10 août 2025

EDDY MITCHELL : Chacun pour soi



Acquis d'occasion dans la Marne probablement entre 2000 et 2011
Acquis chez Damien R. à Avenay Val d'Or le 29 avril 2024
Réf : 71185 -- Édité par Barclay en France en 1967
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Chacun pour soi -- Au-delà de mes rêves -/- Alice -- Mes promesses

Après avoir acheté un exemplaire de ce disque à Damien l'an dernier, j'ai découvert en le rangeant que j'en avais déjà un autre. Pour une fois, j'ai une bonne excuse pour ce doublon : les deux rectos de pochette sont complètement différents, même s'ils ont pour point commun d'avoir une photo de Jean-Pierre Leloir.
Difficile de savoir quelle pochette a remplacé l'autre (le verso et le disque lui-même sont identiques pour les deux éditions), mais il me semblerait logique chronologiquement que la première soit celle avec la photo de groupe. Lettrage au goût du jour de 1967, photo orangée mais sombre, titres des chansons peu visibles. Franchement, ce n'est pas une réussite.
Par contraste, la photo d'Eddy Mitchell devant l'avion de la TWA, et le reste de la maquette "claquent" bien et la pochette remplit parfaitement son rôle, qui est d'attirer le client et de faire vendre le disque, tout en donnant bien le contexte, puisque la photo montre Eddy à l'atterrissage aux États-Unis, là où ont été enregistrés les quatre titres de cet EP.

J'ai connu Eddy Mitchell quelques années plus tard, dans les années 1970. Il faisait partie des gens qu'on voyait régulièrement dans les émissions de variétés du samedi, et il avait des tubes : Pas de boogie woogie, C'est la vie, mon chéri, Sur la route de Memphis... On avait même à la maison le 45 tours C'est un rocker / Bye bye Johnny B. Goode, c'est à dire deux adaptations de Chuck Berry. C'est sans doute celui-ci que j'aurais chroniqué en premier si j'avais conservé l'exemplaire familial, ou si j'en avais racheté un depuis.
Cela fait un moment que je picore ici ou là certains des EP de Monsieur Eddy, mais j'y fait plus attention depuis que j'ai été accroché par la reprise de sa Société anonyme par les Ready-Mades.

Ce qui est certain, c'est qu'Eddy Mitchell est un grand fan de musique. Je pense que, s'il s'est lancé en 1964 pour Barclay dans la collection Eddy Mitchell présente les rois du rock, c'est plus pour faire partager sa passion que par intérêt commercial.
Pour sa carrière solo, il s'est rendu à Londres dès 1963 pour enregistrer le London All Star, un conglomérat de pointures de studio, de Big Jim Sullivan à Vic Flick, en passant par Arthur Greenslade et Jimmy Page.

Mais en 1967, en pleine vogue rhythm and blues, Londres ne suffisait plus à Eddy. Il a choisi de s'envoler aux Etats-Unis pour y enregistrer, d'où le libellé générique au verso de la pochette qui annonce Rn' B U.S.A.
Les résultats de cette session ont été publiés sur la face B d'un album intitulé De Londres à Memphis, mais ce titre est un peu trompeur car, si c'est probablement à Memphis, la ville de Stax, qu'Eddy a atterri, il a enregistré à plus de deux cents kilomètres de là, à Muscle Shoals en Alabama. Pas à FAME, mais dans un autre des grands studios de la ville, Quinvy, qui juste avant ça s'appelait Norala (à lire : Quin Ivy and his Norala and Quinvy studios par Pete Nichols, notamment la partie 3, qui couvre la session d'Eddy, et la 4, où il est question de la session de Dick Rivers au même endroit quelques mois plus tard).

C'est la règle pour le jazz, mais très rare pour les variétés, surtout pour un 45 tours : le recto de la pochette nous donne en détails les participants aux sessions d'enregistrement du 26 au 28 mai 1967 dont on trouve ici quatre extraits. Comme il est précisé, ils ont pris part à des enregistrements des grands noms du R 'n' B, et rien qu'en parcourant la liste je reconnais plusieurs noms de ces grands musiciens de session : Roger Hawkins, David Hood, Eddie Hinton, Spooner Oldham, Wayne Jackson...

