19 août 2022

JUAN MONTEGO AND THE KINGSTON ORCHESTRA : Shame and scandal in the family


Acquis par correspondance via Discogs en août 2022
Réf : 152.040 MCE -- Édité par Mercury en France en 1965
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Shame and scandal in the family -- On the desert road -/- Shaking the blues -- Walking around Trinidad

C'est en rédigeant la chronique du 45 tours de Terry Montana que j'ai découvert que l'auteur de sa (bonne) face B, Charles Talmage alias Jean-Claude Pelletier, était aussi celui de la musique du générique de La séquence du spectateur.
C'est une musique que j'aime beaucoup et que j'apprécie depuis longtemps. Je me souviens que, dans la deuxième moitié des années 1990, les amis de L'Opération Kangourou l'avaient passée lors d'une surprise-partie qu'ils animaient. J'en avais profité pour leur demander la référence de ce morceau et ils m'avaient répondu : On the desert road par Juan Montego.
Je ne sais plus s'ils avaient ce titre sur un 45 tours ou une compilation, mais en tout cas j'ai été attentif toutes ces années et je ne suis jamais tombé dessus. Cette fois, j'ai pris le taureau par les cornes et j'ai directement commandé ce disque, qui est sauf erreur de ma part celui qui correspond à la publication originale de la musique qui a été ensuite été utilisée pour le fameux générique.

Le titre principal de cet EP est une reprise de Shame and scandal in the family. Cette chanson a une histoire intéressante et complexe.
Elle a été créée par Sir Lancelot en 1943 sous le titre Fort Holland calypso song pour le film Vaudou (I walked with a zombie) de Jacques Tourneur. L'apparition de Sir Lancelot dans le film est marquante :



Sir Lancelot a ensuite publié en 78 tours vers 1944 une version orchestrée de la chanson sous le titre Shame and scandal. Cette chanson a eu du succès et a été reprise par d'autres artistes, mais tout a pris une autre dimension en 1962 quand Lord Melody l'a adaptée sous le titre Wau, wau (parfois orthographié Waa waa). En effet, c'est lui qui a changé les paroles des couplets et introduit ce qui fait une bonne partie du sel de la chanson, l'histoire du gars qui veut se marier, à qui le père répond à chaque fois que ce n'est pas possible car "cette fille est ta sœur et ta mère ne l'sait pas", jusqu'à la chute, quand la mère le rassure en lui expliquant que "ton père n'est pas ton père et ton père ne le sait pas" !

Je n'en suis pas certain, mais je pense que c'est la version de Scandal in the family enregistrée par Shawn Elliott en 1964 qui a fait de cette chanson un tube énorme en France en 1965. Vogue l'a sortie en EP (avec deux chansons de Derek Martin sur la face B) et a même réussi à en tirer un album à partir des quatre titres du EP complétés par d'autres artistes à leur catalogue. Cette version a dû avoir du succès, puisqu'un scopitone a même été tourné à Paris.
Sur l'album, on trouve la mention "Le vrai... Le seul... L'original". Certainement pas la seule, certainement pas l'originale si on pense à Sir Lancelot et Lord Melody, mais effectivement la vraie version de Shawn Elliott !
En tout cas, une fois la chanson adaptée en français par Maurice Tézé, c'est une véritable marée de versions de Scandale dans la famille qui a déferlé sur la France, à commencer probablement par Sacha Distel, collaborateur attitré de Tézé. Les Surfs et Dalida ont aussi eu du succès avec ce titre. Et il  existe des enregistrements par une brochette d'autres artistes déjà chroniqués ici : Aimable, André Verchuren, Gérard La Viny, Jacky Noguez et Georges Jouvin !


La couverture d'une partition de 1965 pour Scandale dans la famille.

