène dans une discothèque déserte pour massacrer allègrement Roadrunner. L'une des rares fois où j'ai "chanté" en public.

20 juin 2021

IRMÃO VICTOR : Irmão Victor


Offert par Pierre Søjdrug par correspondance en juin 2021
Réf : POPSUP 180716/1 -- Édité par Pop Supérette en France en 2018
Support : 33 tours 30 cm
12 titres

Pierre Søjdrug m'a signalé fin 2018 que son label Pop Supérette avait publié un album d'Irmão Victor, un groupe brésilien formé autour de Marco Benvegnù, qui en compose tous les titres. Il était disponible en 33 tours et en numérique sur Bandcamp, mais un CD était annoncé. Je l'ai pré-commandé, mais Pierre n'a finalement jamais pu le sortir. Je me suis alors rabattu sur le numérique, jusqu'à il y a quelques semaines, quand Pierre m'a gentiment proposé de m'offrir un exemplaire du vinyl, probablement l'un des derniers de cette édition limitée à 320 exemplaires qui sera probablement bientôt épuisée.

Cet album contient une sélection de titres de deux albums précédents d'Irmão Victor, Passos simples para transformar gelatina em um monstro (Étapes simples pour transformer la gelée en monstre, 2016) et Cronópio? (2018), avec en prime deux inédits et un enregistrement en concert.
Comment un groupe brésilien se retrouve-t-il à sortir un disque sur un petit label français ? Grâce à l'internet, comme le raconte General POP, puisque c'est après avoir découvert leurs albums sur Bandcamp que Pierre a contacté le groupe.

A la première écoute, c'est à l'ami Dorian Feller et son Brodé Tango que la musique d'Irmão Victor m'a fait penser. Ça reste valable à plusieurs moments, dans diverses tournures musicales, mais aujourd'hui c'est principalement sur l'instrumental Eu morava perto do quartel (J'habitais près de la caserne) que j'entends cette parenté.
C'est d'autres français, Porta S. et La Semence Pastorale, que m'évoque Órbitas ao redor da estátua de Vitor Mateus Teixeira (Orbites autour de la statue de Vitor Mateus Teixeira), un autre instrumental, celui qui ouvre le disque. D'une manière générale, les compositions d'Irmão Victor ne sont pas de la pop basique. Ça part dans tous les sens, avec diverses phases et des changements de rythmes et de mélodies. Quand ça tourne un peu jazz, comme au début d'O tendel. D'ailleurs, il se trouve que j'aime un peu moins la première face du disque que la seconde, sauf le premier titre, donc, et aussi le dernier, D.U.R.O., qui a de très légers accents de funk et de hip hop.
Sur cette face B, j'apprécie particulièrement A flor do meu bairro se mandou (La fleur de mon quartier est partie) qui me rappelle le Scritti Politti des débuts. Pour rester dans un léger esprit post-punk, j'ai eu l'impression qu'Assistindo a vaca e o frango com a salete (Regarder la vache et le poulet avec la salette (?)) démarrait comme du Josef K sous Prozac.
Quant aux autres titres, Canção pra minha chaleira vermelha (Chanson pour ma bouilloire rouge) a un petit côté easy listening des îles, Serenata mociara est marquée par les interventions d'instruments à vent, et à un moment quand elle part en solo, la guitare sur Diógenes Basegio (A rainha da dança) m'a fait penser à celle de Maurice Deebank.

La collaboration entre Irmão Victor et Pop Supérette s'est poursuivie puisque, en 2019, l'album suivant Mariposário a aussi été publié par le label, en CD, et enregistré en partie en France, où Marco Benvegnù a séjourné un moment. Je regrette de ne pas avoir vu Irmão Victor en concert à ce moment-là. Espérons que l'occasion se représentera.




Irmão Victor, Diogenes basegio, en direct pour Wah Wah - One Take.

12 juin 2021

THE CHEMICAL BROTHERS : Setting sun


Acquis neuf en France en 1997
Réf : CHEMSD4 - 7243 8 93865 2 3 -- Édité par Freestyle Dust / Virgin en Angleterre en 1996
Support : CD 12 cm
Titres : Setting sun (Full length version) -- Setting sun (Radio edit) -- Buzz tracks -- Setting sun (Instrumental)

Le groupe a beau avoir été découvert par Alan McGee avant de devenir le plus grand succès commercial de Creation, aucun disque d'Oasis n'a été chroniqué ici et ce n'est pas demain la veille qu'il y en aura un. Certes, même s'ils ont rarement transcendé leurs influences rétro, j'apprécie certaines chansons du groupe, à commencer par Supersonic, mais ils m'ont porté sur les nerfs dès leurs premières interventions médiatiques et ça n'a fait qu'empirer ensuite. Pour rester à Manchester et à peu près à la même époque, Oasis c'est comme si les Stone Roses, qui ont eux produit un grand album et quelques excellents singles, étaient composés de deux tanches comme Ian Brown au lieu d'une, accompagnées de trois mannequins interchangeables.

