Acquis dans l'un des Record & Tape Exchange de Londres vers 1990
Réf : OJMLP 1 -- Edité par Polydor en Angleterre en 1984
Support : 33 tours 30 cm
6 titres
La seule fois où j'ai vu
Orange Juice en concert, j'ai été particulièrement injuste avec eux. C'est pourtant un groupe que j'aimais beaucoup, particulièrement
Blueboy, découvert sur
les compilations Rough Trade et qui reste l'un de mes titres préférés de ce groupe, et aussi le premier album
You can't hide your love forever, que j'ai beaucoup écouté à sa sortie et que j'apprécie encore, même si je lui trouve maintenant beaucoup plus de défauts qu'avant, notamment le chant d'Edwyn Collins, tellement limite qu'il en est parfois insupportable.
Mais j'ai une excuse pour avoir payé pour voir un groupe et l'avoir ensuite sifflé et hué pendant près d'une heure. Cette excuse, c'est le contexte.
Au printemps 1984, l'album
Jonathan sings ! n'était pas encore sorti en Angleterre, le label américain Sire ayant lâché
Jonathan Richman avant qu'il sorte dans ce pays, mais Rough Trade s'apprêtait à prendre la relève fin juin. Côté concerts, rien ou presque depuis 1978, sauf une tournée en solo en 1982, sans disque à soutenir, passée également par la France (Lyon notamment, et je pense que les enregistrements télé de
Abdul & Cleopatra et
Tahitian hop datent de cette tournée et sont extraits de l'émission
Houba Houba d'Antoine de Caunes).
J'étais assez accroché à l'époque pour avoir écrit à Jonathan Richman à l'adresse figurant au dos du disque pour m'inquiéter de la non-disponibilité du disque en Angleterre. Il m'avait répondu, sur une carte représentant Ayers Rock mais envoyée des Etats-Unis, en annonçant la sortie chez Rough Trade et une tournée à venir.
Autant dire que, quand le concert de Jonathan Richman a été annoncé à Londres pour le 21 juin 1984, j'étais plus qu'impatient et j'en ai fait la publicité autour de moi, auprès des connaissances que j'avais commencé à me faire, à la
Living Room notamment. Au départ, le concert devait être à Camden, à l'Electric Ballroom je crois, mais le même jour était annoncé un concert d'Orange Juice en tête d'affiche à l'Hammersmith Palais. Après discussion entre les promoteurs, j'imagine, le concert de Jonathan Richman a été déplacé au Palais, plus grand, mais avec toujours Orange Juice en tête d'affiche, sur la lancée du succès de
Rip it up.
L'association Orange Juice/Modern Lovers n'était pas une mauvaise idée, si l'on s'en tient aux influences qu'ils partagent et à la voix parfois très nasale des deux chanteurs, mais du coup on se retrouvait avec une soirée à quatre groupes, les premières parties de chaque concert ayant été maintenues.
Ce soir-là, c'était vraiment la fête. J'avais l'impression que tous les gens que je connaissais, au moins de vue, dans le coin étaient présents. Joe Foster m'a présenté à Ana da Silva des
Raincoats, que j'avais déjà reconnue une fois dans le magasin Rough Trade.
Les irlandais de
Blue In Heaven ont joué en premier. Je n'ai aucun souvenir de leur prestation. Par la suite, j'ai acheté quelques-uns de leurs disques, mais ça fait bien longtemps que je ne les ai pas écoutés.
J'ai un bon souvenir par contre du concert de
James King & the Lone Wolves. Pas dans le détail, mais je me souviens d'un bon son rock avec une guitare twang.
J'étais évidemment aux anges pour tout le concert de Jonathan Richman & the Modern Lovers. La formation du groupe ce soir-là comprenait Ellie Marshall à la guitare et aux choeurs, Greg "Curly" Keranen à la basse et Michael Guardabascio aux percussions. Ils ont joué quelques vieux titres (
Affection,
Here come the Martian Martians,
Ice cream man), deux extraits du nouvel album (
This kind of music et
Give Paris one more chance), quelques instrumentaux et des inédits (
The beach,
Vincent van Gogh,
Let's get wild) et puis, et puis c'est tout !
Après moins de 35 minutes, le groupe a quitté la scène... et n'est pas revenu. Au bout de quelques minutes d'une ovation du diable, Jonathan Richman est venu saluer le public, sans chanter, et il a expliqué qu'il fallait maintenant laisser la place au groupe suivant.
Ce n'est pas très positif, mais je crois que je n'ai jamais autant sifflé et hurlé à un concert. Ce n'est pas un hasard si les deux articles ci-dessous qui en font le compte-rendu expliquent :
"
Est-ce qu'Orange Juice savaient ce qu'ils faisaient quand ils ont invité les Modern Lovers à l'affiche de leur concert Jeudi au Palais ?" et "
Ils n'étaient que la première partie. Je n'ai pas chronométré mais l'ovation qui a suivi les Modern Lovers au Hammersmith Palais il y a quelques semaines aurait pu durer toute la nuit. Orange Juice, théoriquement la tête d'affiche, bien qu'ils aient fait une prestation brillante, ne sera probablement plus jamais pareil. Cela a dû être la démonstration d'une appréciation la plus inquiétante qui soit pour un set d'une demie-heure d'un obscur groupe américain de première partie dont le dernier tube anglais remonte à cinq ans".
