Pages

14 juillet 2013

ALAN LOMAX : Le pays où naquit le blues


Acquis par correspondance chez Amazon en décembre 2012
Réf : 978-2-916749-31-0 -- Edité par Les Fondeurs de Briques en France en 2012
Support : 664 pages 22 cm + CD 12 cm
10 chapitres + 10 titres

Ce livre est édité par Les Fondeurs de Briques, mais c'est en fait un pavé, qui m'a été recommandé par Philippe C. pour sa couverture, réalisée par Pascal Comelade et en parfaite adéquation avec le contenu du livre. Je ne l'aurais pas acheté cependant, si le sujet ne m'avait pas intéressé. Il s'avère, comme je l'espérais que Le pays où naquit le blues est un document précieux, le fruit d'un travail énorme, pour Alan Lomax, qui a fini par le publier en 1993, à 78 ans, et pour le traducteur, Jacques Vassal, figure du Rock & Folk des années 1970, qui espérait depuis longtemps publier ce livre en français.
Pour ce livre sur les racines du blues, l'ethnomusicologue Alan Lomax avait de la matière. Des témoignages de première main, recueillis et enregistrés pour la Bibliothèque du Congrès dès les années 1930 avec son père John A. Lomax (Leadbelly en 1933 à la ferme-prison Parchman, notamment), puis seul dans les années 1940 et à la fin des années 1950, après la guerre et le MacCarthysme, période où il a travaillé dans les Antilles et en Europe. En deuxième main, les témoignages collectés auprès des chanteurs et travailleurs âgés permettent à Lomax de remonter plus en avant dans le temps, au début du vingtième siècle et de s'approcher de son but, les sources du blues.
Je ne vais pas me risquer à essayer de résumer un tel livre. En voici juste un extrait.
On est en 1941 et Alan Lomax est en train d'enregistrer Son House sur une plantation, à l'arrière d'une épicerie de campagne : "La musique s"interrompit et Son House ouvrit les yeux et alluma une cigarette, mais quelque part un son grave résonnait, encore et encore. Nous nous regardâmes avec stupeur. Croyant que mon enregistreur en était responsable, je l'éteignis. Le son persista. Son sorti de sa transe. «Y a quelqu'un qui klaxonne dehors, dit-il. Vaudrait mieux que j'aille voir ce qui se passe.»
Au bout d'une minute, le klaxon se tut et Son revint, l'air tassé, le flux de la musique envolé, les joues comme cendre." « C'est mon patron. vaudrait mieux que vous alliez lui parler. »
Un blanc en combinaison kaki était assis au volant d'un pick-up, le visage blême de peur et de colère. Il paraissait si petit, si rabougri après ce que je venais de voir et d'entendre, que je faillis éclater de rire. Il voulait savoir ce que ce Blanc venu d'ailleurs, suant et négligé, faisait dans la taverne du cru en compagnie de son meilleur conducteur de tracteur. J'expliquai de mon mieux mais j'étais encore dans le feu de l'action et, j'en ai bien peur, je dus embrouiller mon histoire. Il ne me regarda pas pendant que je parlais et je ne crois pas qu'il entendit une seule de mes paroles. Il parut fixer une tête d'épingle, loin devant sur la route gravillonnée. « Eh bien, dit-il, quand vous aurez fait le plein de musique de nègres, passez à la maison. »"
Amené par le patron chez le shérif du Comté, en pleine parano patriotique guerrière, Lomax s'en sort, de justesse, en faisant valoir ses origines sudistes, en niant avoir serré la main d'un nègre, mais il fait presque tout capoter en donnant du "Monsieur" à Son House. Au lendemain du jugement dans l'affaire Trayvon Martin, on sait que les choses sont loin d'avoir complètement changé en soixante-dix ans. Grâce au CD inclus dans le livre, on peut revenir à cet après-midi de 1941 et écouter précisément le Walkin blues que Son House a interprété le 3 septembre 1941.
On trouve dans le livre et sur le CD d'autres témoignages de bluesmen, comme le tout premier enregistrement de Muddy Waters, que Lomax a déniché sur les conseils de Son House, un Shake 'em on down d'anthologie de Fred McDowell, ou des prises de Memphis Slim et Big Bill Broonzy (à propos de ce dernier, l'occasion serait belle, même s'il a tendance à fabuler et à se donner le beau rôle, et même si certaines informations font doublon avec celles données dans ce livre, de rééditer son autobiographie, Big Bill blues).
Le récit de la conversation entre Big Bill Broonzy, Memphis Slim et Sonny Boy Williamson, enregistrée à New York en 1947, est un autre grand moment du livre. La réaction des trois artistes quand ils se rendent compte que, malgré toute la confiance qu'ils accordent à Lomax, ils en ont peut-être trop dit sur leurs relations avec leurs patrons blancs, est glaçante.
Il est beaucoup question de bluesmen dans ce livre, mais pas seulement. Dans sa quête des origines de cette musique, Alan Lomax se penche pendant une grande partie du livre sur les travailleurs noirs, bûcherons, débardeurs de vapeurs sur le Mississipi, journaliers employés pour construire les digues du fleuve, pour retracer le chemin suivi par leurs chants et leur musique.
Le pays où naquit le blues est donc une somme, le produit de décennies de travail, mais c'est surtout et avant tout un guide de voyage inespéré pour se rendre au pays du blues, un compagnon idéal pour écouter et comprendre tous ces disques de blues qui présents dans nos collections de disques.

Le site de l'Association for Cultural Equity, fondée par Alan Lomax en 1983. On y trouve une importante archive en ligne, librement accessible.
L'American Folklife Center gère à la fois les archives personnelles d'Alan Lomax et celles constituées avec son père pour la Bibliothèque du Congrès.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire