Offert par Dorian Feller à Villedommange le 14 décembre 2020
Réf : BZZ7 -- Édité par Beserkley en Angleterre en 1978
Support : 45 tours 17 cm
Titres : The morning of our lives -/- Roadrunner (Thrice)
Je viens de publier un nouveau livre, Notre temps c'est maintenant : Une farandole de chansons de Jonathan Richman, qui propose à travers une trentaine de chroniques un panorama d'un demi-siècle de chansons du fondateur des Modern Lovers, de la première parue, The new teller en 1975, à l'une des plus récentes, Cold pizza en 2020.
Pour marquer le coup, j'ai ressorti ce 45 tours, que l'ami Dorian Feller m'a fort opportunément et très gentiment offert il y a quelques mois (il a acheté cet exemplaire en parfait état dans une bourse aux disques, je crois).
J'avais déjà un autre exemplaire depuis longtemps, mais il était assez pourri et surtout sans pochette. Non que cette pochette soit particulièrement remarquable, avec ses photos en noir et blanc prises lors des concerts qui ont donné lieu à l'album Modern Lovers 'live', dont la face A est extraite. La pochette de l'autre single extrait de l'album, New England, qui m'a aussi été offert par Dorian, n'était pas mieux.
Sur la pochette, le crédit est à The Modern Lovers, comme sur l'album live, mais c'est Jonathan Richman & the Modern Lovers qui est indiqué sur le rond central du disque, comme pour les deux premiers albums studio officiels parus précédemment. Sur ce rond central, toujours, il y a la mention "© 1977", mais on était à la fin d'une année discographiquement très chargée pour Jonathan Richman (single Roadrunner, album Rock 'n' roll with..., single Egyptian reggae, album live) et selon certaines sources ce 45 tours serait plutôt sorti début janvier 1978.
J'aime bien le slogan publicitaire qu'on trouve au dos de la pochette, "The most fun you can have with your clothes on". En plus sage, il fait penser aux fameux slogans de Stiff Records à la même époque.
La face B de ce 45 tours, Roadrunner (Thrice), ne figure pas sur l'album, tout comme les faces B live de New England et Buzz buzz buzz que j'ai déjà eu l'occasion de chroniquer ici. Mais même Roadrunner (Thrice), je l'ai déjà chroniquée puisqu'elle est aussi en face B de My little Kookenhaken, un 45 tours paru uniquement au Benelux.
Quant à The morning of our lives, c'est une chanson qui compte beaucoup pour moi. Ce n'est pas un hasard si le titre du livre reprend une partie du refrain de cette chanson !
Plutôt que de me répéter, je reproduis ci-dessous les deux chapitres du livre dédiés à The morning of our lives et Roadrunner.
Quant au livre lui-même, comme les précédents il est disponible gratuitement en téléchargement. Seule la version imprimée est en vente (11€ port compris pour la France). Pour les non-francophones, il existe une version en anglais, Our time is now.
The morning of our lives
Modern Lovers live (1977)
Morning of our lives single (1978)
Cette chanson n'a été publiée que dans une version en public, mais celle-ci est parfaite.
Je n'ai pas recours pas aux livres sur le bien-être ni aux séminaires de motivation personnelle ou aux manuels pour savoir comment conduire sa vie. Il y a peu de chance que je le fasse un jour puisque, à elle seule cette chanson peut remplir toutes ces fonctions. Elle a d'ailleurs été l'un des piliers essentiels de la hip-pop optimiste, le pseudo-concept philosophico-musical élaboré autour de mon émission de radio Vivons heureux ! (en attendant la mort…).
On est en fin de concert, sûrement même au moment du dernier rappel (Jonathan lance un "Goodnight" à la fin, et le titre a été placé à la toute fin de l'album).
La chanson démarre lentement, le rythme est donné par la guitare, des petits coups de baguette, des notes de basse isolées. L'instrumentation est minimale mais parfaitement dosée et, dès le début, on entend au loin que le public accompagne le groupe en claquant des mains en rythme.
Pour cette chanson, Jonathan s'adresse à une amie et cherche à l'encourager et à lui donner confiance : "J'ai foi en toi. Parfois toi-même tu ne crois pas en toi, mais j'ai foi en toi. Et notre temps c'est maintenant, maintenant on peut faire tout ce qu'on veut vraiment faire, notre temps c'est maintenant, là au matin de notre vie".
A ce moment, il appelle en renfort à ses amis du groupe, Leroy, Asa et D. Sharpe pour qu'ils lui disent en chœur de ne pas avoir peur, que tout va bien et qu'ils l'aiment aussi.
