Acquis je ne sais plus trop où ni comment ni quand mais pas au prix fort - Peut-être bien quand même chez Gilda à Paris
Réf : 423453 -- Édité par New Rose en France en 1993
Support : CD 12 cm
Titres : Hallelujah Europa (LP mix) -- Hallelujah Europa (African mix) -- You will always find me in the kitchen at parties (Chill down mix) -- Hallelujah Europa (Political mix)
J'avais déjà sorti ce disque pour le chroniquer quand est arrivée l'annonce d'un nouvel album de Jona Lewie. Ostensiblement, il s'agit de marquer un demi-siècle de carrière discographique du sieur John Lewis, né en 1947. Son premier disque avec Brett Marvin and the Thunderbolts date de 1970, son tube Seaside shuffle avec Terry Dactyl and the Dinosaurs est sorti pour la première fois en 1971, il faut croire donc que c'est la sortie du premier disque sous le nom de Jona Lewie, Piggy back Sue, qui a été prise comme repère temporel.
Pour ce qui est de l'élasticité du temps, Jona Lewie est un as et cette annonce a été une surprise. En effet, mis à l'abri du besoin grâce aux droits d'auteur de ses tubes du début des années 1980, principalement Stop the cavalry, Jona profite de sa liberté et passe pas mal de temps à jouer de son piano et à bidouiller en studio. Et le temps passe vite : le nouveau Are you free Tuesday ? n'est que son troisième album depuis 1982, et le précédent était sorti il y a plus de trente ans, en 1993 !
Jona Lewie est par ailleurs minutieux et obstiné quand il s'agit de sa musique, comme son ancien patron de label chez Stiff Dave Robinson, le confiait au Guardian en 2015 : Jona est un vieux schnock passionné, attachant et talentueux. Il a des enregistrements plein d'idées et il n'en abandonne jamais aucune. Il m'a récemment fait écouté des idées pour un nouvel album. Je lui ai dit : "Jona, ce sont les mêmes chansons que celles que j'ai refusées il y a 35 ans."
Dans un petit mot glissé au dos de la compilation Gatecrasher en 1980, Jona expliquait qu'il n'est jamais parfaitement content de ce qu'il fait et il s'excusait d'avoir pris plusieurs années pour enregistrer suffisamment pour que cet album sorte.
L'histoire de la chanson qui nous intéresse aujourd'hui, Hallelujah Europa, illustre parfaitement cet aspect de la personnalité de Jona Lewie. Mon disque, un CD single extrait de l'album Optimistic (les deux disques n'ont été publiés qu'en France, en 1993) va nous permettre de retracer les aventures de cette chanson depuis 49 ans. Pas mal, on y est presque, à ce demi-siècle...!
Nous sommes en 1975 et Jona Lewie est signé sur le label Sonet, chez qui il a déjà sorti deux 45 tours. Toujours selon les notes de pochette de Gatecrasher, on apprend que l'hymne composé par Jona Lewie a été refusé par le comité de sélection des chansons pour le concours de l'Eurovision. Quelle erreur ! Jona Lewie y chante pourtant les louanges de cette grande aventure commune, en multipliant, sciemment je pense, les clichés : les tours Eiffel et les tours de Pise, l'herbe verte d'Irlande et la blanche neige de Suisse, les belles filles de Copenhague. Il glisse au passage que "si on l'aime elle ne nous laissera pas tomber" et qu'il croit qu'il commence vraiment à craquer pour elle. Il y avait de quoi rivaliser avec Ding-a-dong et Save your kisses for me, les vainqueurs du concours en 1975 et 1976.
Pour l'occasion, Jona Lewie a enregistré une première version d'Hallelujah Europa, en deux parties. Elle sort de façon confidentielle en 1976 sur un maxi uniquement promotionnel. Après les succès chez Stiff, Sonet l'inclut en 1980 sur la compilation Gatecrasher et la commercialise en single (sorti en Angleterre et en Allemagne).
Pour distinguer cette version, on repérera les percussions vers le début, qui sonnent assez bizarrement indiennes. Il y a aussi des touches d'accordéon, et un pont avec l'exclamation "We don't need a visa", qui rime avec le vers précédent "towers of Pisa". La deuxième partie est en grande partie instrumentale, mais il y a quelques mentions d'autres lieux de l'Europe qui sont ajoutées vers la fin.