Eddy Mitchell et son équipe ont fait preuve d'une grande assurance pour l'occasion : ils auraient pu se contenter d'adapter des titres américains, il y en a pléthore, mais non, on trouve sur ce disque quatre originaux, signés Eddy/Claude Moine pour les paroles et Pierre Papadiamandis pour la musique.
Des originaux, mais répondant tous aux critères d'un morceau rhythm and blues typique. Le résultat est très solide, même s'il n'est pas renversant.

J'aime beaucoup en tout cas Chacun pour soi, avec des paroles un peu dures où il question de fermer la porte à une ex qui retente sa chance ("C'est à ton tour de pleurer, à moi de jouer. Oh ! Que tu m'aimes encore ou pas, ça ne m'intéresse pas, de ma vie je t'ai rayée"). Les chœurs, les cuivres, les ponctuations d'orgue sur le refrain sont très réussis.

Alice est une belle ballade, très réussie, qui respecte tous les canons du genre. Je crois que c'est la plus connue des chansons du disque, qui est longtemps restée au répertoire d'Eddy.

Avec Mes promesses et Au-delà de mes rêves, on a un autre titre rapide et un lent. Les ingrédients sont là, mais la sauce a un peu de mal à prendre.
C'est quand même au bout du compte un projet intéressant, avec deux pochettes pour le prix de deux.

Amigos, le dernier album en date d'Eddy Mitchell, est sorti en 2024. A 83 ans, il a dû annuler pour raisons de santé sa tournée prévue cet été.


Eddy Mitchell, Chacun pour soi, en direct à la fin de l'émission Télé dimanche le 12 novembre 1967.


Eddy Mitchell, Chacun pour soi, en direct dans l'émission Hip hip show le 8 septembre 1967.
Au-delà du fil pris dans le pied de micro, il y a visiblement un problème au début au moment du titre écourté Je ne me retourne pas, mais je ne comprends pas le mot prononcé par Eddy après "Tout de suite", ni le sens des "Merci", "Y en a un". Je crois qu'il y fait encore référence tout à la fin ("Y a trois merci").
Le public de toutes ces émissions de télé est amorphe, quand il ne passe pas son temps à entrer et sortir...!



Eddy Mitchell, Chacun pour soi, en direct à la télévision.


Eddy Mitchell, Chacun pour soi, mimé à la télévision le 4 septembre 1969.


Eddy Mitchell, Alice, en direct à la télévision.


Eddy Mitchell, Alice, mimé à la télévision.


Eddy Mitchell, Alice, mimé à la télévision, visiblement dans les années 1970.


Eddy Mitchell, Alice, en direct à la télévision, accompagné par l'Orchestre d'Ivan Jullien, le 29 janvier 1977. Muscle Shoals est bien loin !


Eddy Mitchell, Mes promesses, mimé à la télévision.

04 août 2025

THE ELEVENTH HOUR : Voulez-vous coucher avec moi ce soir


Acquis sur le vide-grenier de Oiry le 6 avril 2025
Réf : SG 518 -- Édité par Disc'AZ en France en 1974
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Voulez-vous coucher avec moi ce soir (Lady Marmalade) -/- He did ya good '(But I'll do that better)

J'ai trouvé ce disque le même jour que la cassette de Fawzi Al-Ayedi, juste avant la fin de mon tour sur la broc de Oiry.
J'ai misé un euro sur ce disque tout simplement parce que j'ai été très surpris d'apprendre que, potentiellement, le grand tube Lady Marmalade de Labelle est une reprise.
Il y a pas mal de classiques qui, on finit souvent par l'apprendre, ne sont pas originaux. J'ai en tête par exemple I love rock and roll, Bette Davis eyes ou Love will keep us together. Un gars, Bob Leszczak, a même publié trois livres sur le sujet Who did it first ?.

