Offert par Fabienne M. à Mareuil sur Ay en octobre 2020
Réf : 70 490 -- Édité par Barclay en France en 1964
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Ode aux rémois -- La petite girl -/- Le bon employé -- Les jeunes filles du Luxembourg -- La mouche
Ce blog fête ses quinze ans aujourd'hui, et on approche de la 1600e chronique.
Je vais essayer de ne pas répéter ce que j'ai dit au moment des 5e et 10e anniversaires, mais on a bien la confirmation maintenant que j'ai de la matière pour faire durer ce projet de chroniquer des disques de ma collection. Un projet qui a quand même évolué au fil du temps.
Par rapport aux débuts, je publie beaucoup moins souvent (on en est à une chronique hebdomadaire ces derniers temps), mais les textes sont beaucoup plus fournis et, la technologie et la documentation à disposition évoluant, il y a presque systématiquement du son ou de la vidéo en complément.
Et puis bien sûr, après tout ce temps j'ai à peu près épuisé mon stock de disques rares ou curieux et je chronique désormais surtout des disques récemment acquis, même s'il m'arrive de faire de belles redécouvertes en fouinant dans mes étagères. De plus en plus, d'ailleurs, alors que je ne le faisais pas au début, il m'arrive d'acheter des disques spécifiquement parce que j'ai envie de les chroniquer ici.
C'est un peu le cas avec le disque d'aujourd'hui, que je me suis fait offrir pour cette occasion un peu spéciale. Une Ode aux rémois composée et interprétée par un rémois, c'est parfait pour un blog marnais ! (C'était ça ou La marche de L'Union de Jean Patart,avec l'Orchestre de la Musique des Gardiens de la Paix. Je vous promets que vous y gagnez au change...)
J'ai récemment regardé le
téléfilm Colette de Gérard Poitou-Weber (1985, musique originale de Joseph Racaille). On y voit notamment un personnage que je ne connaissais pas, le mime
Georges Wague. Ça me trottait dans la tête en regardant le film : l'acteur interprétant Wague me faisait penser à quelqu'un... C'est quelques minutes avant que le générique de fin me donne la réponse que je l'ai trouvée tout seul : c'est à
Daniel Laloux que je pensais, quelqu'un dont je ne savais même pas qu'il était acteur, dont je ne connaissais qu'une seule photo, la pochette de ce 45 tours, partagée il y a quelques temps par des passionnés de musique rémois, notamment sur le site
Reims Punk 'n' Roll. C'est dire que cette pochette et cet acteur m'ont marqué !
Daniel Laloux est né à Reims en 1937. Son père François, peintre et écrivain, a exercé d'éminentes responsabilités au sein du Collège de Pataphysique. Daniel, lui, a obtenu un premier prix de tambour au Conservatoire de Reims. Ce tambour, fabriqué de ses propres mains, ne l'a jamais quitté depuis.
J'ai trouvé peu d'informations substantielles en ligne sur Daniel Laloux, mais heureusement les amis Le Colonel et le Dérailleur Fou de l'émission l'
Opération Kangourou l'ont reçu comme invité dans
deux émissions mémorables le
17 janvier et le
24 janvier 2013, et je vous conseille vivement de prendre le temps d'écouter ces deux heures d'émission avant de poursuivre votre lecture, sachant que je vais en quelque sorte me contenter de résumer ici certains des propos qu'il y a tenus.
Daniel Laloux est donc musicien (joueur de tambour) et acteur (qui a débuté au théâtre avec Roger Planchon dans
Les trois mousquetaires).
Comment s'est-il retrouvé à publier cette
Ode aux rémois, son premier 45 tours, en 1964 ? Eh bien, il jouait (de la batterie) dans la pièce
Les pupitres de
Raymond Devos (musique de Georges Delerue, pianiste Michel Colombier) puis enchaînait les spectacles de cabaret (jusqu'à trois par soir). C'est là qu'il a été repéré par le directeur artistique de Barclay,
Jean Fernandez.
Pour essayer de vendre cet artiste débutant qui ne faisait pas des chansons "carrées" en couplet-refrain, l'idée est venue de compenser en sortant le disque au format carré plutôt que rond. Il existe tout plein de disques découpés suivant des formes variées (comme par exemple le
CD des Walkabouts en forme de violoncelle), mais finalement cette forme toute simple du carré, qui change complètement la perception de l'objet et s'adapte parfaitement à la pochette, a rarement été utilisée.
