28 octobre 2018

ROBERT WYATT : EPs


Acquis par correspondance via Amazon en janvier 2017
Réf : DNO 205 -- Édité par Domino aux États-Unis en 2008
Support : 5 x CD 12 cm
19 titres

Je ne sais plus comment je me suis retrouvé à regarder le passage de Robert Wyatt à Top of the Pops en 1974 pour sa reprise du I'm a believer des Monkees. Peut-être bien parce que l'ami Dorian Feller avait trouvé sur une broc l'édition française du 45 tours. En tout cas, ce qui m'avait surtout marqué dans ce document c'est l'ironie suprême de la situation : Robert Wyatt interprétant un tube pop mondial, certes, mais Robert Wyatt dans le temple de la variété anglaise ! Et pas tout seul, en plus, puisqu'il est accompagné, sauf erreur de ma part, par son producteur Nick Mason (Pink Floyd) et par Richard Sinclair (Caravan, Hatfield and The North), Dave MacRae (Matching Mole), Andy Summers (qui avait joué notamment avec Soft Machine, Kevin Ayers et Kevin Coyne, et qui rejoindra plus tard The Police) et Fred Frith (Henry Cow et un des papes des Musiques de Traverses. Fred Frith à TOTP !).



Dans son n° 201 daté de février 2014, Uncut a raconté The making of... I'm a believer. Évidemment, c'est une série de malentendus qui a abouti à cette situation. Robert Wyatt avait dit dans la presse qu'il aimait beaucoup la pop music, "la musique folk de l'ère industrielle" et un dirigeant de son label Virgin l'a pris au mot en lui demandant s'il serait prêt à enregistrer une chanson pop. Et c'est comme ça que, juste après la sortie de son premier album Rock bottom en juillet 1974, Wyatt et Mason sont retournés en studio pour enregistrer, très vite, cette reprise des Monkees, après avoir dans un premier temps envisagé de s'attaquer à Last train to Clarksville.
Le 8 septembre 1974, pour la seule et unique fois apparemment, Wyatt a joué cette chanson sur scène, au théâtre de Drury Lane. Le 45 tours est sorti et il est monté jusqu'à la 29e place des classements de vente. Rien d'extraordinaire, mais suffisamment pour que, avec l'appui promotionnel de Virgin, Wyatt soit invité deux semaines de suite en septembre 1974 à passer à Top of the Pops. Et là, les choses ne se sont pas très bien passées, c'était triste et futile : longue attente, répétition annulée par la pause syndicale, et surtout, ces musiciens plutôt d'avant-garde étaient paumés dans tout ce cirque (même si Caravan, et bien sûr Pink Floyd, y étaient déjà passés). Et puis il y avait le fauteuil roulant de Wyatt. La deuxième fois, le producteur de l'émission a dit qu'il le gênait et qu'il préférerait le voir assis dans un siège en osier. Wyatt l'a envoyé se faire voir, l'autre lui a dit qu'il ne serait plus jamais invité dans l'émission, et Richard Branson est allé acheté un "beau fauteuil roulant ancien" pour calmer les choses et ça a fini par passer.
La chanson originale est vraiment un classique de la pop, avec une mélodie dynamique très forte. J'aime beaucoup la version de Wyatt, et initialement mon intention mon intention était de m'offrir le 45 tours pour le chroniquer ici. Mais les exemplaires avec pochette illustrée sont chers. Les exemplaires anglais sans pochette sont très courants et pas chers, mais avec le port çe revient quand même au minimum à 7-10 €. Pour un prix à peine supérieur, j'ai préféré jeter mon dévolu sur cette compilation EPs, sortie initialement en 1999, qui se présente sous la forme d'un coffret de 5 CD qui permet de revisiter une partie de la discographie solo foisonnante de Robert Wyatt.
Le premier CD s'ouvre avec une version un peu allongée de I'm a believer, suivie de sa face B, Memories, qui doit être donc, du fait du tube, la version, excellente, la plus vendue de la très belle chanson de Hugh Hopper, dont j'ai chroniqué ici la reprise par Material.
Ensuite vient, preuve que Wyatt a essayé de continuer de jouer le jeu de la pop, la reprise ralentie du Yesterday man de Chris Andrews, enregistrée dans la foulée en 1974, qui devait succéder à I'm a believer. Sauf que Virgin l'a trouvée lugubre et a refusé de la sortir (avant de finir par le faire en 1977). Du coup, Wyatt a refusé d'enregistrer pour Virgin, Virgin l'a empêché d'enregistrer ailleurs et Wyatt s'est intéressé pendant un temps plutôt à la politique qu'à la musique.
Le CD est complété par Sonia, une version différente de la face B de Yesterday man, un instrumental aux tonalités caribéennes que j'aime bien au début, mais qui se révèle très répétitif sur la longueur. Et ensuite on a droit à Calyx, un extrait du concert de Drury Lane.
Le coffret fait ensuite l'impasse sur les 45 tours sortis chez Rough Trade, sûrement parce qu'ils sont compilés depuis longtemps sur Nothing can stop us, pour s'attaquer au monument Shipbuilding. On retrouve donc les trois titres du maxi de 1982, avec la version originale de la chanson écrite par Clive Langer pour la musique et Elvis Costello pour les paroles, version qui reste ma préférée, suivie de deux reprises, Memories of you, que j'aime beaucoup, et Round midnight de Thelonious Monk, qui est moins ma tasse de thé.
On trouve ensuite sur ce CD deux titres parus initialement sur des compilations, le bon original Pigs... (in there) sur Artists for animals - The liberator et la reprise de Charlie Haden Chairman Mao chez Recommended Records.




