03 octobre 2020

TOOTS AND THE MAYTALS : Funky Kingston


Acquis chez A La Clé de Sol à Reims vers la fin des années 1980
Réf : TRLS 201 -- Édité par Trojan en Angleterre en 1981
Support : 33 tours 30 cm
8 titres

J'ai mis cet album de Toots and the Maytals de côté pour le chroniquer fin août, quelques semaines avant la mort à 77 ans de Toots Hibbert, du COVID-19. J'étais retombé dessus en fouinant dans mes 33 tours de reggae. Je me souvenais que la pochette de mon exemplaire était différente de celle qu'on voit le plus souvent, mais ce qui m'a intrigué c'est que le label était Trojan et non pas Island.
J'ai donc sorti le disque pour le réécouter et me renseigner, et d'une part je l'ai apprécié que lors de la précédente écoute (sûrement au moment de son achat en même temps que des dizaines d'autres disques lors de la braderie de la Quasimodo à Reims) et d'autre part j'ai appris que cet album a une histoire discographique particulièrement compliquée.
L'édition originale de ce disque est parue en 1973 en Angleterre sur le label Dragon, une filiale du Dynamic Sounds de Byron Lee, alors distribuée par Island.
Cet album comportait 8 titres et, pour ne pas débuter trop simplement le feuilleton, il a été diffusé avec deux pochettes différentes, l'une avec une photo (comme mon exemplaire, que je vais coder A8), l'autre avec un dessin (la plus répandue depuis, codée B8).
Mais en 1975, quand il s'est agi pour Island et sa filiale Mango de lancer Toots and the Maytals aux Etats-Unis, dans le but d'y développer le marché du reggae au-delà de Bob Marley, la décision a été prise de sortir un album intitulé Funky Kingston, avec sa pochette B, mais qui est en fait une compilation 10 titres (B10, donc), répartis comme suit :

  • Funky Kingston, Louie Louie et Pump and pride extraits de l'album 8 titres de 1973.
  • 6 titres (sur 12) extraits de l'album In the dark de 1974.
  • Le single Pressure drop de 1969.

L'édition américaine 10 titres est devenue au fil des années la version la plus répandue de Funky Kingston, mais les deux versions 8 et 10 titres ont continué leurs vies à la fois parallèles et bien emmêlées (ce qui n'arrive que dans des conditions surréalistes comme celles-ci).
Ainsi, pour ne toujours pas simplifier les choses, la distribution anglaise de Dragon est passée au milieu des années 1970 chez Trojan, qui a donc récupéré les droits de l'album 8 titres. On a donc pendant la même année 1976 en Angleterre à la fois une édition A8 chez Trojan et une édition B8 chez Island !
En France, les choses auraient pu être plus simples puisqu'il semble que seul Island/Phonogram avait les droits sur l'album. Il n'empêche que la première édition, en 1976 est une version B10 (référence 9101 664), tandis qu'une réédition datant probablement de la fin des années 1970 (code prix PG 200) est une version B8 (référence 9101 686) !
On aurait pu penser que l'arrivée du CD et l’homogénéisation au moins à l'échelle européenne des publications de Phonogram allait simplifier les choses, mais le méli-mélo s'est quand même poursuivi pendant toutes ces décennies. Il y a par exemple un CD européen B8 sorti par Island en 1990 et un anglais A8 en 1991 chez Trojan. Et du côté des rééditions vinyl récentes, ça continue, avec une version B10 en 2018 aux États-Unis et une B8 en 2019 en Europe !!

La version 10 titres de l'album a l'avantage de contenir deux de mes chansons préférés de Toots and the Maytals, 54-46 was my number et Pressure drop, découvert grâce à The Clash (dans la liste, il y a aussi Chatty chatty et Monkey man, découvert grâce à The Specials). Mais c'est quand même dommage que, avec toutes ces péripéties, cet album excellent de 1973, très compact avec ses quatre chansons de trois-quatre minutes par face, ne soit pas connu de tout le monde dans son intégralité, ne serait-ce que pour l'excellent titre d'introduction Sit right down, qui nous met directement dans l'ambiance, avec ses cuivres à la Stax et la performance de Toots dans la lignée de ses influences rhythm and blues Otis Redding et Wilson Pickett. Pomp and pride poursuit dans la même excellente veine, avec orgue et chœurs.
Viennent ensuite deux reprises. Je me souviens qu'initialement j'avais été un peu déçu par la version de Louie Louie. A tort, parce qu'aujourd'hui je m'éclate bien dessus. J'apprécie notamment les solos sur la fin, de saxo d'abord, puis d'un instrument qui je pense est une guitare avec beaucoup d'effets (ou sinon de de l'orgue ou du synthé). Mais attention il y a encore anguille sous roche : pour entendre ces solos, il faut bien écouter une version 8 titres de l'album avec Louie Louie qui dure 5'45. Dans la version 10 titres, l'enregistrement est shunté après 3'30...
La face A se conclut avec I can't believe, une excellente reprise de I can't believe what you say de 1964, une de mes chansons préférées d'Ike et Tina Turner en 1964. Le son un peu vieillot rappelle l'époque du rock steady et du ska.
La face B s'ouvre avec Redemption song, une chanson différente et antérieure à celle de Marley.
Daddy est un bon slow. C'est une très bonne reprise de Daddy's home par Shep and the Limelites de 1961, que je préfère à la version originale. Cette chanson devait vraiment être importante pour les Maytals, puiqu'ils l'avaient déjà enregistrée, sur un 45 tours en 1964 repris sur l'album The sensational Maytals en 1965.
Je pensais que le titre de la chanson Funky Kingston pouvait faire écho au Funky Broadway de 1967 de Wilson Pickett, qui devait être une inspiration de Toots, mais selon Pitchfork, l'inspiration est plutôt venue, via Chris Blackwell, du Funky Nassau de The Beginning of the End en 1971. En tout cas, elle mérite d'intégrer ma liste de chanson préférée des Maytals, enchaînée avec Pressure drop.
Le disque se conclut en beauté avec It was written down, encore une chanson qui ne méritait pas d'être écartée des éditions les plus diffusées de l'album.

J'ai commencé mon histoire avec l'édition de 1973 de Funky Kingston, mais si on s'était intéressé à la discographie jamaïcaine de Toots and the Maytals, il aurait fallu remonter à 1972, quand l'album Slatyam stoot est sorti chez Dynamic Sounds. En effet, on y trouve 5 des 8 titres de l'album anglais ! Du coup, Funky Kingston n'est jamais sorti en Jamaïque, mais sa pochette dessinée B y a été utilisée en 1974 pour l'album Roots reggae, qui contient I can't believe ! Décidément, rien n'est simple dans cette histoire...

Parmi toutes les éditions de Funky Kingston, si je devais en conseiller une, ce serait la réédition CD de 2003 de Funky Kingston et In the dark, qui met tout le monde d'accord en compilant les deux albums anglais originaux, sans oublier d'ajouter Pressure drop.


Toots and the Maytals, Funky Kingston, en concert au Winterland de San Francisco le 15 novembre 1975. Le concert complet est ici.


La pochette dessinée, la plus courante dans les très diverses éditions de Funky Kingston.

1 commentaire:

Kalcha a dit…

La musique jamaïcaine est probablement une punition divine à l'encontre des psychorigides de la rigueur. :-D