Je dis "potentiellement" car l'expérience m'a appris qu'il faut être très méfiant vis-à-vis des allégations figurant sur les pochettes de disques. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles ne sont pas plus fiables que des paroles d'évangile, et souvent encore moins !
Si on s'en tient simplement aux mentions "Version originale", on a déjà exploré ici de beaux cas d'école, Mamy blue en étant un exemple particulièrement gratiné. Il y aussi la "version originale chantée" d'un instrumental, la "version originale anglaise" d'un tube originellement en anglais mais, subtilité, interprété par un groupe hollandais ! Il y a encore la "seule version originale" d'Al Capone et la "very original" ! On a même connu la "version originale" qui est en fait une nouvelle version par l'interprète originale...

Bon, il se trouve que, pour une fois, l'allégation est correcte : ce groupe The Eleventh Hour est bien le premier à avoir enregistré et publié Lady Marmalade.
La chanson a été co-écrite par Bob Crewe, qu'on connaît notamment pour Silhouettes et les tubes qu'il a écrits pour Frankie Valli et les Four Seasons (dont Walk like a man), et un certain Kenny Nolan, qui était entre autres le chanteur d'un groupe de requins de studio, The Eleventh Hour.
Apparemment, la version originale de Lady Marmalade par The Eleventh Hour était considérée par ses auteurs comme une sorte de démo. Elle a quand même été incluse en juin 1974 sur le premier album du groupe, qui a un titre de compilation, The Eleventh Hour's greatest hits 1974 AD.

Avant d'écrire la chanson, Crewe avait séjourné à La Nouvelle Orléans. Très vite, il l'a fait écouter à Allen Toussaint, qui a décidé de l'enregistrer avec le groupe Labelle. Leur version est sortie en septembre 1974 sur l'album Nightbirds et en novembre en 45 tours.
C'est cette version que tout le monde connaît. C'est celle-là dont, à douze ans, je me faisais un plaisir de chanter à tue-tête le refrain "Voulez-vous coucher avec moi ce soir ?", comme je le faisais un peu plus tôt avec "les putains" d'On ira tous au paradis de Polnareff. Je ne le savais pas, mais il est question aussi de prostitution avec Lady Marmalade, qui est le récit d'une passe à La Nouvelle Orléans, qui fait "rugir la bête sauvage" à l'intérieur d'un pékin moyen, qui se repasse le film de cette nuit mémorable par la suite, une fois revenu dans sa grise vie quotidienne. Au passage, on peut se permettre de sourire de l'affirmation de la chanteuse Patti Labelle qui a expliqué qu'elle ne connaissait pas le sens du refrain en français qu'elle a chanté. C'est possible, mais elle parle anglais et tout le reste de la chanson, écrit dans cette langue, laisse très bien comprendre de quoi il est question.
 
Et que vaut la version de The Eleventh Hour par rapport à celle de Labelle ? Eh bien, c'est beaucoup moins bien ! Elle est plus lente, et surtout assez bancale, pas groovie ni funkie pour un sou, même si tous les ingrédients sont là. Le chant est lui aussi très guindé. On a droit à un solo de saxo, et après la chanson semble presque s'arrêter, alors qu'il reste encore une minute à courir.
Ce n'est sûrement pas un hasard si cette version n'est pas sortie en 45 tours aux États-Unis. D'après ce que je vois dans Discogs, il n'y a qu'en France et au Brésil qu'un single a été publié, sûrement pour récupérer un peu de miettes du succès de Labelle.
Devant ce succès, The Eleventh Hour a remis le couvert et publié en 1975 une deuxième version de Lady Marmalade sur l'album Hollywood hot. Elle est plus rapide, un peu plus disco, dure une minute de plus. Elle passe un peu mieux, inspirée par la version Labelle, mais c'est pas encore ça, et la partie instrumentale dans la deuxième moitié, avec encore du saxo, est difficile à supporter.

La face B, He did ya good (But I'll do that better) est aussi extraite du premier album. Musicalement, on est dans la même veine et ça reste pataud. Et je crois que je préfère ne pas essayer de comprendre toutes les paroles ("I got a muscle Mama", "You'll get your satisfaction guaranteed")...!