Je pense que la seule raison d'être du 45 tours qui nous intéresse aujourd'hui, c'est la volonté de Mercury de capter une part du gâteau du succès de Scandale dans la famille.
Côté versions chantées en français, le marché était saturé. Idem pour les interprétations instrumentales. Alors Mercury s'est rabattu sur une version en anglais, en tentant de mettre toutes les chances de son côté. Toutes, sauf peut-être l'illustration de pochette : si quelqu'un trouve un rapport entre cette jeune femme qui tient des gélatines (qui servaient à colorer les projecteurs) et la chanson principale, merci de me le dire. J'ai eu beau me creuser, je n'en ai trouvé aucun !
Pour le reste, ils ont mis le paquet. Bandeau bien lisible "Original from Trinidad" tout en haut, alors que le disque ne contient rien d'original et qu'il est produit à Paris, pas à La Trinité, où la chanson est née et où se passe son action.
Ensuite, c'est le titre de la chanson qui est mis en valeur en très gros, avec une typographie travaillée.
Le nom de l'artiste n’apparaît qu'en petit en bas à droite, presque comme une arrière-pensée. Il faut dire qu'il est complètement bidon. Puisqu'il s'agit de musique un peu latino-exotique, l'artiste est nommé Juan Montego (alors qu'il s'agit de Jean-Claude Pelletier/Charles Talmage) tandis que l'orchestre est censé venir de Kingston. Certes Kingston est situé dans les Caraïbes, mais à la Jamaïque, soit à 2000 km environ de la Trinité, mais c'est un détail ! Notons que, au moins, cette erreur n'est pas répétée sur le seul autre 45 tours de Juan Montego, qui est soi-disant "En direct de Cuba", avec un orchestre baptisé The Sound of Habana.

Pour ce qui est de Shame and scandal in the family par Juan Montego, il n'y a pas à chercher loin pour trouver l'inspiration pour sa production et ses arrangements : c'est un décalque très fidèle du disque de Shawn Elliott. Avec un bon point : le chanteur inconnu s'en sort très bien, notamment du point de vue de l'accent anglais, et mimique parfaitement Elliott.
Mission accomplie donc, mais ensuite il fallait bien trouver de quoi remplir les quatre titres du EP. Plutôt que de se lancer dans d'autres reprises du moment, c'est Charles Talmage qui s'y est collé pour créer trois compositions instrumentales "originales".
Les quatre titres du disque sont présentés comme étant dans le style "Typical shake". J'ai cherché, mais je ne sais pas d'où vient cette expression. Je l'ai juste trouvée comme titre d'un morceau et comme style musical sur des disques sortis postérieurement par le Typical Trinidad Orchestra. On serait plutôt attendu à voir la mention calypso ou cha cha cha.
En tout état de cause, quand l'enchaînement se fait sur le disque entre Shame and scandal in the family et On the desert road, on est prévenu, on s'attend à quelque chose dans le même style, mais ce qui saute aux oreilles dans ce contexte, c'est que l'instrumental de Charles Talmage est un décalage très léger de la composition précédente. La construction musicale est similaire et les ingrédients musicaux sont les mêmes (percussions, basse en avant, guitare rythmique en contre-temps à la jamaïcaine, orgue, cuivres), sauf qu'ils arrivent un peu dans le désordre. On a presque l'impression d'entendre une version instrumentale de Shame and scandal in the family. Écoutés séparément, je n'aurais sûrement jamais pensé à faire le rapprochement, mais là c'est flagrant. Et c'est aussi excellent !
La même recette est strictement appliquée pour les deux titres de la face B, Shaking the blues et Walking around Trinidad. Quand Shaking the blues démarre, on a même l'impression que c'est la suite d'On the desert road, mais après ça prend plus une couleur de musique de film.
Pour le coup, la parenté est évidente entre ces trois instrumentaux et Just a little talk with you, la face B du 45 tours de Terry Montana, elle aussi créditée à Charles Talmage.

