08 janvier 2023

TROUBLEMAKERS


Offert par Fabienne M. à Mareuil sur Ay en décembre 2022
Réf : PRO-A-857 -- Édité par Warner Bros. aux États-Unis en 1980
Support : 2 x 33 tours 30 cm
24 titres

En décembre, quelqu'un a diffusé sur Twitter la copie d'un article de 1997 de Record Collector sur Jonathan Richman. Je l'ai téléchargé, je l'ai lu, et j'ai été surpris d'y apprendre qu'I'm Straight, l'une des chansons des Modern Lovers première période, a été publiée officiellement pour la première fois en 1980 sur une compilation américaine de Warner, Troublemakers (en fait, cette information est assez connue, reprise dans pas mal d'endroits, mais soit je n'y avais jamais prêté attention, soit je l'avais oubliée).
J'ai une histoire un peu particulière avec I'm straight, car on trouve cette chanson sur certaines rééditions de The Modern Lovers, mais pas sur mon édition originale anglaise, et on la trouve aussi sur certaines éditions de The original Modern Lovers, mais pas sur mon exemplaire français. En fait, il a fallu attendre 1992 et la réédition CD Rev-Ola de The Modern Lovers (pour laquelle j'ai écrit des notes de pochette) pour qu'I'm straight atterrisse dans ma discothèque.
En tout cas, cette information m'a incité à aller me renseigner sur Troublemakers, et ce que j'ai découvert m'a donné envie de me faire offrir ce double album, d'autant qu'un exemplaire à prix correct était proposé à la vente par un français sur Discogs.

Troublemakers est le tout dernier volume paru de la série de compilations Loss leaders de Warner, qui avait démarré en 1969. Le concept était un peu particulier, il s'agissait de compilations-catalogues de Warner et ses labels affiliés (Reprise et Island, notamment), vendues uniquement par correspondance, à un prix très bas (2 $ le double album dans les années 1970). Cela était rendu possible en réduisant les coûts, y compris sur les droits versés aux artistes. La publicité pour ces parutions était faite sur les pochettes intérieures d'albums Warner ou dans des publicités dans la presse.
Pour la plupart des volumes parus, l'effet catalogue joue à plein, et les disques sont juste des pot-pourris de nouveautés, avec Captain Beefheart et James Taylor sur le même disque, par exemple. Mais l'un des intérêts de Troublemakers, c'est son unité thématique : elle est parue en 1980 et, clairement, l'objectif à cette occasion était de se concentrer sur des artistes associés à la New Wave, américains et anglais (La pochette avec son graphisme et le style des mannequins le confirme). Un autre intérêt est que la sélection des titres et excellente et que, comme c'était la tradition pour la plupart des Loss leaders, elle comporte quelques titres précédemment inédits, comme ceux des Modern Lovers, et d'autres rares aux États-Unis).

On va d'ailleurs commencer par s'intéresser aux cinq titres inédits (à l'époque) que contient Troublemakers.

Pour les Modern Lovers, je ne vais pas refaire toute l'histoire ici, mais la particularité c'est que Warner a signé le groupe en 1972, qu'il y a eu plusieurs sessions d'enregistrement avec John Cale ou Kim Fowley comme producteur, mais que Warner a fini par renoncer fin 1973, et le groupe s'est séparé, principalement parce que Jonathan Richman voulait changer de direction musicale.
Après ça, Beserkley Records a racheté les bandes à Warner et a sorti en 1976 The Modern Lovers, une compilation de neuf titres. Un des rares cas où une simple compilation d'inédits est désormais considérée comme un album important et "classique" du rock. Au moins trois autres titres de cette époque sont souvent ajoutés aux rééditions, I'm straight, Government center et Dignified and old.
Pour Troublemakers, je ne pense pas que, après avoir financé les enregistrements originaux avant de les céder à Beserkley, Warner a re-payé pour les utiliser ici, mais en tout cas I'm straight et Government center sont publiés "avec l'autorisation de Berserkley".

