07 décembre 2025

GIL SCOTT-HERON / BRIAN JACKSON : The bottle


Acquis chez Emmaüs à Tours-sur-Marne le 7 novembre 2025
Réf : 2C 004-96.772 -- Édité par Strata-East en France en 1975
Support : 45 tours 17 cm
Titres : The bottle -/- Back home

Je ne vais plus à l'Emmaüs près de chez moi que tous les deux-trois mois, parce que le stock de disques y est désormais très réduit, et qu'il est à des prix excessifs selon moi, 1,50 € le 45 tours, 3 € le 33 tours. A la ressourcerie du coin, où les stocks sont aussi au plus bas, c'est respectivement 10 et 20 centimes. Je n'en demande pas tant, mais si les 45 tours avaient été à 50 centimes j'en aurais sûrement pris huit ou dix, pour tenter des coups ou pour des disques en état très moyen.
Ce jour-là, il y avait tout un lot de disques venant du même propriétaire, quelqu'un qui avait pris l'habitude pour marquer ses disques, non pas de mettre son nom au dos de la pochette mais de tracer au feutre noir des cercles concentriques sur l'un des ronds centraux. Le seul 45 tours que j'ai acheté ce jour-là, celui qui nous occupe aujourd'hui, vient de ce propriétaire.

Je connais Gil Scott-Heron (1949-2011) pour sa réputation rétrospective d'artiste proto-rap de New York, tout comme les Last Poets à peu près à la même époque. J'ai eu l'occasion d'écouter au moment de sa sortie son album de 2010 I'm new here, mais je n'aurais pu citer de tête qu'un seul de ses "classiques", The revolution will not be televised.
J'ai un peu hésité à le prendre, ce 45 tours, parce que pour le coup je n'avais absolument jamais entendu parler de The bottle. Je crois que ce qui a fini par me décider, c'est le fait que Gil Scott Heron et Brian Jackson sont crédités à part égale sur la pochette. Je me souvenais d'avoir lu un article de Mojo où Scott-Heron expliquait qu'une des raisons pour choisir de signer sur leur nouveau label Stata-East était qu'ils avaient accepté, contrairement au précédent, de placer à égalité les deux collaborateurs.
A ce sujet, il y a eu une petite erreur dans cette édition française du 45 tours. Le duo est bien crédité comme tel au recto et au verso de la pochette, mais il n'y a que Scott-Heron sur les ronds centraux. L'erreur a été corrigée sur un tirage ultérieur.

Comme c'est l'habitude aux États-Unis, la pochette du 45 tours original de 1974 était générique. La maison de disques française Pathé Marconi a donc commandé une illustration de pochette à Joël Papiau. Il a dû avoir accès aux paroles, puisqu'il évoque visuellement l'expression utilisée par Scott-Heron pour décrire des alcooliques ("Ils vivent dans une bouteille") en plaçant les musiciens dans ce qui ressemble à une bouteille d'Armagnac !! Il a sûrement également écouté le disque, puisque l'un des musiciens dessinés joue de la flûte. Ça pourrait physiquement être Brian Jackson, qui en joue effectivement sur l'enregistrement. Mais le reste du groupe, tel qu'il est dessiné, ressemble plus aux musiciens d'Il Était Une Fois, par exemple, qu'à ceux de l'album Winter in America, dont ce 45 tours est extrait !
Au passage, le nom de Scott-Heron a hérité d'un accent grave bien français !

Comme l'explique Brian Jackson
, The bottle met en scène des ivrognes qu'ils voyaient faire la queue pour acheter leur alcool lorsqu'ils vivaient à Washington. J'ai mis un peu de temps à accrocher à la chanson, mais il y a un groove qui s'établit, entre le piano, la flûte et la section rythmique, et j'ai fini par me laisser gagner.
Plus généralement, c'est un peu ce qui s'est passé avec ce single, qui n'a pas eu un succès populaire énorme à sa sortie, mais qui a gagné en réputation au fil des décennies. Il y a eu assez vite des reprises, par Brother To Brother dès 1974 (chantée) ou par Joe Bataan en 1975 (instrumentale). 
La chanson a incité Clive Davis à les signer chez Arista et on trouve sur l'album It's your world de 1976 une version en concert de The bottle de 13 minutes.
Le single original, légèrement remixé, a été réédité en Angleterre dans les années 1980, puis est venue l'époque du hip hop : plus de 80 titres ont samplé The bottle à ce jour, dont Black is black des Jungle Brothers.