Après l'aventure Eleventh Hour, Kenny Nolan s'est lancé dans une carrière solo. Et figurez-vous qu'il a eu un grand succès en 1976, avec la chanson I like dreamin' qui a été un tube aux États-Unis. Mais l'avion et le vedettariat c'était visiblement pas son truc et par la suite il s'est concentré sur l'écriture de chansons. 

Il y a plusieurs groupes nommés The Eleventh Hour, mais j'ai été surpris de voir, sur la page Bandcamp où l'on trouve les deux albums du groupe qui nous intéresse aujourd'hui, que deux concerts sont annoncés en Angleterre pour août-septembre. Je me demande bien quelle est la formation du groupe (Kenny Nolan n'en fait certainement pas partie).

28 juillet 2025

RANKINE / DIRTY DISTRICT : Ragga-buzzin'


Acquis à la Bourse aux Disques de Radio Primitive à Reims le 23 mars 2025
Réf : 1442 -- Édité par Barclay en France en 1991 -- Hors commerce
Support : 45 tours 17 cm
Titres : RANKINE : Les mâles -/- DIRTY DISTRICT : Blast it

Après le Peter Gabriel, le The Call et le Pierre Vassiliu, voici un autre des disques glanés en mars lors de la bourse aux disques de Radio Primitive, la plupart rescapés de la discothèque de la station. J'ai vraiment fait de bonnes pioches ce jour-là !

Ce 45 tours promo contient deux extraits de la compilation Ragga buzzin'. On peut la considérer comme une réponse version raggamuffin de Barclay à la compilation Rapattitude de Labelle Noir/Virgin parue l'année précédente. C'est aussi une cousine de la très pop Contresens, c'est à dire qu'on a là trois compilations qui présentent des artistes d'une "nouvelle scène" d'un genre musical particulier.

Je ne me souviens plus de ce 45 tours en particulier, mais je sais qu'on avait aussi reçu le CD de Ragga buzzin' à la radio, que j'avais écouté, et c'est précisément la chanson de Rankine que j'avais choisi de diffuser en octobre 1991, dans mon émission personnelle Vivonzeureux!, puis, de façon particulièrement appropriée, dans mon autre émission Sueur d'hommes, co-animée avec les vedettes Phil Sex et Raoul Ketchup.

Je ne connaissais pas "Rankine". Grâce aux références présentes sur Discogs, j'ai assez vite appris que Clarence, de son prénom, est créditée sur les deux premières cassettes de Massilia Sound System, Rude & souple (1989) et Vive le Piim (1990). Sur la première, on trouve même une version de Les mâles, qui doit être différente mais que je n'ai malheureusement pas trouvée en ligne.
Je ne le savais pas du tout mais, comme le détaille Camille Martel dans son livre Massilia Sound System : La façon de Marseille (2021) (les premières pages sont disponibles ici), Clarence Rankine (ou Ranking Clarence, et il y a plein d'autres variations) est membre fondatrice de Massilia et, de 1984 à 1991, elle en a été l'une des trois vocalistes, avec Tatou et Jali. Elle chante donc plusieurs titres sur les deux cassettes du groupe, dont Nouveau style et L'argent, et a donné plusieurs dizaines de concerts avec eux.
Elle a quitté Massilia en mai 1991, un an avant la parution du premier album Parla patois, ce qui explique que ceux qui, comme moi, ont découvert le groupe avec ce disque ne la connaissent pas.
Apparemment, le titre sur Ragga-buzzin' était le premier jalons d'une carrière solo, mais je n'ai pas trouvé trace d'autres parutions de Rankine.