Robert Wyatt, Shipbuilding, en direct dans l'émission Old Grey Whistle Test, en 1983.

Les deux disques suivants ont été conçus dès l'origine comme des EPs. Work in progress (1984) rassemble trois "hymnes séculiers". J'aime particulièrement Yolanda, une chanson d'amour cubaine, et Biko. Là encore, je préfère sûrement la version originale de Peter Gabriel, mais cette reprise est tout aussi émouvante.
Le quatrième disque est celui qui me plaît le moins. Il faut dire que c'est The animals film, la bande originale, parue en mini-album en 1982, d'un documentaire anti-vivisection de Victor Schonfeld. C'est donc à prendre comme tel. Même réduit de dix minutes par rapport à la publication originale, ça reste un peu éprouvant, mais sûrement pas autant que le visionnage du film.
Le cinquième disque est la première publication d'un projet précédemment inédit, le remix par Nigel Butler et Angie Dial de Pmff de quatre titres de Schleep, réalisé en mars 1997, avant même que le mixage "officiel" de l'album soit terminé. On y trouve le quasi-funky Sunday in Madrid et Free will and testament, mon titre préféré de l'album. Ce qui est bien c'est que, même remixé, je retrouve ici ce que j'aime dans la chanson. Je savais qu'on entendait là Paul Weller à la guitare, mais j'ai découvert à cette occasion que la mélodie est due à Kramer, de Shockabilly et Shimmy Disc, et des collaborations avec Dogbowl, parmi des dizaines d'autres.
Voilà donc un excellent coffret, qui aurait été parfait pour moi en remplaçant The animals film par la Peel session de 1974, qui comprend des versions de Sea song, Alifib et I'm a believer.

21 octobre 2018

DANY DORIZ AND MEMPHIS SLIM : Jam session


Acquis sur le vide-grenier de Magenta le 14 octobre 2018
Réf : FAR 12 (JAZZ N° 1) -- Édité par Farandole en France au début des années 1960
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Make rattle and roll -- Jazz madison -/- Everyday I have the blues -- Shuffle and the vibra