La basse tricote aussi sur la face B, Back home, mais le tempo est plus lent et on est plus dans le format d'une chanson "classique", avec à nouveau la flûte de Brian Jackson bien en avant pour le solo.

Gil Scott-Heron et Brian Jackson ont cessé leur collaboration en 1980, après dix ans et dix albums.


Gil Scott-Heron / Brian Jackson : The bottle.
C'est la version du 45 tours, mais la vidéo a été produite en 1998 à l'occasion d'une réédition de l'album Winter in America.



Gil Scott-Heron with Amnesia Express : The bottle en concert au festival Reggae Sunsplash à Montego Bay en 1983.
On trouve une autre longue version en public avec le même groupe sur l'album Legend in his own mind, en concert à Berlin le 18 avril 1983.


29 novembre 2025

LES PRODIGIEUX McCLEVERTYS : Calypso


Offert par Dorian Feller à Villedomange le 13 novembre 2025
Réf : 80.069 -- Édité par Barclay en France en 1957
Support : 33 tours 30 cm
12 titres

Dorian Feller était en train de me montrer ses dernières acquisitions. Arrivé à cet album, il m'annonce que c'est du calypso assez quelconque. Je n'avais jamais vu cette pochette, mais il m'a suffi de regarder le nom du groupe pour lui répliquer dans l'instant que ce disque, je le recherche et il m'intéresse vraiment. Tout aussi rapidement, Dorian a été assez aimable pour décider de me l'offrir. Merci !

Je cherche ce disque en fait depuis quelques années, quand j'ai emprunté à la Médiathèque la compilation Soul Jazz de 2013 Mirror to the soul : Caribbean Jump-Up, Mambo & Calypso Beat 1954-77. J'y avais repéré quelques titres, et notamment Don't blame it on Elvis par The Fabulous McClevertys.

Cet excellent titre est sorti en 1957 chez Verve aux États-Unis, en 45 tours et sur l'album Calypso !. J'avais ajouté ce dernier à la liste des disques que je recherche, mais comme souvent sans vraiment de conviction ni d'intention de l'acheter en ligne, ne serait-ce que parce que les frais de port sont généralement prohibitifs.
Comme elle n'est pas référencée sur Discogs, je n'ai pas imaginé un instant qu'il pouvait exister une édition française de cet album, chez Barclay, sous licence Verve. C'est celle que Dorian a trouvée et m'a offerte.
Initialement, j'ai trouvé la pochette moche, mais au bout du compte, grâce à ses couleurs, elle est un peu mieux que la pochette originale, dont elle reprend l'un des dessins. Et chez Barclay ils ont fait l'effort de traduire intégralement les notes de pochette (le nom du groupe, The Fabulous McClevertys, a aussi été francisé).

Alors qu'est-ce qu'elle a de particulier cette chanson Don't blame it on Elvis ? Eh bien, pas grand chose, si ce n'est que c'est un excellent calypso, ce qui est déjà beaucoup et me suffit largement. D'autant que, comme souvent, les paroles de ce calypso s'intéressent à un sujet d'actualité de 1957, la danse "suggestive" et "scandaleuse" d'Elvis Presley :
Don't blame it on Elvis
For shaking his pelvis
Shaking the pelvis been in style
Ever since the River Nile


Ce qui adapté en français pourrait donner :
N'en voulez pas à Elvis
De tourner comme une vis
Tortiller du bassin
c'est en vogue depuis les Égyptiens 


Je vous assure qu'après écoute vous aurez ce refrain en tête pendant des jours. L'excellent site Fleurs de Vinyl consacre une page très documentée à cette chanson et sa reprise par Fritz Pereira, en 1957 également. J'ai un peu galéré, mais j'ai trouvé une page du site de Monsieur Jeff où on peut écouter cette reprise intéressante (moins calypso) et découvrir le parcours de ce fils de sénateur haïtien installé au Québec !