Entre les deux publications de la première version, Jona Lewie avait signé chez Stiff fin 1977 et publié son premier album On the other hand there's a fist en 1978. C'est là qu'on trouve la deuxième version d'Hallelujah Europa. Celle-ci se démarque par sa boite à rythmes basique d'orgue automatique, présente tout du long.
Stiff avait prévu de la sortir en single en Angleterre, avec un autre extrait de l'album, Police trap, en face B. Ça ne s'est pas fait, mais ce single a bien été publié en Allemagne, en Espagne, au Portugal et en Australie. La chanson est aussi en face B de God bless whoever made you aux États-Unis. C'est cette version aussi qu'on a retrouvé en 2016 pour en face B de la réédition pour le Record Store Day de You'll always find me in the kitchen at parties.
Comme il l'explique lui-même (dans un article de 2015 où il annonce travailler sur l'album qui vient de sortir...!), Jona Lewie a passé les années 1980 et 1990 à digérer le succès de Stop the cavalry. Il a quand même pendant cette période sorti en 1993 un troisième album, Optimistic, mais ce fut une publication très confidentielle, sortie uniquement en France chez New Rose. Un beau coup pour l'excellent label français, mais pas le meilleur moyen de revenir sur le devant de la scène (ce qui est peut-être justement ce que Jona Lewie voulait éviter...!).
C'est là qu'on peut entendre la troisième version d'Hallelujah Europa. En plus de l'accordéon, on y entend de la cornemuse, de la mandoline et peut-être bien du bouzouki, et même du yodel. Et surtout, il y a sur le refrain ce que cet hymne réclamait depuis le début : une chorale d'enfants élèves de l'école primaire Julian's de Londres.
New Rose a publié ce CD single extrait de l'album et une vidéo a même été tournée (mais je ne peux pas l'intégrer ici, alors il faut suivre ce lien pour la voir).
Deux remixes d'Hallelujah Europa figurent parmi les faces B. On sent que la vague house/dance music était passée par là avec l'African mix par Leigh Gorman (ex-Adam and the Ants et Bow Wow Wow) et Jona Lewie . Il est percussif et principalement instrumental, avec quand même des bouts de voix glissés ça et là, et la cornemuse aussi bien sûr. Le Political mix par Bonus Track (?) garde la trame de la version de l'album et la chorale mais supprime une bonne partie du chant de Jona Lewie.
Le quatrième titre est un remix dance de l'excellent tube You'll always find me in the kitchen at parties par Harri Kakouli, l'ancien bassiste de Squeeze.
J'ai été passablement excité quand j'ai vu qu'on trouvait dans la liste des titres d'Are you free Tuesday ? une chanson intitulée Europa. Quelle coordination ! : Jona sort une quatrième version au moment pile où je m'apprête à chroniquer la troisième, me suis-je dit. Je dois bien avouer que j'ai été un peu déçu : 31 ans après, Jona Lewie a recyclé dans ce "nouvel" album la plupart des meilleures chansons d'Optimistic : Catchy lady, I will take the furniture, but leave you with the French au pair, Feel optimistic guru, et Hallelujah Europa, donc !!
Il y a eu un peu de bidouillage en plus, mais c'est bien le même enregistrement que la troisième version, avec la chorale. Et pareil avec le titre suivant, Travel, qui s'avère être l'African mix. Dave Robinson avait mille fois raison !
J'aime bien la chanson et elle n'a jamais eu le succès qu'elle mérite, mais il y a vraiment une occasion ratée avec cette version 2024. En effet, les précédentes versions sont toujours arrivées à des moments clés de l'histoire mouvementée du Royaume Uni avec l'Europe. Celles des années 1970 sont venues peu de temps après l'adhésion, qui avait fait l'objet de longs débats. En 1993 pour la troisième version, on était juste après l'ère Thatcher et au moment de la difficile ratification du traité de Maastricht. En 2024, le Brexit est une réalité et il faut à nouveau un visa ou presque pour voyager entre le Royaume Uni et l'Union Européenne. C'était l'occasion ou jamais pour Jona Lewie de d'actualiser son hymne pour chanter fort son soutien à une Europe unie.
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