Les mâles est un excellent ragga, avec des paroles qui remettent les mecs à leur place et pointent la différence de traitement entre les hommes et les femmes. Camille Martel donne des détails sur le contexte de création de la chanson : "Clarence livre ensuite l’un des temps forts de Rude et Souple : « Les mâles », dans lequel elle répond à son confrère parisien le DJ Daddy Yod, qui avait sorti « Elle n’est pas prête » en 1987, galerie de portraits de jeunes femmes volages, pas d’accord pour s’engager dans une relation amoureuse stable. Une autre des filles évoquées par Daddy Yod dans sa chanson n’a rien dans la tête, elle est superficielle et terrifiée par l’idée de vieillir… La réponse de Clarence à cette démonstration machiste est claire."
Musicalement, on est en plein dans le style raggamuffin, avec une particularité dans l'arrangement, la présence remarquable d'un violon, tenu par Nicolas Zaroff, qui a notamment joué avec Leda Atomica (il est malheureusement mort accidentellement en 2011, à 48 ans).
Je ne sais pas si Rankine avait signé un contrat solo avec Barclay, mais en tout cas, parmi les artistes de Ragga buzzin', c'est bien elle que le label avait entrepris de mettre en avant : outre ce 45 tours, il y a eu un maxi hors commerce avec une version de Les mâles remixée par No Smoke. Elle est plus longue, mais aussi très quelconque. Le violon a malheureusement disparu...

Sur la face B, on trouve la contribution de Dirty District à Ragga buzzin'. Un groupe que j'ai eu l'occasion de voir quartier Wilson à Reims le 15 avril 1989 lors d'un concert antifasciste organisé par L’Égrégore.
Blast it est un titre de leur premier album, Pousse au crime & longueur de temps. Il fait plus de huit minutes sur l'album, juste cinq ici. Ce sont deux enregistrements différents, dans l'esprit reggae-rock rebelle façon The Clash. La version du 45 tours est sur un tempo plus rapide. Les deux ont le même défaut insupportable : elles sont chantées dans une espèce de bouillie indescriptible censée être de l'anglais.

Une vidéo a dû être tournée pour Les mâles, au moins pour un passage de télé : on en aperçoit quelques secondes dans l'émission Rapline spéciale Raggamuffin.


Massilia Sound System en 1990 : Tatou, Clarence Rankine et Jali. Photo : Stéphane Godefroid (Source).

19 juillet 2025

GUY CORNÉLY accompagné par LE TANDEM DU GROS-CA VÉLO / BOISBANT : Guadeloupe


Acquis sur la brocante de l'avenue Victor Hugo à Ay le 22 juin 2025
Réf : RC 62 -- Édité par Aux Ondes/Disques Célini en France vers 1969
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Guadeloupe -/- En cé nègue -- Où sont donc les tam-tam ?

La météo était agréable, l'ambiance paisible et familiale sur la petite brocante de l'avenue de la gare à Ay. Je n'ai acheté que deux disques à 1 €, mais deux superbes trouvailles dont j'étais très content. La qualité prime sur la quantité.
Le premier, je le cherchais depuis 2019, quand j'ai chroniqué le 45 tours de Denise Varène. Ils 'agit du EP dont j'avais reproduit la pochette où elle est photographiée avec son mari Marcel Bianchi.
L'autre, c'est celui-ci, que j'ai trouvé dans une boite à chaussures, caché parmi une petite vingtaine de disques de variétés.
La personne qui tenait le stand diffusait de la musique sur une enceinte. Au moment de payer, je lui ai demandé quel était ce titre largement instrumental très agréable qu'on entendait. Je pensais à The Cure, et effectivement la chanson s'appelle Lullaby, mais il s'agit bel et bien de Low, avec un extrait de I could live in hope. Un album que je ne connais pas, mais j'ai une version démo de Lullaby dans le coffret A lifetime of temporary relief.

Quand j'ai commencé à acheter des disques des Antilles, je me méfiais particulièrement des mentions du type de ce "Souvenir de la Guadeloupe". Pour moi, ça signifiait obligatoirement qu'on avait affaire à de la soupe commerciale pour touristes. J'ai vite été détrompé. Il s'avère que les touristes étaient un bon débouché commercial pour les créations musicales locales. Je pense qu'une bonne partie des productions de Debs et Célini s'écoulaient non pas chez des disquaires mais dans des boutiques pour vacanciers. Et je m'en félicite, car les disques de ces labels que je trouve par chez moi ne proviennent pas de collections de fans de ces musiques, ce sont bien les fameux souvenirs ramenés de vacances qu'on trouve dans ces cartons de disques.