Comme celle de Germaine, la brocante de Magenta a perdu beaucoup de son âme en étant déplacée du centre-bourg au parc des sports. Mais bon, il faisait très beau (comme tous les dimanches ces dernières semaines), il y avait beaucoup de stands (souvent tenus par des particuliers), et surtout j'y ai trouvé quelques disques, dont deux 45 tours vraiment intéressants, ce qui ne m'arrive plus souvent.
Voici le premier de ces 45 tours. Il était perdu dans une petite poignée de disques sans intérêt, à 50 centimes.
Dès que j'ai aperçu le nom de Memphis Slim sur la pochette de cet EP que je ne connaissais pas du tout, j'ai su que je le prendrais, mais en plus je trouve que le recto de la pochette est très réussi et très efficace, avec le montage de photos de Slim, Dany et des lames du vibraphone, et la typographie sur fond rouge.
Le label Farandole m'était inconnu lui aussi. On sait que le disque est du début des années 1960 car le prix est visiblement en nouveaux francs. La mention "N.M.P.P." en haut à droite au verso nous indique que ce disque était distribué non pas chez les disquaires mais dans les points de presse, où l'on trouvait souvent je crois des disques pas chers, plus ou moins décalqués des grands succès. Là, il s'agit d'enregistrements inédits par ailleurs, mais je ne crois pas qu'il y ait eu un n° 2 à la collection Jazz que ce disque inaugurait.
On a droit à des notes de pochette détaillées signées du jazzman américain établi en France Bill Coleman. On comprend vite que le disque se divise en deux parties : deux titres où Memphis Slim est au chant et au piano, accompagné par le quintet de Dany Doriz, et les deux autres, instrumentaux, sans Memphis Slim.
Il y a beau avoir écrit "Make" sur la pochette et la rondelle, le premier titre est bien une version de Shake, rattle and roll de Big Joe Turner (Bill Coleman ne fait pas l'erreur dans ses notes). Outre l'interprétation de Memphis Slim, c'est le saxophone ténor de Charles Barrié qui pour moi marque cette chanson, d'abord avec des notes basses bien rondes, puis avec son solo, avant de laisser la place au vibraphone du chef d'orchestre. Memphis Slim a souvent joué cette chanson sur scène et on en trouve de nombreux enregistrements sur disque, mais je ne crois pas que cette version avec Dany Doriz ait jamais été rééditée.
L'autre chanson avec Memphis Slim, c'est une de ses propres compositions les plus connues, Every day I have the blues. Une bonne version, avec cette fois-ci le solo de vibraphone avant celui de saxo.

Dany Doriz and Memphis Slim : Every day I have the blues.

Les deux compositions de Dany Doriz sont entraînantes. Le fait que la première s'intitule Jazz madison peut nous inciter à penser qu'elle date de la période où cette danse était très populaire en France, en 1962 ou 1963. Dans celle-ci, comme dans Shuffle and the vibra, les deux solistes "dialoguent" au vibraphone et au saxophone.
Leurs noms étant cités par Bill Coleman, je me suis renseigné sur les musiciens qu'on entend sur ce disque. Le fait qu'ils ont tous eu un parcours remarquable en dit long sur la qualité de l'orchestre, à commencer par Dany Doriz lui-même, que je ne connaissais pas du tout mais qui est un pilier de la scène jazz en France. Non seulement c'est un musicien aux talents multiples (vibraphone, saxophone, piano) mais il est aussi depuis plus de quarante ans le propriétaire du Caveau de la Huchette, l'un des hauts lieux du jazz en France, même s'il est en sous-sol. Comme musicien, il a notamment publié chez Frémeaux en 2014 un album avec son Big Band, avec une illustration de couverture par Cabu et la participation de Manu Dibango. Au début de l'été, Manu Dibango était encore l'invité du Big Band pour un concert, à Montauban.
A la section rythmique, on trouve Jean Martin, considéré un temps comme le batteur attitré du club Les Trois Mailletz, et Jean-Pierre Mulot, bassiste dans de nombreuses formations, jazz ou rock dont Les Gamblers.
Pour ce qui est du pianiste Paul Rakotonirina, il suffit de dire qu'on peut voir un Chuck Berry visiblement ému lui rendre hommage sur scène à Bordeaux le 20 novembre 1965 lors d'une interprétation de Wee wee hours. Il était aussi auteur-compositeur et arrangeur. Il a par exemple participé au projet Les Jelly Roll de Richard Bennett.
Quant au remarquable saxophoniste, il s'agit de Charles Barrié. Quand j'ai appris qu'il était de Toulouse et que je l'ai vu mentionné sur la même page que La Tournerie des Drogueurs dans la présentation du livre De briques et de jazz de Charles Schaettel, je me suis dit qu'il était peut-être mentionné dans un livre que Philippe R. m'a fait découvrir à la fin de l'an dernier et que je suis allé illico sortir de l'étagère.