Il y un petit solo de saxo surprenant et bienvenu dans Don't blame it on Elvis. Il est sûrement dû à Johnny McCleverty, membre des McClevertys avec son frère le chanteur Carl. Ils sont originaires des Îles Vierges, tout comme les autres membres du groupe, le guitariste Gus, le batteur David et le pianiste Cornelius, mais ils ont fait carrière aux États-Unis et au Canada.
A part l'album et le single chez Verve, je n'ai trouvé mention que de deux autres singles postérieurs chez Ritmo, Back to back et The big bamboo. Mais avant ça, sous le nom de The Johnny McCleverty Calypso Boys, le groupe avait accompagné sur scène et sur disque pendant plusieurs années un chanteur de calypso, The Charmer ou Lord Charmer. On peut notamment les écouter sur une autre version de Back to back, belly to belly et sur Is she is, or is she ain't. Né Louis Eugene Walcott, The Charmer a adopté une autre identité au début des années 1960, après avoir rejoint la Nation of Islam, celle de Louis Farrakhan.

Don't blame it on Elvis est créditée à Sam Manning, tout comme deux autres excellentes chansons de l'album, Tickle, tickle, plus originale musicalement et moins directement calypso et Whoolay whola, à l'écoute de laquelle j'ai eu l'impression d'entendre les paroles "Monsieur Comme-ci Comme-ça".

J'ai bien l'impression que l'album est majoritairement composé de reprises. En plus de l'actualité, les femmes sont un sujet constant d'inspiration pour le calypso. C'est le cas pour une séquence de la face A avec Coldest woman, Redhead (reprise de Lord Kitchener), Parakeets et Money honey.

La face B est peut-être la meilleure des deux, globalement, avec une version de The woman is smarter, un classique du calypso.
L'excellent Rookoombay, tout comme Parakeets, est une reprise de The Duke of Iron. Notons que cette chanson, avec son titre correctement orthographié (sans "m"), avait aussi été enregistrée par The Charmer and his Afro-Rhythm Boys.
Les autres titres, I want to settle down, Landlady wants rent (encore de Lord Kitchener) et Chicken gumbo, sont également très bien.

La saison des vide-greniers est déjà terminée, les trouvailles se font rares en ressourcerie, ma liste de disques recherchés est très longue... J'espère avoir d'autres bonnes occasions d'en rayer quelques titres.

L'album est intégralement en écoute sur YouTube.

22 novembre 2025

NIHIL : Chica


Acquis sur le vide-grenier de la salle polyvalente à Juvigny le 2 novembre 2025
Réf : 54067 -- Édité par M.S.R. en France en 1988
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Chica -/- Lucie

Les vide-grenier en salle, c'est un moyen de continuer les ventes une fois la mauvaise saison venue, mais c'est rarement très satisfaisant, ne serait-ce que parce que le nombre de stands est fortement très limité. N'empêche, comme c'était sur mon trajet, je me suis arrêté l'autre jour à Juvigny, où pour une fois il y avait beaucoup de chalands. Et j'en suis reparti avec deux disques, achetés sur des stands contigus, un 33 tours compilation Country rock de Conway Twitty, et ce 45 tours d'un groupe vraiment local, puisque Nihil était d’Épernay, à une vingtaine de bornes de Juvigny.

Je connais Nihil, que j'ai vu deux fois en concert. La première fois plutôt vers leurs débuts, le 19 juin 1987 au Hang'Art de Reims, avec Les Spécialistes à la même affiche. Et le 18 mars 1989 à L'usine, toujours à Reims en première partie de Noir Désir, au moment du tube Aux sombres héros de la mer. C'était le deuxième d'une série de trois concerts énôrmes à L'Usine début 1989, après La Mano Negra en février et avant Les Négresses Vertes le premier avril.
C'est tout ce que j'ai dans mes tablettes; je les ai peut-être aussi vus lors des sélections des découvertes du Printemps de Bourges s'ils y ont participé, mais je ne crois pas.
Bon, je connais Nihil, mais juste un peu. Je savais que c'était un trio, qui donnait dans les ambiances sombres, bien teintées de new wave, mais par exemple je ne me souvenais pas que leurs textes étaient principalement en français, et jusque là je n'avais pas de disques d'eux.
Sur environ cinq ans de 1987 à 1991, ils ont eu un parcours discret mais remarquable, ponctué par un 45 tours, Contrôle, un album, Dérapage, sur un label espagnol s'il vous plaît (je me souviens que cette parution avait eu des problèmes techniques, de mixage ou de fabrication), un autre 45 tours (celui qui nous occupe aujourd'hui) et pour finir un deuxième album, Chez Charles Henri, en 1990.
Le groupe était composé en 1988 de T. Bernier à la basse, Jean-Jacques Phal à la guitare et au chant et P. Taillandier à la batterie (ce dernier est l'auteur-compositeur des deux chansons de ce 45 tours).

