19 septembre 2021

TON PAT' : Memwar lamizik seselwa


Acquis par correspondance via Amazon en août 2021
Réf : TAKA 1017 -- Édité par Takamba en France en 2010
Support : CD + DVD 12 cm
17 + 3 titres

C'est Sing Sing d'Arlt qui a fait de la retape il y a quelques mois pour la chanson Je suis seul dans la vie de Ton Pat'. Visiblement, je n'ai pas été le seul à être touché au cœur.
Et touché, je l'ai été : cette chanson s'est aussitôt retrouvée est en conclusion de l'une de mes dernières compilations, Je demande ma démission.
Je suis seul dans la vie, c'est un gars seul à la guitare qui chante, et c'est déchirant. Je vois mal comment définir ça autrement que du blues à l'état pur, à se pendre :

"Je suis seul dans la vie, je suis triste dans la vie
Et je n'avais pas personne pour me consoler
Les oiseaux sur les branches qui voient tous mes martyrs
Ils vont pleurer pour moi au ciel tout près de Dieu
Au fond de mon cercueil mon martyr sera fini
Car je n'avais pas personne pour fermer ma paupière"

J'ai voulu en savoir plus et je me suis procuré l'album sur lequel cette chanson a été publiée, Memwar lamizik seselwa (Mémoire de la musique seychelloise). Je me demandais si j'y trouverais un autre titre de cet acabit, et, de façon presque étonnante, tellement Je suis seul dans la vie est exceptionnel, j'en ai trouvé un, Ma position (les deux titres sont enchaînés en fin d'album), et il y est justement question de se pendre :

"Si pour toujours je dois vivre avec elle
Je voulais dire je préférais mourir
Je peux vous dire que ma femme est à peine
Ah croyez moi que je suis mal marié
Ah mes amis que mon sort est en peine
J'aurais mieux fait de me pendre au plancher"

Les notes de pochette nous expliquent que ces deux chansons sont des romances : "Les romances que l'on retrouve aux Seychelles sont en français car elles représentent l'héritage laissé par l'ancienne population coloniale émigrée de France dans les îles de l'Océan Indien. (...) La transmission orale sur plusieurs générations nous permet également de comprendre que ces chants ont été créolisés depuis leurs origines."

Ces chansons sont les deux seules romances du disque, et heureusement le reste de l'album contient aussi des chansons légères, rythmées et pleines de joie de vivre.
Le contexte de production de l'album est un peu particulier, et je reproduis intégralement l'introduction du livret qui l'explique bien :
"Ce coffret, fruit d’un collectage de terrain qui s’est déroulé en janvier 2009, se veut être un travail de mémoire consacré aux traditions musicales des Seychelles, et plus précisément de l’île Mahé, à travers le savoir reconnu de Patrick Prospère, surnommé Ton Pat’. Multi-instrumentiste, auteur compositeur et interprète, cette mémoire vivante est aujourd’hui l’un des derniers musiciens et facteurs d’instruments de son île, porteur d’un savoir musical ancestral. Il nous fait part de sa culture à travers l’enregistrement de ses compositions et d’airs traditionnels, mais aussi d’entretiens qui font notamment l’objet d’un DVD, principalement consacré à la facture instrumentale traditionnelle et aux techniques de jeu d’instruments en voie de disparition."

"Collectage de terrain", ça peut rebuter, mais même si ces enregistrements ont été réalisés dans un but d'ethnomusicologie, ils auraient très bien pu figurer dans un contexte différent au catalogue de tout autre label.
Quelques titres sont en solo, mais la plupart sont enregistrés en groupe, avec des élèves des cours que Patrick Prospère donnait à l'école de musique de Victoria, la capitale des Seychelles, et avec Donadieu Thomas, percussionniste réunionnais et également enseignant.

Les arrangements sont légers, la production claire, et on prend plein de plaisir à l'écoute des ségas comme Mammazel sol séga, au rythme plutôt lent, dominé par le violon Sujatha Chettia, Fer le trou babilon et Fayda séga bonm, qui tous les deux me rappellent Ti Frère, celui par qui j'ai découvert le séga en 2009.
Il y a de plusieurs autres titres avec du violon, et j'ai particulièrement apprécié Zépol en Malen.
En-dehors des ségas, j'aime beaucoup les "tinge" (chants accompagnant des combats dansés), où le chœur des élèves des élèves accompagne Ton Pat' : Kapten du port, Moulayla et Don wa mon fizi.
Parmi mes autres titres préférés, il y a Kok tya pe sante, avec un air qui me semble connu par ailleurs, et Dalambwe, joué avec un arc en terre makalapo, du type de celui dont Ton Pat' explique la fabrication et la technique de jeu sur le DVD.

Patrick Prospère est mort en février 2016 à presque 70 ans. Avec ce document, il nous laisse une chanson exceptionnelle et un album excellent dans son ensemble.

L'album est en écoute sur la plupart des plate-formes en ligne. On le retrouve en widgets sur cette page, ainsi que quelques photos de Ton Pat".

Je m'en suis aperçu trop tard, mais Memwar lamizik seselwa est toujours en vente sur le site du Pôle Régional des Musiques Actuelles de La Réunion, créateur du label Takamba.

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