Ce livre, c'est La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive de Michel Boujut (2008), qui mêle fiction et enquête autour d'un fait divers sanglant, le meurtre en janvier 1959 de Jean Lannelongue, le propriétaire de la boîte de jazz contrepétesque La Tournerie des Drogueurs.
Et effectivement, j'ai trouvé page 53 de ce livre la mention en passant de Charles Barrié, puisque c'est son pianiste Gérard Baraillé qui avait épousé la Marie-Thérèse éponyme, rencontrée lors d'une soirée chez Hugues Panassié.
C'est en faisant un bœuf à la Tournerie que Gérard s'était vu proposer de prendre la place laissée vacante dans cet orchestre Nouvelle Orléans (Il a fait ensuite carrière au cinéma sous le nom de Gérard Barray).
Amateur de jazz ou pas, je vous conseille vivement ce court livre de Michel Boujut, ainsi que Souffler n'est pas jouer, un roman dont Louis Armstrong est l'un des héros, situé pendant sa tournée française de 1934, mais aussi, hors musique, le captivant Le jeune homme en colère (1998), enquête sur une célèbre photo de Paul Strand.

13 octobre 2018

THE WALLFLOWERS : Blushing girl nervous smile


Acquis au Record and Tape Exchange de Notting Hill Gate à Londres dans la deuxième moitié des années 1980
Réf : MANT 83/7 -- Édité par Mantre en Angleterre en 1986
Support : 45 tours 30 cm
Titres : Blushing girl nervous smile -/- Blushing girl -- Caution to the wind -- A great big river