Les très rares fois où je me suis retrouvé dans quelque chose approchant une rave, c'était dans des événements très cadrés organisés par des festivals, aux Transmusicales notamment. Mais ça ne m'a pas empêché d'apprécier de nombreux disques house/techno/hip hop diffusés dans des événements de ce type. J'ai notamment acheté et diffusé à la radio une bonne partie des premiers disques des Chemical Brothers, dont ce single, Setting sun, sorti fin 1966, l'année suivant le premier album Exit planet dust, et inclus en 1997 dans le deuxième album Dig your own hole. C'est un duo de DJ/producteurs comme le genre en a produit beaucoup, avec une musique utilisant de nombreux disques échantillonnés, qui font régulièrement appel à des chanteurs pour rendre leurs compositions plus humaines (et plus accessibles aussi, sûrement).

L'histoire de Setting sun reflète bien le caractère de Noel Gallagher. Lui et les Chemical Brothers s'appréciaient, mais il s'est plaint qu'on ait fait appel à Tim Burgess des Charlatans plutôt qu'à lui pour Life is sweet sur Exit planet dust. Ils ont donc convenu d'une collaboration. Les Chemical Brothers lui ont passé une cassette démo, Noel a écrit des paroles (en retravaillant celles d'un vieux titre inédit d'Oasis). L'enregistrement du chant s'est fait un soir à toute vitesse, mais ensuite le single a mis longtemps à sortir car il a fallu négocié contractuellement cette participation du guitariste-chanteur du groupe n°1 du moment avec un groupe signé sur un autre label. Au bout du compte, la participation de Noel Galllagher, qui n'est pas mise en avant sur la pochette, a quand même permis aux Chemical Brothers de décrocher leur premier n°1 des ventes. Ils rééditeront cette performance avec le single suivant, Block rockin' beats, sans aucune association avec Oasis cette fois.

Si vous voulez avoir une idée de ce qu'aurait pu donner une version Oasis de Setting sun (ou Comin' on strong plutôt, son titre original), vous pouvez écouter une démo/répétition de 1992-1993 chantée par Liam. Ça s'étire sur inutilement sur plus de six minutes, mais il faut prendre en compte le fait que cet enregistrement n'avait pas vocation à être publié. On peut aussi se fader une version solo acoustique par Noel Gallagher de 1997 (après la sortie du single, donc). C'est juste pénible.

La pochette a beau être gentillette et très rétro seventies, Setting sun par The Chemical Brothers c'est du lourd et ça mérite complètement l'appellation de Big Beat. Les synthés et échantillons sont triturés au point de devenir du bruit, un procédé digne de  l'utilisation de sirènes par Public Enemy. La voix de Noel Gallagher, saturée et trafiquée, n'est pas mieux traitée. Il y a une forte influence de Tomorrow never knows (au point que les avocats des Beatles s'en sont inquiétés et ont vérifié qu'il n'y avait pas de sample illégal, apparemment), mais alors c'est comme si on avait placé le disque original dans le tambour d'une machine à laver installée dans l'une de ces énormes enceintes d'ampli Marshall !
La version dite Instrumental prolonge l'assaut sur nos oreilles de sept minutes (une version live au Lowlands Festival 1997 a été publiée en face B du single Private psychedelic reel).

Sur ce single, la face B Buzz tracks est un instrumental un peu hip hop plus tranquille que le titre principal.

The Chemical Brothers ont diffusé un nouveau single ce printemps, The darkness that you fear, en prélude à un nouvel album.