Il se passe quelque chose d'extraordinaire au cours de la dernière minute de cette chanson assez longue. A la fin du dernier refrain, il y a comme une micro-pause, et on sent comme une explosion du public, qui réagit ("Yeah !" et applaudissements) et reprend plus fortement les claquements de mains pour un coda au cours duquel le chanteur s'adresse visiblement désormais à tout le public et pas juste à une amie : "Nous sommes jeunes maintenant… Maintenant il est temps pour nous d'avoir foi en ce que nous pouvons faire. Aucune raison d'avoir peur.".
C'est puissant et émouvant, le genre de moment de joie et d'émotion collectives qui n'est pas rare dans un concert de Jonathan Richman mais qui est habituellement difficile à faire revivre sur un enregistrement.
Le plus étonnant dans tout ça c'est que cette très belle chanson, qui n'a rien d'une pépite pop, a été choisie comme face A du premier 45 tours extrait de l'album en Angleterre, avant même le plus évident New England. Dans la foulée du succès d'Egyptian reggae, le titre a même été classé, très brièvement, dans les 30 meilleures ventes du pays.
J'ai choisi dans ce livre de me concentrer sur les versions des chansons parues officiellement, mais pour cette chanson particulièrement importante qu'est Morning of our lives j'ai décidé de faire une exception. Certes, l'excellente version en public se suffit à elle-même mais, sans les publier, Jonathan Richman en a enregistré d'autres versions dans la période entre les albums Back in your life (1979) et Jonathan sings ! (1983), et ces versions, qui circulent parmi les fans, sont intéressantes.
A l'écoute, on y apprend un détail (l'amie à laquelle il s'adresse se nomme Carol) et surtout que Maurice Chevalier a été l'une des inspirations de cette chanson. Sur la scène du Left Bank en 1981, il explique qu'il a lu un livre de Maurice Chevalier (je n'ai pas retrouvé la source en feuilletant le livre, mais il est possible que ce soit son recueil de mémoires Ma route et mes chansons) dans lequel il expliquait que, quand il voyait de jeunes amoureux s'embrasser dans les rues de Paris, il aimait les regarder car ils prenaient du bon temps et il avait envie d'aller leur dire quelque chose comme, "Mes amis, profitez-en tant que vous pouvez". C'est ce qui a inspiré un couplet supplémentaire de la chanson.
Dans une session studio inédite vers 1981, ça donne "If Maurice Chevalier were here today, he'd take us all by the hand and say : Enjoy it while you can. For me, it is the twilight, but for you it's the morning, ladies and gentlemen. Our time is maintenant, le time to do les choses, comment dit-on, tu vraiment veux, oui, le temps est maintenant, le matin de notre vie. (...) Nous avons la jeunesse maintenant.". Formulé un peu différemment, mais toujours en français dans le texte, ça donnait dans une session à la maison de Jonathan Richman avec Andy Paley vers 1979, "Le temps est maintenant, le temps de faire les choses que vous vraiment aimez. Notre temps est maintenant, dans le matin de notre vie.". Comme ça, vous savez d'où vient le titre de ce livre...
S'il y a une autre chanson du même calibre que j'associe à celle-ci, c'est Affection. Pour vérifier que le concept de jeunesse est relatif, on peut aussi se reporter à Just about seventeen : quel que soit son âge, à chaque écoute de The Morning of our lives on se sent jeune, prêt à prendre un nouveau départ et suffisamment plein de vie pour, par exemple, entonner une autre chanson de Jonathan Richman, l'hyper énergétique et entraînante I'm just beginning to live (1985), dont les principales paroles à part "Je commence juste à vivre" sont "Wang a dang a dang a do a dang dang".
Mais il ne faut pas se leurrer. Avec la mort en janvier 2021 de Leroy Radcliffe, qui suit celle d'Asa Brebner en 2019 et de D. Sharpe en 1987, il n'y aurait plus personne pour répondre à Jonathan s'il chantait Morning of our lives aujourd’hui. On a une pensée pour eux, en méditant sur le fait que le matin de nos vies est toujours trop court.
Roadrunner
Beserkley Chartbusters Volume 1 (1975) (Version Once)
The Modern Lovers (1976) (Version Twice)
Roadrunner single (1977) (Versions Once et Twice)
Morning of our lives single (1978) (Version Thrice)
The original Modern Lovers (1981) (Versions # 1 et # 2)
Live at the Longranch Saloon (1992)
Si le titre de Jonathan Richman qui s'est le mieux vendu est Egyptian reggae, celui qui est communément considéré comme un classique du rock est Roadrunner. Construite sur seulement deux accords, cette chanson est instantanément reconnaissable, que ce soit par le "One, two, three, four five six" compté d'entrée, le riff de trois notes, "Blang !, Blang !, Blang !", ou les "Roadrunner ! Roadrunner !" en défouloir dans le refrain.