Cela fait quelques mois que je vois passer des informations à propos de rééditions en vinyl par le label  Optic Nerve. Il faut dire que, dans leur catalogue centré sur les années 1980 et 1990, on trouve Apple Boutique de l'ami Phil King et un autre de ses anciens groupes, The Servants, et aussi Girls At Our Best, Red Sleeping Beauty de McCarthy, Pulp, The Monochrome Set...
Les 45 tours sortent au rythme d'un par mois, on peut s'y abonner façon club et j'ai bien l'impression que, avec les abonnements et les précommandes, l'intégralité du pressage de certains titres est parfois épuisé avant même la date de sortie.
Il y a quelques semaines, j'ai été surpris d'apprendre qu'une de leurs prochaines sorties serait ce maxi de The Wallflowers (un groupe anglais, pas celui créé plus tard du fils de Dylan).
Pour le coup, c'est un disque vraiment obscur, mais je le connais bien car j'en ai acheté un exemplaire dans la cave du Record and Tape Exchange à Londres quelques temps après sa sortie en 1986. C'est un disque qui a dû être très peu acheté chez les disquaires. Mon exemplaire avait été envoyé par une boite de promotion (qui a apposé son étiquette au verso de la pochette) à un professionnel quelconque, qui s'en est vite débarrassé. Chez Record and Tape Exchange, ils en demandaient initialement 1,40 £ mais, comme ils n'ont pas trouvé preneur, le prix a baissé en cinq étapes jusque 10 pence. A ce moment là, le disque était à la cave, dernière étape avant la poubelle. C'est là que je suis passé lors d'un de mes séjours à Londres et que je l'ai sauvé, sans connaître le groupe mais en me disant qu'à ce prix-là je pouvais tenter le coup sans grand risque.
Et il se trouve que j'ai toujours bien aimé Blushing girl nervous smile, la face A du disque, au point de l'avoir programmé dans l'une de mes émissions sur Radio Primitive. Guitare "jangle", gros son de basse, chant un peu enrhumé, refrain accrocheur, tout autant que les parties de guitare qui suivent. Tout à fait de son temps, mais tout fait méritoire également. Il y a plein de chansons moins bonnes qui ont fait des tubes à l'époque, et c'est justement ce que pensait Michael Hann du Guardian qui, dans un article de 2012, expliquait que ce groupe de sa ville de Slough fait partie de ceux dont on est persuadé qu'il va réussir mais qui n'y parvient finalement pas.
Et pourtant, The Wallflowers ont eu de bonnes opportunités, comme l'indique leur biographie. C'est Peter d Brickley qui a fondé ce groupe après avoir joué avec The Telephone Boxes, qui avaient fait la première partie des Smiths lors de leur toute première tournée. Blushing girl nervous smile, leur premier single, est sorti sur un label indépendant, mais Brickley avait signé un contrat d'édition avec Warner Chappell. En 1987, le deuxième single, Thank you, a été produit par rien moins qu'Andy Partridge d'XTC et il y a eu un troisième single, 83.7 °. Un album, Love peace and pugwash, a été enregistré à cette époque, mais il est resté dans les tiroirs jusqu'à ce que le groupe le diffuse en 2012.
On trouve trois titres sur la face B, et ça commence par Blushing girl, une version différente du titre de la face A, sans le sourire nerveux, qui se trouve là peut-être parce Peter Brickley a apparemment toujours trouvé l'autre trop produite. Mais je ne vois pas trop l'intérêt car les différences entre les deux ne sont pas flagrantes. En tout cas, cette version va rester "collector" car elle n'est pas reprise sur la réédition.
Vient ensuite Caution to the wind, un autre titre dans la veine indie-pop, moins remarquable mais plutôt correct. Par contre, je ne sais pas si c'est moi mais j'ai bien l'impression qu'il y a un gros problème de chant sur le dernier titre, A great big river, surtout au début, au point que ça sonne comme une démo mal dégrossie et que c'est pénible à écouter.
The Wallflowers, un groupe parfaitement obscur, donc, c'est pourquoi j'ai été surpris de constater après l'annonce de la réédition que, chez Discogs l'édition originale de ce single se négocie autour de 60 €. Tous mes disques ne voient pas leur valeur multipliée par 500 en 30 ans, sinon je serais peut-être riche, si l'envie me prenait de les vendre...

La réédition en 45 tours limitée à 350 exemplaires de trois titres de ce maxi est annoncée par Optic Nerve pour le 29 mars 2019. Les commandes sont ouvertes.

07 octobre 2018

FOLKLORE TAÏTIEN


Offert par Philippe R. à Nantes le 14 août 2018
Réf : MA 101 à MA 106 -- Édité par Mareva en France en 1949
Support : 6 x 78 tours 25 cm
15 titres