Je ne sais pas s'il y a eu là aussi un problème technique, mais la pochette n'est pas très réussie. La photo est très sombre et il faut froncer les yeux pour imaginer que la femme assise est la "chica" ("fille" en espagnol) du titre de la face A. On est loin de la danseuse du Surfer Rosa des Pixies, paru la même année !

J'aime bien la guitare électrique qu'on entend en intro de Chica et qui est en quelque sorte la colonne vertébrale de toute la chanson. Il y aussi quelques coups de guitare acoustique et des castagnettes pour l'atmosphère hispanique. Les paroles sont un mélange de français et d'espagnol, avec quelques mots d'anglais, et un peu de chœurs en "La la la la la la la la" bienvenus.
Je me demandais d'où venaient ces liens entre Nihil d'Epernay et l'Espagne. Rock Made In France indique que c'est leur manager d'origine ibérique qui leur avait permis de signer avec un label de ce pays. Ce manager, c'était probablement Xavier Rodriguez. Il y a un Xavier Rodriguez sparnacien qui est l'auteur de trois romans, dont un tout récent. On peut parier que c'est la même personne.
En tout cas, je trouve que Chica passe bien la rampe et c'est une chanson que j'apprécie.
J'aime plutôt bien aussi Lucie, même si je trouve les changements de rythme/style de punk à reggae trop violents.

En préparant cette chronique, je suis tombé sur Champagne, une "ode" aux vignerons champenois, extraite de Chez Charles Henri, une chanson qui vaut le jus. Avec des paroles aussi tranchantes, Nihil a dû se faire des amis dans la région ! : "Vous avez le cul terreux, mais des couilles en or...".

Après Nihil, j'ai surtout vu passer des infos sur le parcours de Jean-Jacques Phal, avec le groupe Casareccio ou le projet Ciao César. Et si le nom Phal éveille un écho en vous, c'est peut-être parce que vous avez entendu parler ces temps-ci de Léon Phal, son fils.
Quant à Jean-Jacques, il a été présent dans la presse à plusieurs reprises ces derniers temps, mais pour des aventures extra-musicales : la retraite et une chute dans le canal avec son chien...!

A écouter :
Nihil : Chica
Nihil : Lucie


16 novembre 2025

REVEREND ROBERT BALLINGER : Gospel


Acquis chez Bell'Occas à Charleville-Mézières le 14 octobre 2025
Réf : MPO. 3104 -- Édité par Pop en France en 1962
Support : 45 tours 17 cm
Titres : The little black train -- Hold my body down -/- The King's highway -- There are days

Si le même jour, parmi les 45 tours à 1,50 € de Bell'Occas, j'ai pris le The Cats Meow en partie pour sa pochette générique, ce disque du Révérend Robert Ballinger, je l'ai pris principalement pour sa pochette très réussie. En effet, j'aime bien le gospel, mais je ne prends pas systématiquement tous les disques que je vois dans ce genre. J'aime bien aussi le label Disques Pop, une filiale de Vogue. J'en ai déjà chroniqué trois 45 tours (de Jack Hammer, Jacky Noguez et Willard Burton), mais les productions du label sont variées et inégales et je ne les collectionne pas systématiquement non plus.

Le graphisme de cette pochette est réussi et efficace. Mais sa force tient principalement à la photo choisie pour l'illustrer. De premier abord, on peut croire que le gamin au premier plan lève les mains car il est tenu en joue. En fait, en y regardant à deux fois, il est plus probable qu'il est en plein jeu avec ses copains. En examinant encore plus les détails, on note que, à jouer pieds nus dans l'herbe, le garçon au premier plan a les pieds tout verts.
Rien à voir a priori avec la musique gravée sur le disque, mais illustrer du gospel avec des enfants noirs probablement pauvres, ça a un certain sens.