Avec six versions différentes publiées, elle doit tenir le record parmi tous les titres enregistrés par Jonathan Richman, mais elle a été peu jouée sur scène depuis la fin des années 1970.
Depuis plusieurs années, certains militent pour faire de Roadrunner la chanson officielle de l’État du Massachusetts, mais certains élus lui préfèrent Dream on d'Aerosmith (Jonathan pense que sa chanson n'est pas assez bonne pour mériter tel honneur...). En tout état de cause, si Roadrunner est un hymne, c'est à la balade en voiture autour de Boston, seul la nuit, en écoutant la radio. Dans Roadrunner (Thrice), la version en public de 1977, le sentiment qui se trouve au cœur de la chanson est parfaitement résumé : "I wouldn't say I feel lonely. I would say that I feel alive, all alone. 'Cos I like this feeling of roaming around in the dark, and even though I'm alone out there, I don't mind, 'cos I'm in love with the world.".
Quand j'ai découvert cette chanson, avec l'achat de Beserkley chartbusters volume 1, j'ai souvent essayé d'en imaginer une version personnalisée, adaptée à mon mode de locomotion et à ma ville d'origine, Châlons-sur-Marne. Au lieu de croiser en voiture dans la banlieue, j'avais la Mobylette précédemment utilisée par mon père pour aller travailler en équipe à l'usine et qui m'avait été offerte pour mes quatorze ans, et j'imaginais des trajets dans le froid cinglant de l'hiver, du quartier Saint-Thiébaut au local de répétition du Ouane Brothers Band à Fagnières, ou de la maison des amis à Coupéville jusqu'à chez mes grands-parents rue des Martyrs de la Résistance.
Sister Ray du Velvet Underground est souvent citée comme un modèle pour Roadrunner. En me cantonnant à ce groupe, je penserais plutôt aux longues envolées avec orgue du Live 1969, ou encore un amalgame de deux titres enchaînés sur Loaded, Sweet Jane pour le riff et Rock & Roll pour l'amour de la radio et du rock.
Une influence non musicale est mentionnée par Jonathan lui-même dans un article d'ARTnews, celle d'Edward Hopper, notamment Essence (1940). Il explique que Roadrunner en particulier, une chanson sur les nuits solitaires sur des routes solitaires et sur la façon dont les lumières sont comme des amis dans la nuit, lui doit beaucoup.
Parmi toutes les versions disponibles, celle que je recommande en priorité c'est celle avec un son crade et un orgue saturé produite début 1972 par John Cale et publiée en 1976 sur The Modern Lovers. Elle est connue comme la version Twice depuis qu'elle a été mise en face B d'un 45 tours en 1977. Les autres versions de cette époque, en public ou produites par Kim Fowley, sont plus anecdotiques, y compris la Version 2 sur Original Modern Lovers, avec Mars Bonfire à la guitare à la place de Jonathan, qui date de l'automne 1973 et qui, en moins de trois minutes, est la plus ramassée. La version Once, avec le groupe Earth Quake, publiée en 1975 sur Beserkley Chartbusters Volume 1, est plus sage et sans orgue, les guitares y sont donc en valeur. La version Thrice, enregistrée à Londres en 1977 en même temps que Modern Lovers Live, est la plus longue et c'est très bien ainsi, surtout que c'est la seule enregistrée avec la formation de cette époque.
Elle est très différente musicalement, mais à la même époque The Modern Lovers avaient à leur répertoire une chanson très proche de Roadrunner par ses paroles, Ride down on the highway, sauf que là Jonathan n'était pas seul, mais accompagné d'une petite amie. Je n'en ai pas fait un inventaire exhaustif, mais Jonathan a composé de nombreuses chansons sur son Massachusetts natal, à commencer par New England : Fenway Park, The Fenway, Twilight in Boston, Winter afternoon by B. U. in Boston, As we walk to Fenway Park in Boston Town,...
Roadrunner a souvent été reprise, notamment, pour rester dans la galaxie Beserkley, par le Greg Kihn Band en 1979 et par Joan Jett en 1986. En 1984, The Jazz Butcher en a publié une version accélérée en face A de single. La version la plus réputée est sans contexte celle des Sex Pistols, enregistrée en répétition en 1976 et publiée en 1979 sur la bande originale du film La grande escroquerie du Rock 'n' Roll. Elle est enchaînée avec Johnny B. Goode de Chuck Berry et Johnny Rotten s'énerve car il ne connaît pas les paroles.
Pour ma part, le 5 février 1988, en Bretagne près de Morlaix, je me suis hissé à la hauteur de Johnny Rotten en rejoignant Biff Bang Pow ! sur scène dans une discothèque déserte pour massacrer allègrement Roadrunner. L'une des rares fois où j'ai "chanté" en public.