Il y a quelques années, Philippe était sur une broc à Nantes, où quelqu'un venait de déballer des caisses de disques visiblement très intéressantes puisque tous les habituels requins locaux s'affairaient fiévreusement autour.
Philippe les a laissés se battre pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du rock années 1960 susceptible de se revendre avant de s'approcher de la caisse enfin libre, par acquît de conscience, en pensant n'y trouver que de la drouille. Et il en a tiré cette pépite, superbement ignorée par les pros du disque.
Il s'agit d'un album, au sens propre du terme, c'est à dire une reliure qui contient six 78 tours enregistrés à la toute fin des années 1940 à Tahiti et plus largement en Océanie française.
Comme Philippe n'a pas chez lui de quoi écouter ces disques, et comme il savait que j'aime beaucoup cette musique, il m'a fait cadeau cet été de ce superbe objet, un trésor patenté puisque l'exemplaire conservé à la bibliothèque de l'Université de la Polynésie française vaut à cet album d'être recensé parmi les Trésors des bibliothèques de l'enseignement supérieur.
Nous devons Folklore taïtien (orthographié Folklore tahitien sur la tranche) à Adolphe Sylvain et Marc Darnois, qui ont collecté ces enregistrements sur les différentes îles de l'Océanie et les ont publiés sur leur label Disques Mareva, une maison qui n'a pas dû exister longtemps mais qui a dû ouvrir la voix pour le Tiare Tahiti du fameux Gaston Guilbert.
Je ne connaissais pas Marc Darnois, mais Sylvain, si. Il est surtout réputé pour ses photographies, qu'on a retrouvé sur des posters dans toutes les années 1970, mais aussi et surtout sur un bon paquet de pochettes de disques. Dans un reportage de Dominique Charnay publié initialement en 1981 dans la revue Le photographe, on découvre le détail de son parcours, qui commence avec la guerre, comme conducteur de char de la 2e D.B., avec déjà son Rolleiflex sur la poitrine. Pour la 2e D.B., la guerre ne s'est pas arrêtée avec l'Armistice de mai 1945. Elle s'est poursuivie en Indochine jusqu'à sa dissolution le 31 mars 1946.
C'est à son retour sur l'aviso Lagrandière que Sylvain a fait étape à Tahiti, en octobre 1946. Il y est resté 35 ans, après un double coup de foudre, pour le pays et pour la femme qu'il épousera.
L'album est introduit par quelques lignes signées du Docteur P. Cassiau. Je n'ai trouvé aucune information biographique sur lui, mais il est assez important à Tahiti pour que son nom ait été donné à une rue de Papeete.
Voici des extraits de son introduction : "Ces disques ne sont pas "commerciaux" mais ils ont le grand mérite d'être "vrais". Sylvain et Darnois n'ont pas adopté la solution facile qui consiste à grouper des éléments de passage et les enregistrer en "arrangeant" les airs. Ces deux artistes sont allés avec leur micro dans chaque île de notre Océanie Française pour "recueillir" dans une ambiance vraie, dans leur cadre familier, au milieu de fêtes traditionnelles les meilleures, les plus diverses musiques. (...) C'est un album à acheter et à conserver soigneusement dans sa discothèque. Plus tard, c'est avec mélancolie que nous ferons chanter ces cires en pensant au temps où  Tahiti était encore Tahiti."
Plus tard, c'est par exemple maintenant, et ce sont bien ces cires originales qu'il faut faire chanter (ou en écouter leur copie MP3) car je crois que ces enregistrements n'ont jamais été réédités depuis. Il s'agit effectivement de collecte, pas d'enregistrements "commerciaux", mais ces titres, pour une bonne partie, auraient pu sortir tels quels chez Gaston Guilbert ou Yves Roché.
Des titres, il y en 15 sur 12 faces, avec un procédé technique particulier pour les séparer l'un de l'autre quand il y en a plusieurs par face : entre deux titres, il y a un sillon sans fin, comme celui qui se trouve habituellement en fin de face. Du coup, il faut soulever le bras de lecture pour passer au titre suivant. Je ne crois pas avoir déjà rencontré ça. Ce n'est peut-être pas très pratique pour l'auditeur, mais c'est simple et efficace pour vraiment diviser des faces, et je suis surpris que ce procédé n'ait pas été employé plus souvent.
L'ensemble s'appelle Folklore taïtien, mais il n'y a en fait qu'un seul titre enregistré à Tahiti même, le très bon Tahiti nui. Pour le reste, ce sont dans l'ensemble les chansons de l'archipel des Tuamotu qui me plaisent le plus, notamment Pico pico (la chanson commence à 1'22 sur le MP3), l'une des deux seules pour lesquelles une artiste est créditée, Erena. Il y a aussi Tangi tika, Ana e, Tamure, Te matangi et Te manu, le "chant des amoureux regagnant leurs cases à l'heure où les coqs chantent", qui m'a évoqué le blues à la première écoute.
Pour le reste, il y a notamment deux chants d'adieu Himene tarava différents et mon préféré est celui de Tubuai.
Merci donc à Philippe, qui avec ce trésor m'a permis de faire un beau voyage, dans le temps, dans la musique et dans l'histoire de l'enregistrement sonore.

L'intégralité de l'album Folklore taïtien est disponible en MP3 sur Ana'ite, la bibliothèque numérique scientifique polynésienne.