Le disque a connu une mésaventure : au prétexte qu'on y entend dans les paroles "Aujourd'hui j'ai perdu le respect des anciens et "L'espoir" de Malraux, mais par contre j'ai trouvé une rémoise dans mon short. Shortilège !", le disque a eu droit à une pastille rouge à la radiodiffusion française, qui en interdisait la diffusion pour "indigence de texte" ! Du coup, il s'est peu vendu (environ 800 exemplaires) et un passage à la télévision dans une émission de Jean-Christophe Averty a été annulé (mais Jacques Brel a été emballé et l'a diffusé dans sa propre émission sur la radio privée Europe 1).
Le 45 tours, sur lequel Daniel Laloux est accompagné par Michel Colombier et son Grand Orchestre, comporte cinq titres assez brefs, aux paroles marquantes.
Les rémois qui se "
turluchent la bonbonne de leur grande cathédrale" ne tiennent que l'un des rôles d'
Ode aux rémois, au côté des chinois qui se "
lissent la moustiche". Le rythme sur lequel Laloux assène ces paroles est assez martial. Dans la partie jazz finale, c'est
Michel Portal qui joue le solo.
La petite girl, dans une ambiance jazz également, en a marre de montrer son lard à des veaux et voudrait faire des ménages chez des poète un peu fou-fous. Heureusement un beau jeune homme lui murmure à l'oreille "Viens que j't'agace dans mon armoire à garces" et le conte de fées finit bien.
Dans une veine similaire,
Le bon employé et
Les filles du Luxembourg sont également des réussites. Je pense parfois à l'écoute à
Boris Vian ou à
Brigitte Fontaine (Fontaine et Laloux ont dû se croiser dans le Paris rive gauche des années soixante. Ils signent chacun une des chansons du premier album de 1968 de
Christine Sèvres, arrangé par Jean-Claude Vannier et Alain Goraguer).
C'est dommage, il n'est pas question dans les entretiens de l'Opération Kangourou du deuxième et ultime 45 tours de Daniel Laloux. Il est sorti en 1967 chez Bagatelle, arrangé par Alain Goraguer. Le titre principal est l'excellent
Guidi gada goudou.
Dans les années suivantes, côté musique, Daniel Laloux a participé à des projets marquants.Il a notamment fait partie de l'orchestre du saxophoniste de jazz américain
Marion Brown. Il joue de la basse et des percussions sur l'album en public
Marion Brown im Sommerhausen, enregistré en mai 1969, et c'est lui qui vocalise sur
Il ne chant pas.
Alors qu'il jouait au cabaret La Vieille Grille à Paris, un certain Daevid Allen était aussi à l'affiche. Daniel lui a proposé de collaborer pour sa chanson
Le gang des gongs, qu'il avait fait traduire en anglais. Par la suite, il a rejoint le groupe débutant
Gong, dont le nom serait inspiré du titre de sa chanson. Il quittera le groupe début 1970, mais on l'entend sur les deux faces de l'excellent 45 tours
Garçon ou fille,
Est-ce que je suis et
Hip hypnotise you.
Sur scène, il a notamment fait une prestation mémorable au festival d'Amougies en octobre 1969. A quelques encablures du champ de bataille napoléonien, il a réveillé à quatre heures du matin le public, composé à la fois de hippies et d'habitants du cru, en s'accompagnant au tambour pour déclamer
Expiation de Victor Hugo et son fameux "
Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !". Cette prestation a dû être enregistrée et même filmée, mais je ne l'ai pas trouvée en ligne.
Et donc, son tambour accompagne toujours Daniel Laloux : en 2015-2016, il présentait avec Catherine Bayle le spectacle
Tambour cœur du monde, une suite de séquences surprenantes, parlées, hurlées, chantées, dansées sur des rythmes d’enfer !
Pour ma part, pour fêter cet anniversaire, je suis bien content d'avoir grâce au disque carré de Daniel Laloux réussi une prouesse réputée impossible : résoudre la quadrature du cercle !
On peut écouter les trois autres titres dans les émissions de l'Opération Kangourou.
A voir :
Un bruit qui court, le film de 1983 de et avec Daniel Laloux et Jean-Pierre Sentier, dont il est question dans l'émission, est actuellement visible sur YouTube.
Le texte au recto de la pochette. Recto qui ne couvre pas toute la surface pour laisser apparaître le disque carré.