Celui-ci est un bel objet discographique, un album au sens propre du terme, avec une pochette ouvrante et un insert rajouté, ce qui fait, que, recto-verso compris, la pochette fait six pages au format 45 tours.
L'autre particularité, et c'est également précisé sur la pochette, c'est que nous n'avons pas ici des chansons à proprement parler, mais des poèmes mis en musique. Contrairement à ce que je pensais initialement, les textes reproduits sur la pochette ne sont pas ceux des poèmes, mais un commentaire en français de l'auteur sur ses œuvres.

Ce poète, Guy Cornély, n'est donc pas un chanteur (il a publié au moins deux recueils de textes, Pêle mêle en 1968 et L'enfant en 2003), mais il chante quand même Paresse, un tumbélé des Guitars Boy, sur le 45 tours At the bay, un disque que je possède.

Guy Cornély est accompagné ici par un célèbre duo de musiciens de gwoka, Marcel Lollia dit Vélo (1931-1984) et Arthème Boisban (1931-2006 ?). C'est apparemment le seul disque jamais publié sous son nom par Guy Cornély, mais il ne s'agit pas de sa seule collaboration avec Vélo : il signe les notes de pochette de l'album 25 cm Folklore de la Guadeloupe de Vélo et son Gros-Ka et, même si l'image sur Discogs n'est pas lisible, je parierais bien qu'il est l'auteur du poème qu'on trouve au dos de la pochette de l'album Folklore hors série.

Je ne l'ai pas précisé tant ça me paraissait évident, mais les poèmes de Guy Cornély sont écrits en langue créole. Vélo et Boisbant assurent le rythme et lui dit son texte. Quand on écoute Guadeloupe, on ne peut que penser à une forme de proto-rap, et faire un parallèle avec un groupe qui venait de se lancer au même moment, pas si loin que ça de la Guadeloupe, les Last Poets de New York.

Il me semble que la "sauce" entre musique et voix prend mieux sur les deux titres de la face B, En cé nègue (dont on trouve le texte ici) et surtout Où sont donc les tam-tam ?, dont on apprend tout à la fin qu'il s'agit des "tam-tam de la liberté". Cette dernière chanson a été rééditée en 2018 sur la compilation Par les damné.e.s de la terre.

Une œuvre rare, intéressante artistiquement. Un très bel objet disque. C'est largement suffisant pour me combler. Mais il y a plus : la découverte du parcours de Guy Cornély, qui ne s'est pas contenté d'être un poète.
Engagé dans la marine à 18 ans en 1939, il se retrouve donc sous les ordres du Régime de Vichy. Comme des milliers de jeunes antillais, il "part en dissidence" en 1943. Autrement dit, il déserte en s'enfuyant en canoë jusqu'à la Dominique, puis il résiste en rejoignant les Français Libres du Général de Gaulle à Londres. Le 6 juin 1944, il participe au débarquement en Normandie en tant que marin du cuirassé Courbet. Comme de nombreux dissidents antillais, et comme les soldats français d'Afrique, il devra attendre longtemps (un demi-siècle...!) pour qu'un hommage lui soit rendu.
Et ce n'est pas tout. Après la guerre, il rejoint l'Institut Pasteur de Pointe-à-Pitre. En tant que parasitologue, il contribue à la lutte contre des maladies qui frappent les guadeloupéens.
Une vie admirable et remarquable.






12 juillet 2025

EAST OF EDEN : Le 1er disque pirate d'East Of Eden


Acquis sur le vide-grenier de la rue Caulaincourt à Paris le 24 septembre 2022
Réf : 17.048 -- Édité par Deram en France en 1970
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Jig-a-jig -/- Marcus junior

Au lendemain du concert de Mozart Estate au Paris Popfest en 2022, j'avais repéré deux brocantes à faire avant de retourner à la maison. Manque de bol, une pluie fine imprévue s'est invitée toute la matinée.
Je n'ai rien trouvé à la broc assez sympathique et familiale de Pont-Ruisseau, et heureusement qu'un vendeur professionnel 'soldait' une partie de ses disques rue Caulaincourt : cela m'a évité de rentrer bredouille. Au bout du compte, à 3 € le 33 tours d'Hurard Coppet et 1 € la poignée 45 tours de gens comme Jah Cure, The Colour Field, Sons & Daughters ou Will Sheff, j'ai fait une assez bonne récolte.