I'm straight est une chanson très particulière. Musicalement, rien d'exceptionnel. Je trouve qu'on est sur un rythme et dans un style pas si éloigné que ça de Hoochie coochie man/I'm a man/Mannish boy (sachant que Jonathan Richman a fait sur scène en 1983 une adaptation comique de ces classiques, I'm a jerk)
Côté paroles, la thématique est originale...! Voilà la situation : Jonathan a vu sur le campus une étudiante accompagné de son petit copain, un hippie (nommé Johnny ou Ernie selon les versions). Il trouve que ce n'est pas un gars bien pour elle, alors il lui téléphone pour lui expliquer tout simplement que le hippie est toujours dans les vapes alors que lui Jonathan a l'esprit clair et qu'il veut prendre sa place. Comme méthode de drague, on a vu moins lourdingue !
La version d'I'm straight qu'on trouve ici (et sur les rééditions de The Modern Lovers) est ma préférée. Il est indiqué que Kim Fowley est le producteur. Si c'est exact, alors, même si ce n'est pas ce que disent les quelques sources disponibles, j'avancerais que cette version date des démos enregistrées en juin 1972. En effet, il existe aussi une autre version studio d'I'm straight, également produite par Kim Fowley, celle qu'on trouve sur certaines éditions de The original Modern lovers. Ce qui me fait dire que cette autre version est la plus tardive (datant des sessions de l'automne 1973), ce sont les paroles modifiées, qui, montrent que Jonathan ne croit plus lui-même à sa chanson et qu'il hésite à la chanter. Le hippie n'est même plus présent dans cette version.
Pour information, il existe aussi deux versions live d'I'm straight publiées officiellement au fil des années. Là aussi, ça se mélange dans tous les sens entre les différentes éditions, mais la version de Live at the Longbranch and more, qui commence directement par "I called this number") est excellente, et même violente quand Jonathan s'énerve contre Hippie Ernie  : "His Woodstock brain, and his acid face. Yeah You walked by the computer centre with spineless Ernie, I telephoned to say, I could easily take his place. He's a hippie, Hippie Ernie. I'm straight and I want to take his place. Hey where's his backbone ? Hippie Ernie,  huh ? I'm tryin to make mine straight". On a rarement vu Jonathan Richman aussi agressif...!
La version de Precise Modern Lovers order est plus longue, plus lente aussi peut-être, et elle est un peu inférieure.

Pour Governement center, c'est un peu plus simple. Elle est apparue tardivement dans le répertoire des Modern Lovers première version et n'a été enregistrée qu'une fois, par Kim Fowley à l'automne 1973. C'est l'excellente version qu'on trouve ici. Mais cette chanson fait aussi partie des quatre première officiellement publiées par Jonathan Richman & the Modern Lovers, en 1975, sur la compilation Beserkley chartbusters volume 1. Il manque l'orgue de Jerry Harrison à cette deuxième version, plus acoustique, mais elle est tout aussi excellente et cette ode aux secrétaires de la cité administrative de Boston est de toute façon un grand moment de rock and roll.

On a aussi droit à deux documents précédemment inédits de rien moins que les Sex Pistols ! Il s'agit d'une première publication officielle, mais ces titres ont dû être piratés dès le lendemain de leur enregistrement : il s'agit d'Anarchy in the USA, le dernier titre joué leur de leur ultime concert le 14 janvier 1978 au Winterland de San Francisco, et de No fun, le seul rappel qui l'a suivi. Le son est pourri, c'est assez pathétique, mais c'est un document, qui se conclut par le fameux "Ever get the feeling you've been cheated ?" de Johnny Rotten.