Pour ce qui est de l'utilisation d'On the desert road comme musique du générique de La séquence du spectateur, on trouve un peu partout, à commencer par chez la Bibliothèque Nationale de France et chez Wikipedia, une information erronée comme quoi ce titre aurait été composé en 1953. Non. Jusqu'à preuve du contraire, la première parution de ce titre est sur ce 45 tours de 1965, et on a vu qu'il a été spécifiquement composé à la manière de Scandale dans la famille. 1953, c'est la date de lancement de La séquence du spectateur et, comme Wikipedia l'indique pour le coup, à cette époque la musique du générique était différente (selon les sources, c'était soit La ronde de l'amour d'Oscar Straus, du film La ronde de Max Ophuls, soit la Carousel waltz de Rodgers et Hammerstein, du film Carousel).
Ce qui est sûr en tout cas, c'est que, en 1965 ou quelques temps plus tard, quelqu'un a eu l'excellente idée de prendre les 32 premières secondes d'On the desert road pour sonoriser le générique de l'émission. Un grand coup. Et ce qui ne laisse pas de m'étonner, c'est que personne à l'époque chez Mercury n'ait eu l'idée de ressortir ce 45 tours de Juan Montego avec une nouvelle pochette mettant en avant La séquence du spectateur. Il se serait vendu comme des petits pains et on le trouverait encore aujourd'hui sur la plupart des vide-grenier !

Pour ma part, je suis très content de cet achat. un bon disque qui m'a permis de me plonger dans deux histoires musicales, celle de Scandale dans la famille et celle de La séquence du spectateur.



Deux versions, l'une des années 1960, l'autre des années 1970, du générique de La séquence du spectateur avec On the desert road comme musique.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

a mon avis et de mémoire (donc sujet à caution) c'est la version sacha qui a été le raz de marée en france. La VO a peut etre^bien marché en boite mais question radio télé pas question de laisser la place à quelqu'un qui n'était pas français. Sacha le playboy, le gendre idéal, le français idéal question classe fr! Mais tout passe tout lasse tout casse dirait notre poète national jojo H. Le morceau est drôle et traverse bien le temps qt au générique de la séquence c'était un coup de maitre. ph

Anonyme a dit…

Bonjour Pol,
J’ai bien aimé ton billet sur le Scandale et la Séquence fait avec rigueur mais qui se boit comme du p’tit lait. Pareil, je ne connais pas le Typical Shake par contre le Shake a été lancé par Danyel Gérard suite à son adaptation de The Shake/The Swim des Standells. La version du Scandale par Roland Vincent est classée, elle, en Baïon-rock…?
Il existe une autre adaptation française par le Franco-Belge Éric Genty (Le scandale dans la famille), celui qui sous le nom de Guy de Paris a écrit La danse des canards dont l’origine est aussi alambiquée que Scandal.
Phil Il.

Pol Dodu a dit…

Salut Phil II,
Merci pour tes infos.
Figure toi que j'ai chroniqué ici en 2014 la reprise des Standells par Danyel, mais que j'avais depuis oublié ce lien improbable entre les deux.
Attention, c'est risqué de me lancer sur "La danse des canards". Je ne suis pas spécialiste de cette chanson, mais ça pourrait me donner l'idée de sortir l'un des 45 tours que je possède avec cette chanson pour me cultiver un peu...

Anonyme a dit…

J’ai cliqué sur ‘ici’ pour lire l’article sur Danyel Gérard et sa reprise des Standells, très intéressant comme souvent. Un YouTubeur pense à tort sous le Scopitone de D’accord, d’accord que c’est une adaptation de Oh, boy! de Buddy Holly. Mais comment lui en vouloir, Larry Tamblyn a dû s’en inspirer volontairement ou pas pour écrire The Shake. Enfin, on peut conseiller aux cinéphiles de visionner Mystère sur la falaise/The Chalk Garden avec Déborah Kerr que l’on entr’aperçoit à l’affiche du cinéma Monte-Carlo dans le clip de Danyel. Un chef d’œuvre !
Phil Il.