Il y a un crédit pour cette photographie au verso de la pochette : Léon Cabat. Cette personne est créditée pour plus d'une quarantaine de photos de pochettes sur Discogs, dont la référence suivante du label, un autre disque de gospel avec une pochette très réussie, dans un style différent, et, pour rester dans la même veine, des disques de blues (avec les quatre mêmes gamins, je pense), de jazz ou de folklore.

Et comment Léon Cabat (1922-2005) s'est-il retrouvé à photographier autant de pochettes pour Vogue ? Eh bien, tout simplement parce qu'il est l'un des fondateurs du label, qu'il a dirigé pendant des années !
A lire, ici puis , un portrait de Léon Cabat dans le n° 314 de Nouvelles d'Arménie Magazine de février 2024.
Il devait être un homme discret. Si j'avais dû citer un nom pour la fondation des disques Vogue, j'aurais peut-être pensé à Charles Delaunay, critique musical et spécialiste de jazz (fils de Sonia, ce qui explique qu'elle a créé le logo du label utilisé pendant toutes les années 1970). Mais en fait ils étaient trois à lancer le label, avec le saxophoniste Albert Ferreri.
Léon Cabat a très peu fait parler de lui, mais il a joué un rôle essentiel pour Vogue, puisqu'il a dirigé la société de 1947 à 1985 !
Et il ne s'est pas retrouvé là par hasard, il devait être un grand fan de jazz et/ou de blues qui, ses photos le prouvent, a pas mal voyagé aux États-Unis. Les Nouvelles d'Arménie Magazine racontent que, dès 1948, il vendait des disques de jazz importés des États-Unis, acquis auprès de Nesuhi Ertegun, natif comme lui d'Istanbul.

Robert Ballinger (1921-1965) est né à Cincinatti et a fini par s'installer à Chicago. Devenu pasteur, c'est en lien avec cette activité principale qu'il a dû développer ses talents de pianiste et chanteur, avec une discographie de huit singles et deux albums.
Il a sorti ses premiers singles dans les années 1950 chez United, puis chez le légendaire label de Chicago Chess, où il a souvent été accompagné à la contrebasse par Willie Dixon et à la batterie par Odie Payne. Il signe ensuite chez Peacock, un label qui avait beaucoup de succès avec sa collection de gospel. Mais il y eu du grabuge car Peacock a attaqué Chess en justice en 1962 pour avoir enregistré des artistes que le label avait sous contrat, Robert Ballinger et les Five Blind Boys. L'affaire, longue et coûteuse pour les deux labels, était encore en appel en 1965, avec de multiples rebondissements.

Comme c'était souvent le cas, ce 45 tours quatre titres français compile deux singles Peacock de 1962. Le style de Robert Ballinger est un hybride de gospel et de blues. Dixon et Payne sont toujours présents, malgré le procès et bien que ce ne soit pas un disque Chess.
Outre la section rythmique, la formation de base sur ces quatre titres, c'est le piano et la voix rugueuse de Robert Ballinger, parfois complétée et adoucie par des chœurs.

La réussite du disque, c'est The little black train, dès l'intro avec quelques lignes de basse et les chœurs qui font le son du train. Les chœurs répondent ensuite aux "get on board" du révérend. On est en plein dans la veine du This train popularisé par Sister Rosetta Tharpe.
Les chœurs sont encore bien présents sur Hold my body down. Comme pour 
There are days, ce sont avant tout des chansons blues, l'aspect gospel étant surtout présent dans les paroles, comme quand le chanteur interpelle Jésus.
The King's highway, dans la même veine, est l'autre grand moment du disque, avec une intro basse piano batterie assez longue. 

Les titres de l'EP sont tous repris en 1963 sur le premier album, Little black train. Peacock sortira en 1964 un deuxième album, Swing down chariot, mais le révérend meurt quelques mois après sa sortie, à 43 ans. Comme il le chantait dans The King's highway, "won't be long, you're gonna look for me, I'll be gone".

S'il en était besoin, voici une preuve de l'importance de Robert Ballinger : en 2021, le label de référence Bear Family a choisi pour inaugurer sa nouvelle collection de gospel de publier The king's highway, une compilation qui doit reprendre à peut près l'intégrale de ses enregistrements.