Je ne connaissais pas du tout East of Eden. J'ai pris ce disque uniquement parce que la pochette m'a intrigué. Avec le slogan "Le 1er disque pirate d'East Of Eden", j'ai pensé qu'il s'agissait d'un disque promo. Mais non, c'est bien l'édition originale commercialisée en France de ce 45 tours qui se donne des atours de disque pirate. La première fois que j'ai été confronté à ce procédé, c'est avec le Live! Bootleg d'Aerosmith en 1978, que plusieurs des copains du quartier avaient acheté.
Certes, à cette époque il me semble que la vogue des disques pirates prenait de l'ampleur, et les radios pirates avaient aussi le vent en poupe, ça pouvait donc éventuellement être vendeur d'associer le groupe au côté rebelle de la piraterie. Mais là, ça vient comme un cheveu sur la soupe et sans aucune explication (aucune référence par ailleurs au verso ou sur le disque à cet aspect pirate). Je trouve cela plutôt anti-commercial qu'autre chose.

East of Eden s'est formé à Bristol en 1967. On les classe dans le rock progressif, avec des tendances jazz ou symphonique. Je ne suis surtout pas allé vérifier ces informations !
Ils ont sorti deux albums chez Deram en 1969 et 1970, avant de quitter le label pour Harvest. Comme d'autres (je pense aux Zombies, qui ont connu le succès avec She's not there Time of the season alors qu'ils venaient de se séparer), East of Eden a eu son plus grand succès avec un disque sorti sans leur accord, pas du tout représentatif de leur parcours. En effet, c'est Deram qui a sorti en mai 1970 Jig-a-jig, un medley de trois airs traditionnels, qui met en avant leur violoniste Dave Arbus. Le groupe le jouait assez ironiquement en rappel de ses concerts et n'imaginait qu'il serait un jour une face A de 45 tours et aussi leur seul grand succès !

Initialement, j'ai écouté le disque et je l'ai rangé sans le chroniquer, malgré sa pochette mystérieuse. Je l'ai ressorti tout récemment après avoir vu passer en ligne un lien vers la face B du 45 tours, Marcus Junior, avec un commentaire qui m'a surpris à propos d'une "version prog-folk d'un classique ska de Don Drummond".
Comment ça, Don Drummond, le tromboniste des Skatalites ? Celui qui, malade mentalement, a tué sa femme et est mort en hôpital psychiatrique à 35 ans ? Oui, lui, qui a composé plus de 300 titres, dont effectivement Marcus Junior, sorti en 45 tours sous son nom en 1964.
J'ai réécouté la version East of Eden pour vérifier, et elle n'a rien de ska. Et comme le titre est crédité "Drummond" sans prénom, je ne risquais pas de faire le lien avec les Skatalites. Mais il s'agit bien de la même composition, arrangée de façon totalement différente.
La grande question, c'est comment un groupe progressif se retrouve à reprendre du Don Drummond (et pas qu'une fois, puisque sur leur album Snafu, on trouve non seulement Marcus Junior mais aussi une autre reprise de Don Drummond, Confucius) ?. Eh bien, le saxophoniste Ron Caines nous donne l'explication dans un entretien pour Friars Aylesbury : il avait entendu ces titres dans un club reggae, acheté les disques,  et le groupe les a intégrés à son répertoire sur scène dès ses débuts.

Un pseudo-disque pirate et une surprenante reprise d'un titre ska, c'est suffisant pour faire ma journée...

Dave Arbus (1941-2025) est mort ce printemps. Il était passé au fil des années de l'archet de violon aux crayons et pinceaux. Les annonces de sa mort mentionnent à peine East of Eden pour se contenter du fait qu'il joue sur Baba O'Riley des Who.