06 juin 2021

FINGERPRINTZ : Bullet proof heart


Acquis au Record and Tape Exchange de Notting Hill Gate à Londres en 1983 ou 1984
Réf : VS 358 -- Édité par Virgin en Angleterre en 1980
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Bullet proof heart -/- Hide and seek

Je suis tombé sur ce 45 tours dans la cave du Record and Tape Exchange. A l'époque, les 45 tours qui atterrissaient là, dernière étape avant la benne, y étaient bradés à 10 pence. Je ne connaissais Fingerprintz que de nom, mais l'illustration de couverture, très réussie, ne m'était pas inconnue : elle faisait partie d'une série de cartes postales que j'avais vue en vente à quelques centaines de mètres de là, chez Rough Trade. L'artiste est John Stalin, qui bossait régulièrement pour le NME dans ces années-là, il me semble.
On retrouve cette illustration sur la pochette de l'album Distinguishing marks dont ce 45 tours est tiré, avec un paquet d'autres pour illustrer chacune de ces chansons. C'est Peter Saville qui a conçu la pochette et une fois de plus il n'a pas failli à sa réputation de toujours trouver un moyen pour que la pochette coûte cher à fabriquer : pour le premier tirage, les pochettes étaient perforées de façon à ce qu'on puisse, si on tenait à détruire sa pochette, découper les illustrations pour les transformer en cartes postales. Peut-être que ce que j'avais vu chez Rough Trade c'était tout ce qu'il restait d'un exemplaire de Distinguishing marks !

Fingerprintz  (un nom en référence aux Residents ?) est un groupe d'écossais qui s'est formé en 1978. Ils ont signé chez Virgin et, pour leur deuxième album, c'est un artiste maison, Nick Garvey des Motors, qui a été chargé de la production.
Bullet proof heart est un titre qui fonctionne bien. Avec son accroche mélodique au synthé et son refrain qui reste en tête ("In this town, you need a bullet proof heart"), on comprend que le label l'ait sélectionné comme single. Apparemment, les paroles évoquent les événements d'Irlande du Nord, ce qui explique peut-être les roulements de batterie un peu "militaires" sur la fin. La chanson a un côté "anthemic", comme disent les anglais : si on reste sur l'Irlande, on pourra évoquer U2, alors que côté Écosse, ce serait plutôt les Skids, ou mieux encore, on pourrait dire que Fingerprintz annonce un peu leurs successeurs Big Country.
En face B, Hide and seek, un autre titre de l'album, est dans la même veine. Mon homologue JC le Vinyl Villain écossais a trouvé les paroles suffisamment intéressantes pour l'inclure dans sa série sur les chansons qui auraient pu être des nouvelles.

Ni Bullet proof heart, ni Houdini love, l'autre 45 tours extrait de Distinguishing marks, ni l'album lui-même n'ont eu de succès. Idem pour Beat noir, le troisième album, sorti en 1981 (le seul autre disque du groupe que j'ai). Sans trop de surprise, Fingerprintz s'est séparé peu de temps après. Fin de l'histoire. Un groupe obscur de plus dont les connaisseurs peuvent rechercher les disques des années plus tard (et pour pas trop cher).

Sauf que, non, pas cette fois-là. Jimme O'Neill, guitariste, chanteur et principal auteur-compositeur de Fingerprintz, et le guitariste Cha Burns se sont lancés dans une nouvelle aventure en 1985 en fondant The Silencers. Et The Silencers ont tout de suite eu du succès, avec les singles Painted moon et The real McCoy notamment, extraits de leurs deux premiers albums A letter from St. Paul (1987) et A blues for Buddha (1988). D'une manière générale, le groupe "marche" mieux en Europe et aux États-Unis que chez lui au Royaume-Uni.
Arrivent 1991 et le troisième album, Dance to the holy man, et, pour une raison ou pour une autre (des regrets et le souhait de lui donner une nouvelle chance ? un manque de nouvelles chansons accrocheuses ?), ils enregistrent une nouvelle version de Bulletproof heart, qui ouvre l'album et qui en est le premier extrait en 45 tours. Onze ans plus tard, la nouvelle version n'est pas fondamentalement différente, mais cette fois-ci c'est un très grand succès, particulièrement en France et en Espagne. Comme quoi, il y a de l'espoir, même pour d'obscures pépites new wave oubliées !
En 2010, Jim Kerr de Simple Minds a repris Bulletproof heart sur son album Lostboy! aka Jim Kerr.

Une première compilation CD de Fingerprintz (les albums n'ont jamais été réédités) est sortie en 2020. The best of Fingerprintz : Bullet proof heart a été chroniquée en deux parties (1 et 2) par Post-Punk Monk.


Fingerprintz, Bullet proof heart, en direct dans l'émission Old grey whistle test le 3 décembre 1980.


The Silencers, Bullet proof heart, dans l'émission Nulle part ailleurs vers 1993.