09 novembre 2025

SERDAR GÜNDÜZ & FABRIKA : Serdar Gündüz & Fabrika


Acquis par correspondance chez Serdar Gündüz en octobre 2025
Réf : 777 004 -- Édité par Praksis en France en 2025
Support : CD 12 cm
10 titres

Je me rends compte que, plus ça va et plus ce blog est "patrimonial". Je fais de moins en moins de découvertes qui m'incitent à acheter des disques, je ne suis pas très intéressé par la plupart des rééditions... Au bout du compte, quand on fait le point, on ne peut que constater que le disque le plus "récent" chroniqué depuis le début de cette année qui n'est déjà plus très loin de sa fin, est celui d'Akli D, paru en 2006, soit il y a presque vingt ans ! Pour trouver une chronique d'une parution des années 2020, il faut remonter à plus de deux ans...

Heureusement, voici enfin une nouveauté, un perdreau de l'année.
C'est l'ami Le Vieux Thorax qui m'a mis sur la piste de Serdar Gündüz. Il m'a annoncé qu'il allait passer des disques avec deux potes le 26 septembre au Chair de Poule à Paris et m'a orienté vers le nouvel album de l'un d'eux, qui selon lui pouvait me plaire.
Effectivement, ce que j'ai entendu sur Bandcamp m'a bien plu, et Le Vieux Thorax a encore joué les entremetteurs pour me confirmer qu'une édition CD de l'album existait, que j'ai pu commander directement à Serdar.

Je n'y avais pas prêté attention car mon exemplaire de l'album est un promo sans trop d'informations, mais j'ai déjà chroniqué un disque auquel Serdar a participé, Objet ancien des Daltons, groupe qu'il a co-fondé et dont il a été le guitariste jusqu'en 2020. Un album que j'ai vraiment apprécié, sur lequel on trouve ma reprise préférée de Pablo Picasso de Jonathan Richman.
Outre les Daltons, Serdar Gündüz est très actif depuis le milieu des années 1980. Il a notamment joué avec les Moonshiners et Sporto Kantes. Il a lancé son projet solo Fabrika ("Usine" en turc) au début des années 2000. Un premier album, Electroad songs est sorti en 2006.

Dès le titre d'ouverture, Rêves de l'AmeriKKKa, on découvre les principaux ingrédients de l'album : un son rock/pop avec une batterie samplée ou une boite à rythmes, de la guitare, de la basse, du violon parfois, des  paroles à 99% en français et un chant en partie "parlé". Les paroles entrent bien en résonance avec l'actualité états-unienne ("Plus personne ne veut aller là-bas maintenant").
Le titre suivant Sur le canapé, pour lequel une vidéo a été tournée, est tout aussi bon et accrocheur.

Ma chanson préférée  de l'album est pour l'instant l'entraînant La chaleur du radiateur. Il y est question d'avoir le doigt puis la tête coincés dans un radiateur. C'est rigolo et léger, mais c'est le réchauffement climatique qui est en toile de fond.

Faire comme toi
et Dans le tourbillon associent riffs de guitare et touches synthétiques. On pense à Jacno, d'autant plus quand on découvre le titre Rectangle électrique, mais celui-ci, avec ses formes géométriques et ses chœurs en "Pa pa pa", n'est pas spécialement en référence au fameux tube.

Je ne savais pas que je t'aimais ("avant de te voir pogoter") est un rock qu'on pourrait enchaîner avec Betsy party, quant à Madame de S., c'est une ode aux Coronados.

Tes cheveux rouges est tout simplement une très bonne chanson, lente, qui pourrait très bien fonctionner dans un autre contexte de production, par une grande vedette de la "variété" de qualité. La démo diffusée sur YouTube est également très intéressante.

La première partie de Tuco & Cheyenne offre un moment de calme à l'ambiance filmique. La chanson se conclut sur une constatation un peu désabusée, "C'est le nouveau monde, tu ne peux le combattre".

Avec dix titres, l'album est compact et sans temps mort. Après l'avoir réécouté plusieurs fois pour cette chronique, j'y suis encore plus accroché.
Serdar se produit assez irrégulièrement en concert, principalement dans des bars parisiens. Je vais être attentif et essayer d'en attraper un.

Comme Serdar l'a dit à Buzz On Web : "Achetez le disque en direct, ne passez pas par le web. Je suis dessus parce qu’il faut y être mais ce n’est pas mon truc. Sinon : fabrika77@yahoo.fr !"