On a sifflé, tapé des pieds et des mains et hurlé pendant tout le temps que les roadies installaient le matériel d'Orange Juice, et on a continué, c'est ça qui est injuste, pendant tout le début du concert d'Orange juice, en sifflant et en réclamant les Modern Lovers.
Orange Juice a continué vaillamment son concert, avec juste un signe d'énervement et une remarque agacée d'Edwyn Collins au bout d'un moment. Il a notamment expliqué qu'une équipe de télé filmait leur concert ce soir-là et qu'il y avait donc des délais à respecter.
Quand j'ai eu fini de siffler, je n'étais absolument pas dans l'état d'esprit d'apprécier Orange Juice. Je suis monté sur la mezzanine et, je ne sais plus si je l'avais repéré avant ou s'il s'est installé près de moi ensuite, mais je me suis retrouvé à côté de Jonathan Richman.
C'était notre première rencontre. Nous avons échangé quelques mots pendant que le groupe jouait. Je lui ai dit à quel point j'avais apprécié le concert, mais combien j'étais déçu et en colère qu'il ait été si court. Lui était tout sauf en colère. Très aquoiboniste. Il était content du concert et de la réaction du public à sa prestation, mais chacun son tour de jouer. Et puis, il y aurait d'autres occasions...
Ce concert d'Orange Juice servait notamment à faire la promotion du dernier single
What presence ?!, sorti en avril, et de leur mini-album
Texas fever, sorti en mars. Début 83, ils avaient connu leur plus grand succès avec
Rip it up et leur deuxième album, mais après la moitié des musiciens avait quitté le groupe et, après une pause d'un an, ils étaient revenus avec un nouveau producteur,
Dennis Bovell, et le single
Bridge, qui avait moins bien marché.
What presence ?! n'est pas sur
Texas fever (il sera sur le dernier album,
The Orange Juice, paru en novembre 1984), mais on retrouve
Bridge en ouverture, accompagné de cinq autres titres. C'est une chanson agréable, mais pas remarquable. J'aime beaucoup mieux
Craziest feeling, avec ses choeurs et sa grosse deuxième voix grave, un titre qui fait un peu penser à l'Edwyn Collins solo et à succès des années 90. Étonnamment,
Craziest feeling est le seul des six titres de
Texas fever qui n'a pas été repris en 1992 sur le best-of
The esteemed Orange Juice.
Je n'aime pas du tout les deux titres suivants, vaguement funkysants,
The day I went to Texas et
Punch drunk.
Par contre, dès les premières notes de
A place in my heart, c'est autre chose. On est dans du bon et de l'excellent. La ligne de basse, les notes de guitare qui tournent en intro et le solo. La voix d'Edwyn Collins passe bien sur ce titre, surtout avec les choeurs sur le refrain, qui aurait presque pu être signé Richman : "
Il y aura toujours une place dans mon coeur pour toi". Franchement, ce titre au tempo moyen aurait sûrement très bien marché en single.
Le tout dernier titre du disque est lui aussi excellent.
A sad lament tire du côté du
Velvet Underground façon troisième album et du
Joy Division d'
Atmosphere pour les percussions. Une chanson qu'on pourrait s'étonner de trouver si mal placée sur ce disque si, en fait, elle n'avait pas déjà été sortie précédemment, en face B du maxi
Rip it up.
L'ironie de tout ça c'est que je viens de découvrir à quoi avaient servi les images d'Orange Juice tournées le 21 juin 1984. J'avais compris qu'il était question d'une émission télé, et il y en a eu unevu que les images sont copyrightées 1984, mais surtout ce tournage forme le gros de la cassette vidéo
Dada with juice, sortie en 1986, épuisée depuis longtemps mais
visible en intégralité sur YouTube. Je n'ai pas pris le temps de tout regarder, et je pense que les techniciens ont réduit le son d'ambiance, mais sachez que les sifflets qu'on doit y entendre ne sont pas tous là pour saluer Orange Juice !
En tout cas, en repensant à ce premier jour de l'été 1984, la colère de voir un concert écourté me semble bien loin et je suis bien plus sujet à
That Summer feeling, une certaine nostalgie pour d'agréables souvenirs d'été...
Quant à Orange juice, je ne pense pas que la remarque de la journaliste y soit pour quelque chose, mais moins d'un an après ce concert ils n'étaient tellement plus pareils qu'ils étaient séparés !
Chronique du concert par Bill Black (= Bill Prince de The Loft) dans Sounds, le 7 juillet 1984 (cliquer pour agrandir).
Article de Penny Kiley paru pendant l'été 1984, probablement dans Melody Maker ou le NME (cliquer pour agrandir)