East of Eden, Jig-a-jig, une version courte mais excellente, à la fin d'une émission de la RTBF, vers 1970.

06 juillet 2025

THE EQUATORS : Baby come back


Offert par Claire B. à Mareuil sur Ay le 7 juin 2025
Réf : 640 206 -- Édité par Stiff en France en 1980
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Baby come back -/- Georgie

Après celui d'Essous, voici un autre disque offert par ma sœur Claire, celui-là rescapé d'une déchetterie je crois.
On ne peut pas dire qu'il est courant, mais j'avais déjà eu l'occasion de voir ce disque. Je ne m'y étais pas intéressé, rebuté par le fait que cette reprise par un groupe nommé The Equators de Baby come back, l'excellent tube de 1968 de The Equals, fait penser à ces publications parasites, dont les meilleurs exemples présentés ici sont peut-être Venus par The Blocking Shoes et Yankee Horse, Sea side shuffle par Big Tears and the Crocodile ou Al Capone par Prince of Wales Stars.

Mais ce disque est paru en 1980, il ne s'agissait plus de concurrencer un grand succès du moment. Et surtout, pour l'occasion Stiff a fait appel comme producteur à Eddy Grant, l'auteur et interprète original de la chanson. Cette reprise n'a donc rien d'une quelconque contrefaçon et a tout le soutien des ayant-droits. 

Formé en 1977, même s'ils ont pris ce nom plus tard, The Equators était un groupe de Birmingham composé des quatre frères Brian, Donald, Leo et Rocky Bailey, ainsi que de Cleveland Clarke, Dennis Fletcher et du guitariste Alfonso Renford.
Repérés lors d'un concert où ils étaient à l'affiche avec leurs voisins de Birmingham The Beat, ils ont été signés par Stiff. Précédemment, ils avaient enregistré à Paris en juillet 1979, sous le nom de Mosiah, un album de reggae paru uniquement par chez nous. J'aimerais bien connaître l'histoire de ce disque plus en détails...

Le premier projet assigné par Stiff aux Equators, c'est l'album Black and Dekker de Desmond Dekker : ils l'accompagnent sur trois titres, Lickin' stick, Hippo et Please don't bend.

Cité chez Marco On The Bass, Dave Wakeling explique que The Beat a été influencé par The Equators : ils avaient élaboré avant eux un hybride punk-reggae, qu'ils pratiquaient de manière pleine de "soul" et délicate. Malheureusement pour The Equators, il n'y avait visiblement pas la place pour deux groupes de Birmingham au moment où la vague ska/2 Tone a submergé l'Angleterre.

Mon exemplaire du 45 tours correspond à l'édition originale française de ce disque. Pourquoi deux éditions françaises pour cette parution assez obscure ? Eh bien tout simplement parce que, courant 1980, la distribution française de Stiff est passée de Barclay à Vogue. Barclay a donc arrêté de commercialiser ces disques, et Vogue en a ressorti quelques uns qui étaient récents, comme celui-ci, sous la référence 104 130.

Cette reprise ska de Baby come back est bien sûr accélérée, mais elle reste très fidèle dans l'esprit à la version originale. Ça décolle dans la seconde moitié, quand l'atmosphère se fait d'un coup assez "dubby" et qu'on a droit à une partie de chant toasté, qui pour le coup évoque immanquablement feu Ranking Roger de The Beat.
Cerise sur le gâteau, il existe sur un maxi une Dub version de Baby come back : soit d'abord les trois minutes trente du 45 tours, plus quatre minutes de rab pour mon plus grand plaisir.

La face B, Georgie, est produite par Bob Andrews de The Rumour, qui jouait aussi sur Black and Dekker. Elle est de très bonne tenue.

L'année suivante est sorti Hot, l'unique album des Equators, également produit par Bob Andrews. Les deux titres du 45 tours n'y figurent pas. L'aventure Stiff s'est arrêtée là et le groupe s'est séparé.
35 ans plus tard, The Equators s'est reformé. Ils jouent régulièrement et ont publié quelques nouveaux titres.