J'ai été déçu par le dernier inédit, issu des sessions de l'album de 1972 The academy in peril de John Cale. Il s'avère que Temper est un instrumental (dont le titre fait référence au clavier tempéré ?), assez ennuyant pour moi. Il n'empêche, sa seule autre publication officielle semble être sur la compilation de 1994 Seducing down the door

Ce qui est étonnant, c'est qu'il y a très peu de titres faibles sur les 24 de ce double album et que la plupart des sélections correspondent parfaitement à mes goûts (sachant qu'il y a quelques classiques dans le lot).

Parmi ceux qui étaient rares aux États-Unis, il y a Social fools de Devo, dans sa version produite par Brian Eno lors des sessions de l'album Are we not men ? We are Devo !. Elle n'était sortie qu'en Europe, en face B du 45 tours Come back Jonee.
Et puis aussi, on retrouve John Lydon avec Public Image de Public Image, inédit aux USA car Warner n'avait pas voulu sortir le premier album, jugé non commercial. Et comme, les groupes ont souvent droit à deux titres ici, il y a en plus Swan lake, de The metal box, ou plutôt Second edition aux États-Unis.

Pour Urban Verbs, on a droit à ma chanson préférée du groupe, Subways, et à The only one of you,  que j'avais oubliée mais qui est très bien aussi. Il faudra que je réécoute leurs deux albums. Le grand malheur d'Urban Verbs, c'est qu'ils sont arrivés sur la scène après Talking Heads et qu'ils n'ont pas su s'en démarquer.
Difficile de choisir seulement deux titres à extraire d'Entertainment ! de Gang of Four, mais bon, Damaged goods et Anthrax, c'est parfait. Et idem avec 154 de Wire : moi-même, j'aurais probablement aussi proposé Map ref. 41ºN 93ºW et I should have known better.
Et ça continue avec The Buggles et leurs deux excellents singles Video killed the radio star et Clean clean et Marianne Faithfull avec le morceau-titre de l'album Broken English et la reprise de Lennon Working class hero.
Je ne suis pas un grand fan de Nico en solo et je me demande bien pourquoi les compilateurs sont allés repêcher My only child sur son album Desert shore de 1970, mais j'ai été surpris d'apprécier cette chanson, surtout grâce à la présence de chœurs.

Au bout du compte, il y a sur cette double compilation très peu de chansons que je ne connaissais pas du tout.
Parmi les bonnes découvertes, il y a Nervous breakdown de Brian Briggs, une reprise d'Eddie Cochran un peu à la manière d'Alan Vega. Sous son nom John Holbrook, il a été une figure importante (ingénieur du son, producteur...) des studios Bearsville aux États-Unis.
On a droit aux deux faces du deuxième single de Pearl Harbor and the Explosions et, autant je n'ai pas particulièrement accroché à la face A, You got it (Release it), autant j'ai apprécié la face B, Busy little B side, qui est exactement ce que son titre décrit.
Sachant que le groupe comptait à certains moments un ou deux ex-Modern Lovers, j'avais déjà écouté des titres de Robin Lane & the Chartbusters, mais j'avais été déçu. Ca se confirme ici avec les deux extraits du premier album, Don't wait till tomorrow et Kathy Lee, que j'ai trouvés très quelconques.

Troublemakers est donc un très beau chant du cygne pour la collection Loss leaders. Je connaissais la plupart des titres, mais je n'ai plus souvent l'occasion de me procurer des publications originales des Modern Lovers (étant donné que j'ai la majeure partie de leur discographie...!).



Ses Pistols, Anarchy in the USA et No fun, les deux chansons publiées officiellement pour la première fois sur Troublemakers. Le concert complet est sur YouTube.


Norman Maslov présente sa collection des compilations Loss leaders de Warner/Reprise (Il n'a pas Troublemakers...).


Une publicité pour Troublemakers parue dans Rolling Stone en 1980.

1 commentaire:

Charlie Dontsurf a dit…

Des notes de pochette pour une réédition du "premier" Modern Lovers. Quelle classe ce Dodu !