01 novembre 2025

THE CATS MEOW : La la lu


Acquis chez Bell'Occas à Charleville-Mézières le 14 octobre 2025
Réf : DL 80 003 -- Édité par Decca en Allemagne en 1966
Support : 45 tours 17 cm
Titres : La la lu -/- Confusion

J'ai fait un petit tour en Ardenne, en m'arrêtant notamment dans les trois magasins de la ressourcerie Bell'Occas. Les 45 tours y sont désormais à 1,50 €, ce qui limite les prises de risque, mais au moins à Charleville il y avait un bon paquet de disques et j'en ai pris une demi-douzaine suffisamment intéressants a priori pour que je mette ce prix sans rechigner.

Le premier sur lequel je suis tombé, c'est celui-ci. Une pochette générique ou un rond central réussis, ça suffit parfois à faire l'intérêt d'un disque, pas obligatoirement besoin d'une pochette très élaborée quand on a les yeux hypnotisés par un graphisme comme celui-là.
Je ne suis pas suffisamment qualifié pour dire si on se rapproche ici de l'art cinétique à la Vasarely, ou plutôt de l'art optique façon Bridget Riley. En tout cas, ça m'a attiré l’œil et, quand j'ai regardé l'étiquette pour voir le nom du groupe, le titre de la face B, et le fait que c'était un enregistrement sous licence américaine, j'ai tout de suite décidé de le prendre.

La la lu est le premier des deux singles sortis par The Cats Meow en 1966. Par la suite, le groupe a signé chez Buddah, mais son contrat l'obligé à changé de nom. C'est donc The Beeds qui a sorti deux autres singles en 1968 et 1970.
Je pourrais citer les noms des membres du groupe, mais je n'ai pas l'impression qu'ils ont une importance particulière. Car derrière toutes les chansons de The Cats Meow et The Beeds, il semble surtout qu'il y a un duo d'auteurs-compositeurs-producteurs, Jimmy Calvert et Norman Marzano.
Leurs noms ne sont pas très connus du grand public, mais ils ont un parcours remarquable de musiciens de studio et producteurs. Ils ont notamment écrit la chanson Do something to me, enregistrée d'abord par ? Mark and the Mysterians en 1967 avant d'être reprise par Tommy James and the Shondells en 1968, et même par les Pooh Sticks en 1988 (ce qui fait que j'ai deux versions de cette chanson). C'est leur formation de studio qui se cache derrière le groupe de pop bubblegum Crazy Elephant, et par exemple Calvert joue de la guitare sur plusieurs titres de l'album de Ringo Starr de 1973.
La boite de Doc Pomus et Mort Shuman a dû investir des billes dans cet enregistrement car, sur le single américain, il est indiqué "Produced by Marzano-Calvert" puis "A Pomshu production".

La la lu est paru au printemps 1966 et ça s'entend. C'est de la pop avec plein de plans pompés sur les Beatles. Le chanteur a la voix du gamin qu'il devait être.
Cette chanson n'a pas eu trop de succès aux États-Unis, mais apparemment elle en a eu un peu plus en Allemagne (ce qui peut expliquer qu'un exemplaire du disque ait voyagé jusque dans les Ardennes) et en Australie.
Je n'ai trouvé aucune trace d'une édition française de ce disque, mais il y en a qui y ont prêté attention puisque, en juillet 1966, on trouve une adaptation en français de La la lu en titre principal du premier EP de Pussy Cat, alias Évelyne Courtois, dont on a parlé ici même plus tôt cette année à propos des paroles qu'elle a écrites pour Martin Circus.
En 2019, cette adaptation française a elle-même été reprise par Rue '66, un groupe californien francophile et rétro.

Cette face A n'est pas mal du tout, mais la face B est mieux.
Confusion est un instrumental rock dans un style je dirais surf-garage, c'est à dire presque un peu rétro déjà en 1966. Rien d'original donc, il y en a des milliers comme ça, mais c'est excellent, pas si loin dans le genre des instrumentaux hommage de Jonathan Richman type Yo Jo Jo.

Ça fait un moment que je n'étais pas tombé sur une petite pépite sixties de ce genre. J'espère qu'il y en aura d'autres.


La pochette illustrée très bof de cette édition allemande du single. On est dans un cas assez rare où je ne regrette pas de n'avoir "qu'une" pochette générique.